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samedi 7 mai 2016

Une station thermale dans l'antiquité.

Une station thermale dans l'antiquité.



La curieuse coupe représentée ci-dessous fut trouvée, à la fin du siècle dernier, en Espagne, dans le val d'Otañez, a peu de distance de Santander et de la mer, dans les provinces basques. Elle ne fut connue des savants que trente ans environ après sa découverte, et on ne sait aujourd'hui ce qu'elle est devenue.




Heureusement, un dessin en avait été pris pour l'Académie d'histoire de Madrid, dessin d'une grande fidélité, à en juger par le caractère général, la physionomie vraiment antique de tous les détails et la forme des inscriptions. On peut même, d'après les indices qu'elle fournit, fixer l'époque où cette coupe a dû être fabriquée, au milieu du deuxième siècle de l'ère chrétienne.
Elle était en argent et, d'après les proportions, on estime qu'elle devait peser environ trente-trois onces espagnoles, mesure qui s'accorde avec l'inscription gravée au revers: L. P. CORNELIANI-III-II, indiquant à la fois le poids net de l'objet, trois livres et deux scrupules et le nom du possesseur, L. Pompeius Cornelianus.
Il n'est pas aussi facile de dire où était situé la source médicale qui portait le nom, d'ailleurs très-clairement indiqué par l'inscription qu'on lit au fond de la coupe, et qui est une dédicace de l'objet lui-même à la nymphe de la source d'Umeri. Cette désignation ne se rapporte à aucun endroit connu aujourd'hui en Espagne. Il se pourrait d'ailleurs que la coupe ait été fabriquée dans un endroit fort éloigné de celui où elle fut trouvée.
Il ne manque pas d'exemples qui prouvent que les buveurs ou les baigneurs qui visitaient les sources y apportaient ou en emportaient des vases et d'autres objets; témoin ces gobelets d'argent découverts en Italie, à Vicarello, où étaient jadis les eaux fameuses appelées Aquæ Apollinares, et sur lesquels était gravé un itinéraire complet de Gades (Cadix) à Rome. Avec ces gobelets, on trouva d'autres vases d'argent et d'airain, et surtout une grande quantité de monnaies de tous les temps de la république romaine et de l'empire, ou des lames de plomb sur lesquelles étaient gravées quelques caractères qui les ont fait reconnaître comme des ex-voto. Ailleurs, on a rencontré des mains, des bras, des jambes ou d'autres parties du corps, modelés dans l'argile ou sculptés dans la pierre, et qui sont aussi des offrandes faites par les malades aux nymphes et aux autres divinités à qui ils attribuaient leur guérison.
La coupe dédiée à la source d'Umeri est le plus intéressant et le plus précis dans ses détails des monuments figurés se rapportant à l'usage des eaux. Elle nous montre la nymphe même de cette source dans la pose ordinaire des fleuves, épanchant de son urne un flot abondant, qui est recueilli dans un bassin de pierre. Là, un homme, vêtu comme étaient les esclaves, puise l'eau pour en remplir un grand vaisseau; d'autres, plus bas, en versent, à l'aide d'amphore, dans une de ces vastes outres qu'on chargeait sur des voitures pour transporter aussi d'autres liquides, comme l'huile et le vin. Les peintures de Pompéi en ont fourni des modèles. L'eau d'Umeri était donc de celles qui ne perdent pas leur vertu bienfaisante en étant transportée au loin. Un autre esclave offre, sur la droite, un gobelet plein d'eau à un vieillard assis dans un fauteuil de malade. On voit encore, au fond de la coupe deux autres figures: l'une est celle d'un berger sacrifiant sur un autel, l'autre celle d'un personnage en toge faisant au-dessus d'un autre autel une libation. Ces deux cérémonies témoignent de la vénération en laquelle la nymphe était tenue auprès des gens de toutes conditions qui venaient lui demander la santé.
Les sources minérales étaient déjà très-fréquentées par les anciens. (1)
"Ils en connaissaient un grand nombre, et auprès de la plupart d'entre elles l'affluence des baigneurs et des buveurs avait formés de véritables stations de malades. Elles sont ordinairement désignées par les écrivains sous le nom de Aquæ: telles sont, pour ne citer que quelques-unes de ces eaux restées célèbres dans notre pays, Aquæ  Sextine (Aix en Provence), Aquæ Gratianæ ou Allobrogum (Aix en Savoie), Aquæ Convenarum (Bagnères), Aquæ Bormonis (Bourbon-l'Archambault), Aquæ Neri ou Neriomagienses (Néris), Aquæ Calidæ (Vichy), etc. Les noms modernes de beaucoup de localités où entrent les formes Aigues, Aix, Ax ou Dax, rappellent l'ancienne désignation. De même, Thermæ étaient le nom de divers endroits où se trouvaient des sources chaudes, parmi lesquels le plus renommé pour ce motif était Thermæ ou Therma, aujourd'hui Termini, au nord de la Sicile. Cette station fut fondée après la destruction d'Himère par les Carthaginois, non loin de cette ville déjà connue par les mêmes eaux minérales. On voit sur les monnaies de Thermæ, d'un côté la tête d'Hercule, et de l'autre les nymphes qui, d'après Diodore de Sicile, pour complaire à Minerve, firent jaillir la source destinée à réparer les forces du héros qu'elle protégeait; et sur celle d'Himère, Hercule recevant sur son épaule l'eau qui s'épanche du masque de lion d'une fontaine. On peut rapprocher de ces médailles des bas-reliefs, des pierres gravées et des inscriptions où Hercule se trouve réuni aux nymphes et considéré comme présidant aux eaux chaudes.
Suivant une autre légende, c'était Minerve elle-même, selon d'autres encore, c'était Vulcain, qui avait fait couler aux Thermopyles, sur le bord de la mer, les sources sulfureuses où Hercule le premier retrempa ses forces. On retrouve en beaucoup d'endroits des traditions semblables, attribuant à Hercule la découverte des eaux thermales et expliquant pourquoi ces eaux étaient appelées bains d'Hercule et lui étaient consacrées.
L'indication qu'on rencontre dans les écrivains anciens, de sources dans le voisinage d'Esculape et des asiles qui y étaient ouverts aux malades, semblent attester qu'elles servaient à la médication; en tout cas, beaucoup d'eaux thermo-minérales sont mentionnées par les auteurs et par les inscriptions, tant dans la Grèce continentale que dans les îles et en Asie.
Mais à quelle époque les Grecs commencèrent-ils à faire usage de ces eaux? Pline a remarqué qu'Homère n'en avait point parlé. Cependant il est question dans l'Iliade de la source chaude du Scamandre, qui mêle ses eaux fumantes à celles d'une autre source glacée. Hippocrate connaissait leurs effets, mais rien ne prouve que leur emploi eût passé dès le temps où il vivait dans la pratique médicale.
Les eaux de Scotussa en Thessalie, celles d'Ædepsus en Eubée, sont mentionnées par Aristote; ces dernières étaient fréquentées par les malades au moins dès le troisième siècle avant Jésus-Christ, et devinrent par la suite une station recherchée autant pour les agréments qu'on y trouvait réunis que pour les soins de la santé; il en était de même des eaux de Lébédos, de Téion et d'autres indiquées par Pausanias. Elles étaient visitées surtout au printemps et à l'automne.
Les Romains dépassèrent de beaucoup les Grecs par l'emploi et par les applications variées qu'ils firent des eaux dans les maladies. L'Italie était riche en eaux thermo-minérales. Les écrivains grecs et latins du temps des Césars, de même que les nombreuses inscriptions découvertes près des sources, font foi que les malades s'y portaient en foule, et que dès lors beaucoup de gens en faisaient aussi des lieux de plaisir. Déjà du temps de Caton le Censeur, on faisait un grand usage des eaux minérales; car Plutarque l'affirme, dans la Vie de ce Romain célèbre, qu'il acheta des sources naturelles d'eau chaude, comme étant plus productives que des champs cultivés. Il résulte également des mêmes documents que les Romains préféraient les eaux thermales aux eaux minérales froides. Il est probable que cette préférence tenait à ce qu'ils étaient très-adonnés à l'usage des bains chauds, qui faisaient, pour ainsi dire, partie de leur vie domestique.
Les villes d'eaux thermales étaient, anciennement comme aujourd'hui, tout à la fois des lieux de traitement pour les malades et des endroits de plaisir et de mode pour les gens bien portants. Aucune n'égalait, sous ce rapport, les thermes fameux de Baïes, qui représentait à la fois toutes les délices que peuvent réunir la nature et l'art. Strabon, Josèphe et plusieurs auteurs disent que ces eaux attiraient un immense concours de baigneurs, mais qu'on y venait chercher moins encore la santé que les plaisirs de tout genres. Cicéron déjà, et après lui les auteurs du temps des Césars, célébraient Baïes comme un lieu de délices où tout concourait à l'agrément des visiteurs, et qui retentissait incessamment du bruit des concerts.
Quant aux traitements que suivaient les malades, ils ne différaient pas sensiblement de ceux qui sont mis en usage de nos jours. Les anciens, en effet, avaient appris par l'expérience la plupart des applications des eaux thermales aux diverses maladies. C'est ainsi qu'ils les employaient en boissons, en bains et en douches. Ils faisaient un grand usage de la vapeur et même des boues minérales. Bien plus, au dire de Pline, ils employaient l'eau de mer elle-même, froide ou chauffée, en bains, en douches, en clystères et même en boisson comme purgatif. Ils en faisaient d'artificielle pour être employée loin de la mer. Malgré leur défaut absolu de toutes connaissances chimiques, ils avaient appris à distinguer les divers caractères des eaux thermales et à les diviser en espèces suivant qu'elles contenaient du souffre, de l'alun, du nitre, du sel, du bitume, de la chaux, du cuivre, du fer. On peut voir, dans le livre XXXI de l'Histoire naturelle de Pline jusqu'à quel point l'observation leur avait enseigné à employer telles ou telles eaux dans les différentes maladies, en variant les espèces et les caractères des affections diverses qui affligent l'homme. Presque aucune des stations n'a échappé à l'exploitation des Romains; et, à la grandeur des ruines qu'on y a retrouvées, on peut voir combien l'affluence des baigneurs y était considérable. Il y a aussi des raisons de croire que les Gaulois en faisaient usage même avant la conquête de César.
On rencontre partout sur le territoires des Gaules, comme dans tout le monde ancien, des traces du culte qui s'adressait aux divinités des eaux; elles se trouvent particulièrement dans le voisinage des sources qui sont restées célèbres par leurs propriétés médicales.


(1) Ce qui suit est extrait du Dictionnaire des antiquités grecques et romaines publié par la maison Hachette, au mot AQUÆ.

Le Magasin pittoresque, février 1876.





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