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jeudi 7 novembre 2019

Celles de qui on parle.

Mme Judic.

Qui donc a dit que le théâtre était une école d'immoralité? Voici une actrice qui est montée sur les planches à dix-huit ans, qui pendant vingt ans a joué sans interruption des pièces dont le titre seul indique assez le caractère édifiant, telle:  Ne m'chatouillez pas! et La femme à papa!, et qui a même paru dans différents cafés-concerts.


En traversant de pareils lieux de perdition, dans quel abîme n'aurait point dû tomber l'âme de cette pauvre personne! Cependant, elle n'est pas tombée, elle n'a même pas fait un faux pas. Aucune éclaboussure ne l'a atteinte et elle est restée blanche comme l'hermine, comme les petites souris blanches que Mme Judic élève pour le bien de l'humanité. De bonne heure retirée du théâtre, la célèbre chanteuse d'opérette, munie d'économies "sonnantes et trébuchantes", se fit fermière dans l'Avallonnais, son pays natal.
Des roses et de la vigne-vierge, voilà son cadre. Pour société, des vaches et des poules, des chats et des souris domestiques, des oiseaux, des chiens, des écureuils, un vieux cheval. Les multiples relations que Mme Judic a eues quand elle était comédienne ne lui ont laissé qu'une amitié: celle des bêtes. Les autres êtres vivants n'existent pas plus pour elle que les personnages de la Timbale d'argent* ou de Niniche*. Elle eut pourtant un mari, dès 1867, année de ses débuts, mais elle l'a perdu.
Judic eut toujours une grande affection pour les animaux. Toute jeune elle recueillit dans la rue un affreux chien gris qu'elle appela Caillou. Cette bête manquait de savoir-vivre et on ne pouvait l'empêcher d'aller ronger des os sur les tapis. La grand'mère de Judic parvint enfin à le corriger pour toujours: elle le fit noyer. Le chagrin de l'enfant se devine. Pour faire oublier ce crime, elle s'est entourée de chiens: elle en a six aujourd'hui. L'aîné s'appelle Mars, comme le fils de Jupiter et le second Léo, comme le neveu de M. Clarétie. Son cheval répond au nom tout aussi glorieux de Titus et ses trois vaches favorites sont: Yvonne, Manette et la Roussotte, dont les noms rappellent également les triomphes de la fermière. Quant aux souris que l'on compte par milliers, elles ne sont pas baptisées.
On s'étonnera que Mme Judic pousse à ce point l'amour des souris blanches. Rien n'est moins exact. Mme Judic n'aime point les souris blanches; ce sont peut être les seuls quadrupèdes auxquels elle fasse, indirectement du mal. Si elle se livre avec tant d'ardeur à leur élevage, c'est pour les vouer à toutes sortes de maladies que jamais souris errantes ne connurent. Ces gracieuses petites bêtes sont destinées aux Instituts Pasteur où les microbes les plus divers leur seront inoculés dans l'intérêt de la médecine. Ainsi Mme Judic se consacre au salut de l'humanité.
Les échantillons qu'elle en a connus ne lui ont donc pas enlevé toute sympathie pour notre race... à moins qu'elle n'espère que les bêtes profitent un jour des remèdes qu'on aura trouvé pour les hommes.

                                                                                                                         Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 juillet 1906.

* Nota de Célestin Mira:

* Mme Judic:

Anna Judic.

* La Timbale d'argent:



* Niniche:


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