De Naples à Paris.
La vie à bon marché.
La vie à bon marché.
Très suggestive la première partie du tableau, d'après une fresque pompéienne, représentant une tratoria (maison de traiteur), d'où l'on emporte, non le plat du jour, mais le macaroni quotidien, que de trop paresseuses ménagères n'ont pas le courage de préparer de leurs propres mains. Je dis bien le macaroni, tout autre plat ou brouet étant exclu de l'ordinaire des petites gens de la plantureuse et festoyante Campanie.
Le cuisinier prend, du bout d'une pince, le récipient de la matrone, qui présente un de ces gros sous romains que nous connaissons tous pour en avoir palpé quelque-uns par aventure.
Une réflexion. Le débitant de macaroni a peur de se brûler les doigts; mais, la chalande, comment va-t-elle s'y prendre pour ne pas échauder les siens? ce qui me rassure un peu, c'est qu'elle a relevé un coin de sa robe, sans doute afin de rouler cette pointe autour de l'anse du précieux récipient. Bien primitive encore, cette marmite profonde, installée sur un trépied sous lequel flambe un vague feu de bois. Mais combien jolies les guirlandes de fleurs qui relient les colonnes de l'appétissante boutique;
Cependant, à Naples, sur le Môle et à Santa-Lucia même, j'ai vu débiter le macaroni d'une façon bien plus originale. Le marchand, établi en plein air et se déplaçant selon l'heure du méridien, approchait une terrine pleine de la divine pâte de la bouche du client, celui-ci ayant versé au préalable, un double baïoque, environ dix centimes de notre monnaie.
Et il fallait voir cette bouche grande ouverte, fendue jusqu'aux oreilles et affectant la forme d'un entonnoir, dedans laquelle le débitant faisait glisser du bout des doigts le mets délectable, pour couper le fil d'un coup de ciseaux, quand la pâte s'obstinait à filer plus que de raison. Puis, il offrait un verre d'eau fraîche au sybarite lazarone, et celui-ci allait faire sa méridienne à l'ombre, en fredonnant: " O bella Napoli! O sol beato!"
Il paraît que depuis le nouveau régime, car je parle du temps des Bourbons, le lazarone a modifié ses mœurs culinaires, ou plutôt qu'il a renoncé à manger son macaroni en plein vent. C'est bien dommage pour la couleur locale, parce que la rupture de cette coutume immémoriale aura pour résultante fatale la disparition d'un type éminemment pittoresque et anecdotique.
A Paris, autour des Halles principalement, on sert de bonnes soupes aux légumes bien chaudes, qui permettent aux miséreux de se restaurer moyennant deux sous. Non pas seulement à ceux-ci, mais à tous les gens de passage, ainsi qu'aux maraîchers, aux harengères et aux marchandes des quatre-saisons, qui viennent, soit livrer, soit approvisionner aux Halles, " qu'on doit bénir Dieu d'avoir fait centrales", a dit, pour la rime, un poète macabre qui répondait au nom facétieux de Mac-Nab.
Cette clientèle, bien entendu, est surtout composée de noctambules professionnels. J'en ai moi-même fait partie, alors que le devoir me retenait à l'imprimerie jusqu'à trois ou quatre heures du matin. Eh bien! cette soupe populaire m'a toujours paru meilleure, "plus engageante", tout au moins, que la soupe de restaurant.
Par contre le bol de noir à deux sous, s'il justifie son nom, m'a produit l'effet d'un moka qu'on aurait ramassé au pied des chênes.
Il est vrai que s'il était moins détestable, les chalands n'éprouveraient pas le besoin de le "châtier" au moyen d'un petit verre de fine ou... de tord-boyaux. "Alors, le commerce irait tout de guingois, et les affaires du gouvernement ne s'en porteraient pas mieux", m'a déclaré la patronne d'une petite table du carreau des Halles. Celle qui représente la partie inférieure de notre image vend d'honnêtes soupes: une autre, par conséquent.
J'ai précieusement recueilli cette leçon d'économie politique et sociale, avec le regret, toutefois, de ne pouvoir entrer complètement dans les vues de cette honorable débitante. Mauvais citoyen, soi! L'accepte la mercuriale, tout en courbant la tête, mais la soupe m'agrée davantage: car, si c'est le soldat qui fait la soupe, il y a réciprocité, puisque la soupe fait le soldat.
Cette plaisanterie populaire est d'une réconfortante philosophie.
Emile Maison.
Le Petit Français illustré, Journal des écoliers et des écolières, n°203, 17 octobre 1903.
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