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vendredi 8 mai 2015

La vie mondaine.

La vie mondaine.


Vous connaissez l'événement? L'Odéon, en cette quinzaine, s'est transformé en Opéra et en un Opéra moderne, où le grand art triomphe, accompagné des somptuosités de la haute vie parisienne et de tous les raffinements de la plus exquise élégance.
C'est la Société des Grandes Auditions musicales de France qui a opéré cette métamorphose. On sait que cette association, tentative hardie dont l'honneur revient à Mme la comtesse de Greffülhe, soutenue par un groupe d'amis, n'est fondée que depuis quelques semaines; son but est d'assurer enfin à notre pays la primeur des œuvres françaises et de mettre en lumière les maîtres d'autrefois, dont les chefs-d'oeuvre, toujours expatriés, sont inconnus de la majorité des français.
L'oeuvre méritait certainement l'éclatant succès qu'elle vient de remporter auprès du Tout-Paris intellectuel, artistique et mondain qui a tenu à s'y associer et a versé dans la Société nouvelle sous forme de cotisations et de souscriptions, des sommes assez considérables pour assurer, dès maintenant, le fonctionnement de cette haute entreprise artistique. Les souscriptions sont mêmes arrivées si nombreuses, que la salle de l'odéon s'est trouvée trop petite, et on a été forcé, pour satisfaire tout le monde, de multiplier les répétitions.
Mais parlons de la première. Quelle salle! Que d'éblouissements! Que de toilettes exquises! Que de jolis visages! Que d'épaules divines dévoilées avec une aimable libéralité! Les yeux en sont éblouis, l'esprit absorbé, si bien qu'on a, ce nous semble, prêté qu'une attention distraite aux joyaux que contenait la partition de Béatrice et Bénédict, du grand maître Berlioz, à qui est échu l'honneur d'ouvrir la série de ces auditions modèles. Mais le spectacle, ce soir de gala, est plus dans la salle que sur la scène, et il est tel que jamais on n'en vit un semblable à l'Odéon. Depuis la seconde galerie où, comme dans un nouvel Olympe, se sont réfugiées les dames patronnesses, jusqu'au parterre et aux stalles, ce ne sont que diamants et fleurs, toilettes claires et épaules nues. Citer des noms serait énumérer les plus hautes personnalités de l'Armorial. Occupons-nous des toilettes, qu'il faudrait toutes décrire pour être juste; ce sont des merveilles. 
En voici une d'un cachet très personnel, rappelant par la coupe les modes de 1830, avec le piquant et l'allure coquette de 90. Elle est en gaze hortensia, légèrement mouvementée sur la jupe que fixent des nœuds de velours ciel; le corsage décolleté est orné d'une gorgerette de gaze ciel, où brille devant une pluie de diamants fixés à une superbe rivière qui remonte jusqu'à l'épaule. Dans la coiffure du même style, enlevée en spirale sur la nuque, brille une épingle de diamant en forme de cimeterre. 
Une autre toilette de jeune fille, crêpe de Chine crème, avec corsage froncé, orné autour du décolleté d'une berthe en mousseline de soie retombant de chaque côté en coquilles jusqu'au bas de la jupe. La délicieuse coiffure grecque "fin de siècle", créée par Lenthéric, n'ayant d'autre ornement qu'une barrette d'écaille blonde, prêtait au fin visage de la jeune fille un cachet artistique très remarqué.
Il faut citer encore une riche toilette en brocart crème et or, rehaussée au point d'Alençon disposé en fichu ondulant de côté jusqu'au bas de la jupe, et illuminée par les plus beaux diamants de Golconde.
En ce moment la vie est vertigineuse dans la capitale; il semble qu'à l'approche des départs, l'affolement des plaisirs s'empare de la haute société. Ce ne sont que garden-parties, fêtes champêtres, redoutes, bals poudrés et concerts, sans compter que juin est devenu le mois classique des grands mariages. Les églises des quartiers aristocratiques, transformées en jardins d'hiver, ont vu ces derniers jours défiler tout le livre d'or de la haute société française et étrangère.
C'est toujours un enchantement que ces réunions ultra-élégantes, véritables exhibitions des plus jolis atours féminins. La maison Lipman, qui a le monopole des aristocratiques toilettes de mariées, vient de créer pour ses jeunes et jolies clientes plusieurs toilettes qui ont remportées tous les suffrages des raffinées en élégance. Celle de la jeune et belle Mme de Berly, mariée tout récemment, et dont nous publions le dessin, était un poème de goût et d'ingéniosité.



Une exquise symphonie en blanc, la toilette de Mlle de Job, dont le mariage avec M. Louis de Berges, attaché à l'état-major du général Négrier, vient d'être célébré dans la cathédrale de Reims. Imaginez une robe princesse à traîne immense en cou de cygne ivoire largement ouverte sur une jupe composée d'un adorable mélange de mousseline de soie et de point d'Alençon. Au corsage, même ornement de mousseline et de point venant de côté se confondre à la garniture de la jupe. Ce n'est pas uniquement dans la création des robes d'épousées que la maison Lipman excelle; sa virtuosité se manifeste dans tous les genres de parures; nous ne voulons en donner pour preuve que la jolie toilette que portait Mme de Job, si ingénieusement combinée en mousseline de soie glycine et point d'Angleterre, et aussi la charmante petite robe de contrat de sa fille en soie églantine voilée de tulle de Venise, ourlées de feuilles des mêmes fleurs éclairées de gouttes de rosée, idéale de jeunesse et de fraîcheur.

                                                                                                          Le Masque de velours.

Revue illustrée, juin 1890-décembre 1890.

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