Flavigny
(département de la Côte-d'Or.)
(département de la Côte-d'Or.)
Il en est des villes comme des formes animées que les âges voient tour à tour fleurir, s'étioler et disparaître. Le nombre est grand de ces cités entraînées sur la pente du déclin, dont toute la vie est dans le passé, et qui, sans regrets d'ailleurs et sans tristesse, oublieuses de leur vigueur ancienne, végètent paisiblement dans une modeste obscurité.
Beaucoup ont été les demeures favorites de rois, de princes, de puissants petits seigneurs féodaux. Quand la monarchie eut absorbé toutes les souverainetés locales, elles restèrent d'abord quelque chose en leurs provinces, chef-lieu de pays, capitales villageoises, puis elles se noyèrent dans l'unité nationale. L'air est trop vif pour elles; elles se sont développées dans un certain milieu et ne peuvent se faire à d'autres. Pourtant elles gardent assez d'existence, assez de souvenirs, pour offrir à notre curiosité des échantillons d'espèces évanouies, des témoins d'autres périodes historiques. Tels sont Aigues-Mortes, Provins, Beaujeu, Luxeuil, Cluny, Autun, Compiègne, Attigny, Versailles, Fontainebleau, et tant d'autres. Tel est ce Flavigny-sur-Ozerain, in agro Bornacensi (en Bernois), avec sa curieuse église, ses portes fortifiées et ses vieilles maisons du seizième siècle.
On trouve le nom de Flavigny dans une Vie de saint Germain écrite au seizième siècle et des traces non équivoques de la période gallo-romaine permettent de lui attribuer une antiquité plus reculée. En effet, il n'est qu'à une lieue environ d'Asile-Sainte-Reine, et de ce mont Auxois (Alsiensis), dont la science traditionnelle et officielle a voulu faire à toute force le tombeau de l'indépendance gauloise et le piédestal de la statue de Vercingétorix. Au reste, que l'on permette les affirmations un peu trop péremptoires de certains savants plus ingénieux qu'érudits, ou qu'avec notre ami et collaborateur M. Jules Quicherat, avec la vraisemblance, avec le texte même de César, on recule Alésia jusqu'au massif d'Alaise, entre Ornans et Salins, nul ne conteste qu'à défaut de débris purement celtiques, Alise et ses environs possèdent beaucoup de vestiges gallo-romains.
Flavigny était relié à Alise par une voie romaine; c'était un castrum; on y a trouvé un Hercule gaulois, quelques fragments d'un arc de triomphe en l'honneur des empereurs, avec des figures de gladiateurs, une louve qui tient entre ses pattes Romulus. Sur deux piliers de l'église principale, on voyait encore au dernier siècle des divinités païennes, Mars, Pan et d'autres, qui, lors d'une restauration, ont été enfouies sous l'édifice; la terre nous les rendra quelque jour. Le castrum renfermait seulement l'espace où se trouve l'église, l'Hôtel de ville et les maisons voisines.
Une abbaye fut fondée à Flavigny, en 723, par Varé, fils de Corbon, seigneur du lieu. La psalmodie perpétuelle y était établie, comme à Luxeuil et à Agaune, ce qui suppose au moins trois cents moines, et observée avec tant de ferveur que Charlemagne en félicita par lettres l'abbé Manassés. L'église, ou sainte basilique, ainsi que la nomment d'anciens titres, bâtie, selon la tradition, en 758, fut, le 28 octobre 878, consacrée par le pape Jean VIII, assisté par dix-huit cardinaux. Elle fut réédifiée après 1200.
Un grand synode s'y réunit en 899. Quelques personnages de marque y furent inhumés: saint Egile, archevêque de Sens en 871; Hugues de Flavigny, fils de l'empereur Othon III, auteur d'une chronique assez étendue (de J.-C. à 1102); Michel de Rabutin, fils du fameux Roger comte de Bussy; et un certain nombre d'abbés. Le prieuré de Sainte-Reine, au pied du mont Auxois, dépendait de l'abbaye de Flavigny.
Malgré le désastre d'une invasion normande (11-25 janvier 877), la ville carolingienne garda quelque importance à l'époque féodale; en 1157, un duc Eudes lui permit de s'enclore de murailles. Un hôpital s'éleva en 1258, près de la porte de Barme. Mais bien que les abbés, depuis Valtaire (997) jusqu'à la fin du douzième siècle au moins (1192), fussent investis du patronage de Flavigny au nom de saint Genet, martyr, cependant la vie ecclésiastique sembla s'y amoindrir dès 1275; il ne restait plus dans l'abbaye qu'une cinquantaine de religieux.
Les Anglais emportèrent la ville d'assaut, en 1359, après une longue résistance, et en firent leur place de sûreté. Voici le passage de Froissart qui se rapporte à cet obscur épisode des désastreuses guerres de cent ans.
"Le roi d'Angleterre et son ost reposèrent dedans Tonnerre cinq jours pour la cause des bons vins qu'ils avoient trouvés, et assailloient souvent au châtel; mais il étoit bien garni de bonnes gens d'armes, desquels messire Baudoin d'Ennekins, maître des arbalétriers, étoit leur capitaine. Quand ils furent bien rafraîchis et reposés en la ville de Tonnerre, ils s'en partirent et passèrent la rivière d'Armençon; et laissa le roi d'Angleterre le chemin d'Auxerre, à la droite main, et prit le chemin de Noyers; avoit telle intention que d'entrer en Bourgogne et d'être là tout le carême. Et passa lui et tout son ost dessous Noyers, et ne voulut oncques qu'on y assaillit, car il tenoit le seigneur prisonnier de la bataille de Poitiers. Et vint le roi et tout son ost à gite à une ville qu'on appelle Montréal, sur une rivière que on dit Selletes (Serain). Et quand le roi s'en partit, il monta cette rivière et s'en vint loger à Guillon-sur-Sellettes (Serain); car un sien écuyer qu'on appeloit Jean de Arleston, et s'armoit d'azur à un écusson d'argent, avoit pris la ville de Flavigny, qui sied assez près de là, et avoit dedans trouvé et toutes pourvéances pour vivre, le roi et tout son ost, un mois entier. Si leur vint trop bien à point, car le roi fut en la ville de Guillon dès la nuit des Cendres, jusqu'en my-carême. Et toujours couroient ses maréchaux et les coureurs le pays, ardant, gâtant et exilant tout entour eux, et rafraîchissoient souvent l'ost de nouvelles pourvéances." (Chroniques. CXX.)
Quel temps que ce moyen âge! Quel régime que cette féodalité dévastatrice! Le malheureux Flavigny était désormais dégoûté de la vie publique; et ce dut être par faux calcul qu'après la mort du Téméraire il se déclara pour sa fille et s'exposa aux vengeances de Louis XI. Lorsque la Ligue eut chassé Henri III de Paris, Flavigny fut la première ville en Bourgogne à se déclarer pour le roi: c'était encore bien chanceux; mais peut-être cette fidélité était-elle forcée. Ce que demandait Flavigny, c'était le repos; et, depuis trois siècles, ses vœux ont été comblés. De temps à autre un voyageur, un touriste retour d'Alise, vient visiter ses murailles en ruine et sa belle petite église (50 mètres sur 20) au clocher carré (quinzième siècle), remarquable par la tribune qui fait le tour de la nef, et dont les deux ailes communiquent par un jubé. L'édifice, en partie du treizième siècle, est original.
La porte du Val, que nous reproduisons, paraît dater du quinzième siècle. Elle ressemble beaucoup à la porte Saint-Jean de Provins, plus vieille de cent ans peut-être. C'est, comme on peut le voir, en profondeur, un quadrilatère percé de deux grandes baies à cintres surbaissés; entre les deux ouvertures tombait sans doute une herse de fer. Les petites toitures qui coiffent les deux tours en font presque des colombiers; l'aspect rustique a remplacé l'allure guerrière. Et pourquoi non? Flavigny est-il autre chose qu'un petit bourg de onze cents âmes avec une partie haute, Preigny ou le Val-dessus, et une région déclive, le Val-Dessous, isolé de trois côtés et juchés sur une petite montagne en face du mont Auxois, à trois quarts de lieue d'Alise, à trois lieues de Semur et de Vitteaux, à quatre de Montbard?huit cents pas de long, cinq cents de large, deux mille trois cents de circonférence, constituent tout le domaine de Flavigny dans le monde. Ses armes ne sont plus qu'un emblème innocent, d'azur avec une F majuscule couronnée d'or, que les amateurs de blason peuvent accoler à l'écusson abbatial, d'azur à trois tours d'argent. Au reste, Flavigny ne se plaint pas. Quantités de vignes pendent aux flancs de sa colline abrupte et rocheuse; l'Ozerain arrose la prairie du vallon, et de l'humble bourgade se dégage le parfum de l'anis qu'on y fabrique.
Un riche couvent de dominicains a remplacé l'ancienne abbaye.
Le Magasin pittoresque, septembre 1870.
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