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lundi 23 mai 2016

Des sorciers chez les peuples soumis à la domination russe.

Des sorciers chez les peuples soumis à la domination russe.



Les sorciers en Russie ont un caractère commun qui consiste dans la singularité de leur costume et dans les fatigues qu'ils se donnent pour en imposer à la multitude.
Lorsqu'ils sont appelés à exercer leur ministère, ils revêtent une longur robe de cuir, parsemée d'idoles de tôle, de chaînes, d'anneaux, de sonnettes, de morceaux de fer, de queues d'oiseaux de proie et de bandes de fourrure; leur bonnet, couvert des mêmes ornements, est en outre surmonté de plumes de hibou.
Presque tous portent un instrument qui joue le principal rôle dans leurs prestiges; c'est un tambour ovale, long de trois pieds, recouvert d'un côté seulement par une peau sur laquelle sont dessinées des images d'idoles, d'astres et d'animaux; sous cette peau sont attachées de petites clochettes dont le bruit aigu se mêle au son grave et lugubre que rend le tambour sous les coups réitérés d'une baguette enveloppée de peau.
Le lieu que choisit ordinairement un sorcier pour se livrer à la pratique de son art mystérieux, est une hutte souterraine éclairée par la flamme d'un monceau de bois qui brûle au milieu. Là, il commence par aspirer avec force de la fumée de tabac; puis, lorsqu'il s'est ainsi procuré une ivresse qui le fait paraître aux yeux des assistants comme animé d'une sainte inspiration, il se livre à d'effroyables contorsions, grimaçant d'une manière horrible, et bondissant autour du brasier; sa bouche se tord, ses yeux sortent de leur orbite; il frappe ses mains l'une contre l'autre, et, poussant de grands cris, appelle tous les dieux par leur nom; bientôt un tremblement général s'empare de ses membres, et il paraît enfin tomber dans un profond évanouissement. Frappés alors de terreur et d'anxiété, les assistants attendent, dans un silence recueilli, le moment où reviendra l'âme du devin qu'ils croient s'être séparée de son corps pour aller converser avec les dieux malfaisants et obtenir d'eux la connaissance de l'avenir. En effet, après avoir plus ou moins prolongé cet état de prostration simulée, le sorcier se lève, répond aux demandes qui lui ont été adressées, et rend ses oracles.
Il arrive souvent que les mouvements imprimés à leurs yeux, dans les convulsions auxquelles ils se livrent, ont pour résultat de produire chez ces devins une cécité prématurée; mais cette infirmité est regardée comme une faveur céleste par le peuple qui, pour cette raison, les entoure encore de plus de soins et de respects.
Dans le Kamtchatka, c'est aux femmes qu'est réservé le don de lire dans l'avenir; remplissant à la fois les fonctions de prêtresse et de magicienne, elles n'ont ni le tambour ni le costume que nous avons décrits, et pour leurs sortilèges elles emploient des procédés plus simples et moins fatigants; c'est seulement à l'inspection des lignes de la main, et en prononçant à voix basse quelques paroles sur des ouïes ou des nageoires de poisson, qu'elles prétendent expliquer les songes et guérir les maladies.
Les sorciers Koriaks se contentent d'immoler un chien ou un renne, et de frapper sur un tambour pendant le sacrifice.
Les Tungouses regardent comme appelés au sacerdoce, par une vocation divine, ceux de leurs enfants qui sont sujets aux convulsions et aux saignements de nez.
Les Lapons idolâtres attribuent à leurs magiciens le pouvoir d'évoquer les esprits, d'appeler et de chasser les insectes, de vendre le vent et la pluie, de disposer enfin de toute la nature.
Les sorciers Kirguis jettent dans le feu l'os d'une épaule de mouton, et pour eux l'avenir se dévoile dans les fentes qui s'y sont formées; ils observent aussi, pour les guider dans leurs prédictions, les vibrations de la corde d'un arc qui se détend.
Chez les Bachkirs, il y a de ces imposteurs qui font métier de conjurer les malins esprits; ils prétendent les voir, les poursuivre, les combattre et les blesser. Une femme bachkir, raconte un voyageur, ayant été atteinte de tranchées spasmodiques vers la fin de sa grossesse, on fit venir un sorcier pour chasser le démon malfaisant dont la présence avait causé cette maladie. Une foule de jeunes gens des deux sexes furent réunie dans la hutte du malade, afin d'en imposer à l'esprit malin; après un léger repas, ils se mirent tous à danser en jetant des cris perçants; au milieu d'eux, le sorcier, armé d'un sabre et d'un mousquet, se faisait remarquer par une danse plus animée, par des cris plus aigus et par d'horribles contorsions; quand cette première cérémonie eut duré quelques temps, il ordonna aux trois homme les plus vigoureux de l'assemblée de saisir les pans de son habit et leur recommanda bien de ne pas les lâcher pendant qu'il combattait l'esprit. Ces préliminaires terminés et le tumulte ayant fait place à un profond silence, on vit les traits du sorcier s'altérer et la fureur se peindre sur son visage; tout à coup il s'approcha de la fenêtre, mit en joue l'esprit qu'il feignit d'apercevoir, tira, s'élança hors de la chambre, se mit à courir, à pousser des hurlements affreux, à frapper l'air de son sabre, et revint assurant qu'il avait blessé l'esprit malfaisant. La malade mourut quelques instants après: le bruit et la frayeur l'avait tuée.

Le Magasin pittoresque, avril 1838.

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