Le crime de Pantin.
La petite presse n'a pas été la seule industrie qui se soit occupée de l'exploitation du crime de Pantin; on parle d'un fabricant qui s'occupe en ce moment de faire tirer un grand nombre de mouchoirs représentant la scène du meurtre. Il a même trouvé un nom pour ces mouchoirs, qu'il appellera les mouchoirs de Pantin avec l'espoir de remettre ce nom en bonne odeur dans l'opinion publique. De cette manière, le public aura l'honneur de se moucher dans le crime.
Pendant que les uns exploitent les victimes, d'autres exploitent le criminel; on parle d'un photographe qui a eu l'inappréciable avantage de se procurer un portrait de Troppmann. C'est une mine d'or, d'autant plus qu'il n'a pas de concurrence. Un autre photographe avait fait des ouvertures à l'assassin, qui demanda 10.000 francs de prime à celui qui sollicitait la permission de reproduire sa face scélérate. Cela fournirait, disait-il, la possibilité de faire un legs à sa famille. J'ai toujours été étonné de l'extrême sensibilité de MM. les criminels, depuis le XVIIIe siècle. Ils tuent, ils se baignent dans le sang quand l'occasion s'en présente, et quand les intérêts les y poussent. Mais cela ne les empêche pas d'avoir le don des larmes, comme le crocodile, qui pleure, dit-on, en dévorant sa proie. J'aimais mieux ce coquin de l'ancien régime, qui, plus franc dans ses allures, riait à gorge chaude en pensant qu'il avait vendu d'avance à un médecin, pour une somme de dix louis, son corps qui, le médecin l'ignorait, devait être brûlé. En voleur émérite, il se réjouissait d'avoir exercé son industrie d'une manière posthume en volant son cadavre au pauvre praticien, qui croyait qu'il devait être pendu.
Le crime de Pantin n'apporte pas à tout le monde les mêmes joies. On raconte plusieurs cas de folie qui se sont manifestés à la suite de la lecture des journaux, qui entraient dans les plus horribles détails. On sait que M. Eugène Sue avait obtenu un succès de ce genre, lors de la publication du Juif Errant. Des jeunes filles, qui probablement privées de leur mère et n'ayant auprès d'elles aucune sage conseillère, s'étaient hasardées dans cette lecture dangereuse, devinrent complètement folles, et l'une d'elles cria à son médecin, qui voulait lui tâter le pouls: "Retirez-vous, infâme Baleinier!" Les romanciers de nos jours sont moins forts, M. Ponson du Terrail, lui-même, qui tient la corde, se reconnaît impuissant à lutter contre le crime de Pantin: il se venge de cette impuissance en la commentant, en annonçant d'avance les péripéties que traversera l'instruction. C'est à dire qu'il bâtit tout un roman sur ce crime, et ses amis assurent qu'il a fait preuve d'une intuition extraordinaire en jetant d'avance les jalons de l'instruction judiciaire, qui suit son cours.
Nathaniel.
La Semaine des Familles, samedi 23 octobre 1869.
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