Une nouvelle boisson enivrante en usage chez les nègres
de la Guinée française.
de la Guinée française.
A quelque race qu'il appartienne, l'homme fait preuve d'une remarquable ingéniosité toutes les fois qu'il est talonné par la nécessité. Cette vérité banale devient particulièrement éclatante quand il poursuit la satisfaction d'un besoin qu'il s'est artificiellement imposé.
Personne n'a jamais mis en doute que l'alcool, sous toutes ses formes, ne possède un attrait invincible pour les populations primitives, ni que le désir de se procurer en abondance la précieuse drogue, n'ait plus fait, pour établir des relations amicales entre sauvages et civilisés, que les négociations les plus habiles des explorateurs et les prédications les plus émouvantes des missionnaires.
Les gouvernements civilisés, pris d'un remord tardif, ont résolu, sinon de réparer les désastres qu'a provoqués la dispersion de l'eau-de-feu, du moins d'enrayer le fléau que leur ignorance, puis leur cupidité leur avait fait lâcher à travers le monde. Des ligues anti-alcooliques, des conférences internationales, des prohibitions fiscales ont été édictées pour refréner l'abus des liqueurs fortes chez les peuples inférieurs, en attendant que les races dites supérieures donnent l'exemple de la sobriété.
De son côté, l'Islam et ses lois d'abstinence apportent un véritable appui à cette croisade contre l'intempérance, du moins sur la terre d'Afrique, et les pratiques religieuses viennent en aide à l'hygiène et à la philanthropie.
Mais quand bien même nous parviendrions à empêcher l'introduction de l'alcool européen dans nos colonies africaines, nous n'aurions pas pour cela extirpé l'ivrognerie! A défaut de l'eau-de-vie des Blancs, l'indigène s'entend merveilleusement à fabriquer, avec les moyens que lui fournit la nature, des liquides qui lui procurent une bienheureuse ivresse. Sans peine, il reviendra à ses anciennes boissons, dont l'Islam n'a pas réussi à lui faire oublier la recette et que, seule, la facilité de se procurer de l'alcool européen lui avait fait négliger, dans certaines provinces du littoral.
Au lieu de louer ses bras sur les chantiers et sur les routes de portage, au lieu de courir la brousse pour ramasser les quelques sacs de palmistes et les quelques boules de caoutchouc dont le prix lui servira à payer une caisse de gin ou une dame-jeanne de rhum de traite, le bon nègre se remettra à saccager les forêts de palmiers, de raphias et de rôniers, pour en tirer du vin de palme. Le Mandingue prendra sur sa maigre ration de mil ou de maïs, de quoi remplir ses jarres de dolo (1). Le Koniagui se gorgera d'hydromel; le Peulh fera macérer les fruits sucrés du houobé (2) du manpata (3) et du bananier, et s'enivrera entre deux prières. Le "christian" portugais, papel ou manjake, reprendra son bizarre alambic, composé d'une poterie et d'un vieux canon de fusil et, bouilleur de cru d'un nouveau genre, ira distiller sans trêve sous les bosquets d'anacardes. Enfin, nos Noirs de la Basse-guinée redemanderont au Bili d'égayer leurs fêtes nocturnes, de son ivresse batailleuse et bruyante (4).
Et malgré la suppression du pernicieux alcool, les villages de l'Ouest africain continueront, comme par le passé, à s'emplir chaque nuit du tumulte de l'ivrognerie, jusqu'au jour où la civilisation se sera décidée à éveiller la raison et l'intelligence des indigènes avec des méthodes moins simplistes que des mesures douanières.
La récolte du vin de palmier et la fabrication du "dolo" sont bien connues par les récits des voyageurs. Mais la préparation du "Bili", entourée de cérémonies quasi-mystérieuses, ne nous paraît pas avoir été décrite jusqu'à ce jour. Cette boisson est cependant d'un usage journalier chez les Baga, qui occupent la zone littorale qui s'étend de l'île de Konakry aux bouches du Rio Nuñez. Les tribus voisines, Landouman, Tymné et Foulakounda, en font également usage, et les Soussou, pour la plupart musulmans, s'y adonnent volontiers, affirmant toutefois que le "bili" n'est qu'une simple médecine, dont le Prophète n'a jamais spécifié l'abstention!
Le "Bili", dont le nom signifie racine en langue indigène, s'obtient par macération dans l'eau d'un rhizome, le "gningni", auquel on fait subir précédemment un traitement particulier.
La plante qui fournit le "gningni" est bien connue: Oliver en donne une bonne description. C'est le Dissotis grandiflora de la Famille des Mélastomacées. Elles extrêmement commune dans toute la Basse-Guinée et même sur les plateaux de Foûta-Dialon, où on la rencontre de préférence dans les terrains argilo-sablonneux. Les indigènes ne la cultivent pas.
Quelques semaines après que les incendies de brousse ont débarrassé le sol de ses herbes desséchées, le Dissotis à grandes fleurs sort de terre: aux premières pluies, il a atteint sa taille définitive qui ne dépasse pas 50 à 60 centimètres. Ses tiges dressées, velues et rougeâtres, ses feuilles découpées et pubescentes rappellent assez bien l'Ortie rouge de nos pays. Ses larges fleurs roses mauves s'étalent à la fraîcheur du matin, et se fanent quand le soleil est au zénith. Son feuillage qui persiste pendant toute la durée de l'hivernage, n'a rien à redouter des animaux herbivores, ni même des sauterelles.
A 40 ou 50 cm sous terre, la racine se gonfle en un tubercule, ou plus exactement en un rhizome dont la forme et le volume sont en tout semblables à celui du topinambour. Les noirs les récoltent un peu avant la poussée des feuilles, au moment où les bourgeons ressemblent à des dents (gningni).
La saveur du gningni est à la fois douceâtre et amère: le bétail et même les porcs refusent de le manger.
Quand les indigènes ont recueilli une quantité suffisante de racines pour leur provision annuelle, ils les nettoient soigneusement et les étendent au soleil; la dessiccation est complète au bout d'une quinzaine de jours; on les bat ensuite à l'aide d'un maillet de bois jusqu'à ce que leurs fibres soient complètement dissociées; elles présentent alors l'aspect de racines de chiendent, grossièrement hachées.
Jusque là ce sont les femmes et les enfants du village qui se sont chargés du gningni; mais les autres phases de la préparation sont réservées aux matrones spécialement qualifiées pour cette besogne. Sur une dalle de roche, elles disposent les racines en un tas qu'elles recouvrent de branchages serrés; le tout, enduit d'une épaisse couche d'argile, rappelle tout à fait les meules de nos charbonniers. Elles y mettent le feu et surveillent l'opération qui dure plusieurs jours.
Le produit qu'elles obtiennent, par cette cuisson en vase clos, a l'aspect de la chicorée torréfiée. Elles le recueillent avec soin et le transportent dans des cases ad hoc, basses et obscures. C'est là le temps difficile de l'opération: tour à tour, elle étendent le gningni sur le sol de la case et le mettent en petits tas. Un défaut de surveillance ou l'oubli d'une parole magique et voilà le résultat compromis: le bili sentira le moisi, à moins que les esprits enivrants ne refusent tout à fait de pénétrer dans la case!
Quand elles jugent que la drogue est à point, les mégères l'entassent avec précaution dans des paniers de raphia, qu'elle suspendent à l'abri de la lumière et de l'humidité. Le bili ainsi préparé, peut, dit-on, se conserver pendant plusieurs années. Survient-il dans le village un événement qui nécessite des libations, les hommes vont humblement présenter leur requête aux "gardiennes du bili" qui ne leur donne satisfaction qu'après avoir épuisé une prodigieuse litanie d'invectives, au cours de laquelle la fainéantise et la gourmandise masculines sont stigmatisés comme il convient.
Sur la place du village ou dans le bois sacré le plus voisin, se dresse une énorme jarre en poterie; dans les pays soussou, c'est une grande pirogue en bois de benténier (5), du même modèle que celle qui servent à la navigation.
Ce sont là les récipients dans lesquels on prépare le breuvage pour tout le monde. En rien de temps, jarres ou pirogues sont remplies d'eau et la foule apporte à cette opération infiniment plus d'ardeur que s'il s'agissait d'amener de l'eau pour un incendie!
Puis la doyenne des matrones jette dans le vase une quantité convenable de cendres blanches qu'elle a préparé en incinérant des fruits de rônier ou des écorces d'ériodendron. Enfin elle y ajoute la dose voulue de gningni.
Pendant 5 à 6 heures, la vieille remue le mélange à l'aide d'un long bambou; de temps en temps, elle goûte le breuvage d'un air entendu, tandis que les yeux de la foule suivent anxieusement ses gestes.
Quand le moment est venu, les jeunes filles distribuent la boisson dans de grandes calebasses qui passent de main en main: hommes, femmes et enfants se gorgent de bili et s'époumonent en des danses frénétiques, jusqu'à ce que le lourd sommeil de l'ivresse ait calmé tout le village.
Tout est prétexte à beuveries: les naissances, les circoncisions, les mariages, les divorces, les funérailles, les récoltes, la venue d'un étranger, les phases de la lune, et même tout simplement la soif. Les adultes considèrent d'ailleurs qu'il est particulièrement dangereux pour la santé de s'endormir sans avoir plusieurs litres de bili dans l'estomac.
Le noir qui part en voyage n'oublie jamais d'emporter dans sa gibecière une provision de gningni, pour ne pas être exposé à manquer de son breuvage préféré.
L'ivresse que procure le bili ressemble beaucoup à celle de l'alcool; elle affecte d'ailleurs de symptômes différents selon le degré d'accoutumance du sujet. C'est, nous a-t-il semblé, une vive excitation qui se manifeste par des mouvements désordonnés et des chants, puis une hébétude profonde qui se termine dans un sommeil torpide. Chez l'adulte, habitué depuis longtemps, la période de stupeur s'établit d'entrée.
L'ivresse nous a paru se produire plus rapidement que chez les buveurs de vin de palme: les accidents gastriques sont également plus marqués. Nous avons rapporté en France, il y a quelques années, des échantillons de gningni préparé, mais les mauvais traitements que nos bagages avaient eu à subir en mer, avaient sans doute altéré ce produit. L'analyse qui en a été faite au Jardin Colonial ne nous a pas fixé sur la composition du bili. On a trouvé dans la racine fraîche, de l'amidon et une substance extractive amère. Mais le gnigni, mis dans l'eau alcalinisée, n'a pas donné d'alcool, même au bout de plusieurs jours de macération; les micro-organismes, si toutefois il en existe de spécifiques, ne se sont pas développés.
Le bili est-il une liqueur alcoolique, dont l'alcool serait produit aux dépens de l'amidon par un organisme particulier qui pullulerait en 6 heures, à froid et en présence d'un alcali?
Ne serait-ce pas, d'autre part, l'existence d'une matière spéciale qui produirait chez l'homme des phénomènes d'excitation et de stupeur? Il nous est impossible de répondre à ces questions. L'une ou l'autre hypothèse nous paraissent de nature à exciter la curiosité des chercheurs, bien que le besoin d'un nouveau stupéfiant ne se fasse pas absolument sentir en France.
Dr Maclaud
(1) Bière de mil ou de maïs, fabriquée dans tout le Soudan occidental.
(2) Arbuste de la famille des Clusiacées, dont le fruit est très sucré.
(3) Mampata ou sougué, parinarium excelsa. Rosacées.
(4) R. Caillé l'appelle jin-jin-di.
(5) Eriodendron anfractuosum, famille des Malvacées.
La Nature, 2ème semestre 1907.
Au lieu de louer ses bras sur les chantiers et sur les routes de portage, au lieu de courir la brousse pour ramasser les quelques sacs de palmistes et les quelques boules de caoutchouc dont le prix lui servira à payer une caisse de gin ou une dame-jeanne de rhum de traite, le bon nègre se remettra à saccager les forêts de palmiers, de raphias et de rôniers, pour en tirer du vin de palme. Le Mandingue prendra sur sa maigre ration de mil ou de maïs, de quoi remplir ses jarres de dolo (1). Le Koniagui se gorgera d'hydromel; le Peulh fera macérer les fruits sucrés du houobé (2) du manpata (3) et du bananier, et s'enivrera entre deux prières. Le "christian" portugais, papel ou manjake, reprendra son bizarre alambic, composé d'une poterie et d'un vieux canon de fusil et, bouilleur de cru d'un nouveau genre, ira distiller sans trêve sous les bosquets d'anacardes. Enfin, nos Noirs de la Basse-guinée redemanderont au Bili d'égayer leurs fêtes nocturnes, de son ivresse batailleuse et bruyante (4).
Et malgré la suppression du pernicieux alcool, les villages de l'Ouest africain continueront, comme par le passé, à s'emplir chaque nuit du tumulte de l'ivrognerie, jusqu'au jour où la civilisation se sera décidée à éveiller la raison et l'intelligence des indigènes avec des méthodes moins simplistes que des mesures douanières.
La récolte du vin de palmier et la fabrication du "dolo" sont bien connues par les récits des voyageurs. Mais la préparation du "Bili", entourée de cérémonies quasi-mystérieuses, ne nous paraît pas avoir été décrite jusqu'à ce jour. Cette boisson est cependant d'un usage journalier chez les Baga, qui occupent la zone littorale qui s'étend de l'île de Konakry aux bouches du Rio Nuñez. Les tribus voisines, Landouman, Tymné et Foulakounda, en font également usage, et les Soussou, pour la plupart musulmans, s'y adonnent volontiers, affirmant toutefois que le "bili" n'est qu'une simple médecine, dont le Prophète n'a jamais spécifié l'abstention!
Le "Bili", dont le nom signifie racine en langue indigène, s'obtient par macération dans l'eau d'un rhizome, le "gningni", auquel on fait subir précédemment un traitement particulier.
La plante qui fournit le "gningni" est bien connue: Oliver en donne une bonne description. C'est le Dissotis grandiflora de la Famille des Mélastomacées. Elles extrêmement commune dans toute la Basse-Guinée et même sur les plateaux de Foûta-Dialon, où on la rencontre de préférence dans les terrains argilo-sablonneux. Les indigènes ne la cultivent pas.
Quelques semaines après que les incendies de brousse ont débarrassé le sol de ses herbes desséchées, le Dissotis à grandes fleurs sort de terre: aux premières pluies, il a atteint sa taille définitive qui ne dépasse pas 50 à 60 centimètres. Ses tiges dressées, velues et rougeâtres, ses feuilles découpées et pubescentes rappellent assez bien l'Ortie rouge de nos pays. Ses larges fleurs roses mauves s'étalent à la fraîcheur du matin, et se fanent quand le soleil est au zénith. Son feuillage qui persiste pendant toute la durée de l'hivernage, n'a rien à redouter des animaux herbivores, ni même des sauterelles.
A 40 ou 50 cm sous terre, la racine se gonfle en un tubercule, ou plus exactement en un rhizome dont la forme et le volume sont en tout semblables à celui du topinambour. Les noirs les récoltent un peu avant la poussée des feuilles, au moment où les bourgeons ressemblent à des dents (gningni).
La saveur du gningni est à la fois douceâtre et amère: le bétail et même les porcs refusent de le manger.
Quand les indigènes ont recueilli une quantité suffisante de racines pour leur provision annuelle, ils les nettoient soigneusement et les étendent au soleil; la dessiccation est complète au bout d'une quinzaine de jours; on les bat ensuite à l'aide d'un maillet de bois jusqu'à ce que leurs fibres soient complètement dissociées; elles présentent alors l'aspect de racines de chiendent, grossièrement hachées.
Jusque là ce sont les femmes et les enfants du village qui se sont chargés du gningni; mais les autres phases de la préparation sont réservées aux matrones spécialement qualifiées pour cette besogne. Sur une dalle de roche, elles disposent les racines en un tas qu'elles recouvrent de branchages serrés; le tout, enduit d'une épaisse couche d'argile, rappelle tout à fait les meules de nos charbonniers. Elles y mettent le feu et surveillent l'opération qui dure plusieurs jours.
Le produit qu'elles obtiennent, par cette cuisson en vase clos, a l'aspect de la chicorée torréfiée. Elles le recueillent avec soin et le transportent dans des cases ad hoc, basses et obscures. C'est là le temps difficile de l'opération: tour à tour, elle étendent le gningni sur le sol de la case et le mettent en petits tas. Un défaut de surveillance ou l'oubli d'une parole magique et voilà le résultat compromis: le bili sentira le moisi, à moins que les esprits enivrants ne refusent tout à fait de pénétrer dans la case!
Les "gardiennes du bili". |
Quand elles jugent que la drogue est à point, les mégères l'entassent avec précaution dans des paniers de raphia, qu'elle suspendent à l'abri de la lumière et de l'humidité. Le bili ainsi préparé, peut, dit-on, se conserver pendant plusieurs années. Survient-il dans le village un événement qui nécessite des libations, les hommes vont humblement présenter leur requête aux "gardiennes du bili" qui ne leur donne satisfaction qu'après avoir épuisé une prodigieuse litanie d'invectives, au cours de laquelle la fainéantise et la gourmandise masculines sont stigmatisés comme il convient.
Sur la place du village ou dans le bois sacré le plus voisin, se dresse une énorme jarre en poterie; dans les pays soussou, c'est une grande pirogue en bois de benténier (5), du même modèle que celle qui servent à la navigation.
Jarre destinée à la préparation du bili, chez les Baga foré. |
Ce sont là les récipients dans lesquels on prépare le breuvage pour tout le monde. En rien de temps, jarres ou pirogues sont remplies d'eau et la foule apporte à cette opération infiniment plus d'ardeur que s'il s'agissait d'amener de l'eau pour un incendie!
Puis la doyenne des matrones jette dans le vase une quantité convenable de cendres blanches qu'elle a préparé en incinérant des fruits de rônier ou des écorces d'ériodendron. Enfin elle y ajoute la dose voulue de gningni.
Pendant 5 à 6 heures, la vieille remue le mélange à l'aide d'un long bambou; de temps en temps, elle goûte le breuvage d'un air entendu, tandis que les yeux de la foule suivent anxieusement ses gestes.
Quand le moment est venu, les jeunes filles distribuent la boisson dans de grandes calebasses qui passent de main en main: hommes, femmes et enfants se gorgent de bili et s'époumonent en des danses frénétiques, jusqu'à ce que le lourd sommeil de l'ivresse ait calmé tout le village.
Tout est prétexte à beuveries: les naissances, les circoncisions, les mariages, les divorces, les funérailles, les récoltes, la venue d'un étranger, les phases de la lune, et même tout simplement la soif. Les adultes considèrent d'ailleurs qu'il est particulièrement dangereux pour la santé de s'endormir sans avoir plusieurs litres de bili dans l'estomac.
Le noir qui part en voyage n'oublie jamais d'emporter dans sa gibecière une provision de gningni, pour ne pas être exposé à manquer de son breuvage préféré.
L'ivresse que procure le bili ressemble beaucoup à celle de l'alcool; elle affecte d'ailleurs de symptômes différents selon le degré d'accoutumance du sujet. C'est, nous a-t-il semblé, une vive excitation qui se manifeste par des mouvements désordonnés et des chants, puis une hébétude profonde qui se termine dans un sommeil torpide. Chez l'adulte, habitué depuis longtemps, la période de stupeur s'établit d'entrée.
L'ivresse nous a paru se produire plus rapidement que chez les buveurs de vin de palme: les accidents gastriques sont également plus marqués. Nous avons rapporté en France, il y a quelques années, des échantillons de gningni préparé, mais les mauvais traitements que nos bagages avaient eu à subir en mer, avaient sans doute altéré ce produit. L'analyse qui en a été faite au Jardin Colonial ne nous a pas fixé sur la composition du bili. On a trouvé dans la racine fraîche, de l'amidon et une substance extractive amère. Mais le gnigni, mis dans l'eau alcalinisée, n'a pas donné d'alcool, même au bout de plusieurs jours de macération; les micro-organismes, si toutefois il en existe de spécifiques, ne se sont pas développés.
Le bili est-il une liqueur alcoolique, dont l'alcool serait produit aux dépens de l'amidon par un organisme particulier qui pullulerait en 6 heures, à froid et en présence d'un alcali?
Ne serait-ce pas, d'autre part, l'existence d'une matière spéciale qui produirait chez l'homme des phénomènes d'excitation et de stupeur? Il nous est impossible de répondre à ces questions. L'une ou l'autre hypothèse nous paraissent de nature à exciter la curiosité des chercheurs, bien que le besoin d'un nouveau stupéfiant ne se fasse pas absolument sentir en France.
Dr Maclaud
(1) Bière de mil ou de maïs, fabriquée dans tout le Soudan occidental.
(2) Arbuste de la famille des Clusiacées, dont le fruit est très sucré.
(3) Mampata ou sougué, parinarium excelsa. Rosacées.
(4) R. Caillé l'appelle jin-jin-di.
(5) Eriodendron anfractuosum, famille des Malvacées.
La Nature, 2ème semestre 1907.
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