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dimanche 31 mai 2015

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.


Les crinolines, dont l'importance augmente tous les jours, ont amené dernièrement un fait tellement grave qu'on ne le croirait pas s'il n'était allé retentir au tribunal;
Un riche épicier du faubourg Saint-Germain, le sieur M..., voyait souvent sa femme, jeune et jolie personne, sortir dans la journée en disant qu'elle allait se confesser. Comme il lui avait toujours vu des habitudes de dévotion, il ne s'en inquiétait pas. Cependant la semaine dernière quelques soupçons lui vinrent. Il se munit d'un fil de fer, et, tandis que sa femme était encore au lit, il prit juste la mesure du cerceau d'acier qui soutenait ses jupes. Ensuite, il se rendit à la paroisse, et tenant arrondi son fil de fer, qui portait deux mètres cinquante centimètres, il le présenta à l'entrée de tous les confessionnaux, qui n'ont que trente-cinq à quarante centimètres de largeur. Il se convainquit qu'il était impossible de l'y faire entrer.
Éclairé là-dessus, il fit d'autres recherches, et apprit que la porte d'un jeune et élégant commis de nouveautés présentait la dimension nécessaire. C'était dans sa chambre que la dame allait chaque jour de sortie et se pavanait avec son cerceau d'acier.
Le malheureux M. M... plaide en séparation.
D'autres catastrophes non moins sérieuses sont arrivées par suite de la même mode. La vicomtesse de T..., qui habitait dans son château près de Givry, s'étant trop approchée du feu avec ses ballons qui jettent les robes en avant, a été tout à coup enveloppée de flammes et aucun effort n'a pu la sauver de la mort. La femme d'un instituteur, tenant son enfant de quatre mois dans les bras, a péri de la même manière; elle n'a eu que le temps de jeter son enfant sur un fauteuil, puis elle a été dévorée par les flammes.
Les crinolines, avec l'étendue qu'elles donnent aux jupes et l'air qui circule à l'intérieur, sont extrêmement dangereuses. Autrefois ces accidents arrivaient déjà parfois, mais maintenant il brûlera des femmes tous les jours. Les maris qui veulent se débarrasser de leurs femmes ne reculent pas devant la dépense et donnent à leurs épouses les crinolines de la plus grande dimension. Méfiez-vous! mesdames, méfiez-vous!

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Dans les Alpes d'Oberland (bourg d'Interlaken), les filles du propriétaire de l'hôtel des bains, âgées, l'une de vingt ans, l'autre de seize, avaient profité de la douce température pour faire une dernière promenade dans la montagne. Elles étaient accompagnées d'un maître d'école et de deux jeunes garçons. Après  s'être reposée quelques instants sur le plateau, la petite société résolut de faire encore l'ascension du Harder, un pic aux pentes abruptes et très-élevées.
L'ascension se fit péniblement pour les deux jeunes filles; mais le retour présenta pour elles des difficultés bien autrement insurmontables; leurs pieds glissaient sur le gazon humide. Ne sachant comment les tirer de là, le maître d'école construisit une sorte de brancard avec des branches de sapin et les fit asseoir dessus; mais à peine avaient-ils fait quelques pas en avant, que les deux sœurs perdirent l'équilibre et roulèrent dans l'abîme. Lorsque leurs compagnons retrouvèrent leurs corps, l'aînée était déjà morte et la cadette rendait le dernier soupir.
Sans perdre de temps, le maître d'école descendit à Ringgenberg, laissant la garde des deux corps aux jeunes garçons. Cependant, effrayés par ce que leur position avait d'horrible et par le silence de la nuit, ces derniers ne tardèrent pas à abandonner leur poste et à regagner le chemin de la vallée. Lorsque les gens de Ringgenberg et ceux qui étaient venus d'Interlaken arrivèrent au pied de la montagne, on dut longtemps chercher le lieu du sinistre, et ce fut seulement à neuf heures du soir que les cadavres furent retrouvés. Le retour dans la vallée fut d'une tristesse navrante; de nombreuses torches projetaient leurs lueurs sur les traits pâlis des victimes. Lorsqu'on arriva au village, on trouva la mère qui venait recueillir les restes de ses enfants.

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Maintenant nous rapportons un dernier fait avec le vif désir qu'il puisse servir d'exemple.
A Lyon, un homme âgé brisait d'un coup de poing la vitrine d'un restaurateur des Brotteaux, et s'emparait d'une pièce de viande froide. Informé du fait par un de ses voisins, le restaurateur se mit à la poursuite de cet individu, qu'il atteignit bientôt. Celui-ci, se jetant à ses genoux, le supplia de ne pas le perdre, alléguant pour excuse la misère où il se trouvait, et offrant de le conduire à son domicile.
Arrivé chez le coupable, le traiteur trouva couchée sur un misérable grabat dénué de tout, même de draps et de couverture, une malheureuse femme d'une quarantaine d'années et paraissant en proie aux souffrances d'une opiniâtre maladie.
Saisi de compassion à la vue de tant de misère, l'estimable industriel, au lieu d'user de son droit rigoureux, en livrant à la police son voleur de circonstance, laissa quelques secours au couple malheureux. Peu de temps après, la femme apporta quelques objets de literie à la pauvre malade. Lui-même se livra à d'actives démarches pour la faire recevoir à l'Hôtel-Dieu. En attendant, et pour que le mari ne restât pas sans moyen d'existence, il le prit comme garçon dans son propre établissement.
De tels faits peuvent se passer d'éloges.

                                                                                                                Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 24 janvier 1858.

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