La limousine.
La pauvre grosse Miette était une rebutée, et même, hélas!, un rebut de la vie, Miette! Un joli nom d'actrice à Paris*, et qui n'est qu'un nom banal de Limousine en Limousin!
Elle avait essuyé, toute petite, un nombre affreux d'horribles taloches. Il en grêlait de partout sur la pauvre Miette, grosse lourdaude, pouilleuse et joufflue, bête à faire ricaner les oies, ne désahurissant jamais, et que chacun giflait tout en se gaussant d'elle.
Quand elle eut seize ans, une dame de Paris vint un été passer la belle saison dans le pays et demanda dans le village, en arrivant, si on ne lui trouverait pas par hasard une paysanne, bonne fille, pas trop brusque, et pouvant garder les enfants. Miette n'avait encore gardé que les dindons! Elle pouvait tout de même faire l'affaire. La dame la prit chez elle, lui fit mettre un barbichet* blanc, et Miette se mit à rire en se voyant comme ça toute blanche! Elle fut donc, pour l'été, gardeuse de marmaille. Une marmaille déchaînée qu'on lui disait de surveiller, et qu'elle aidait toujours bêtement à désobéir.
Comment au printemps suivant, la pauvre Miette, ainsi tournée, pouvait-elle bien être à Paris?
De la manière la plus naturelle.
On lui avait demandé un jour, si elle voulait y venir.
Elle s'était mise à rire.
En service chez une commerçante?
Elle avait paru éblouie.
Chez une boutiquière des Batignolles*!... Pour quinze francs par mois?...
Elle avait répondu oui.
****
C'est ainsi qu'un dimanche sa maîtresse l'avait emmenée avec elle respirer la poussière de juin, et voir la foule les jours de fêtes sur les boulevards extérieurs.
Elles étaient toutes deux montées sur le tramway, et là, les bras ballants, écartés en ailes de cane, comme si elle avait peur de tomber, la Limousine s'était mise à rire quand le tramway s'était mis à rouler. Elle était partie comme ça sur l'impériale, l’œil rond, la bouche ouverte, toute rouge, fouchtrayant tout bas d'admiration, avec sa mine de pomme fraîche dans son barbichet flottant.
A la fin de la journée, pourtant si ravie qu'elle fût, elle se sentait exténuée, la pauvre Miette. Elle était comme grise de cette première promenade dans l'étourdissement de Paris.
- Mais, ma fille, lui criait la boutiquière qui la remorquait à travers les voitures, en revenant du bois de Vincennes, vous vous faites traîner comme un paquet!
Et Miette, en effet n'avait plus un souffle de force. Elle n'en pouvait plus, elle ne tenait plus debout. Si elle s'était écoutée, la pauvre grosse, elle se serait assise par terre au coin d'une rue, et se serait mise à pleurer de chaleur sur le bitume, en songeant aux pâturages où "elle allait en champs les dindons". Et tandis que, moitié blême, moitié pourpre, elle suivait sa maîtresse; les voyous, autour d'elle, se montraient d'un geste d'épaules, avec leurs sifflets cyniques, sa tournure empêtrée de bébé qui trébuche, et sa tête de poupée déteinte.
****
Pauvre Miette!
A quinze jours de là, un soir, elle errait sans place, sans le sou, sans gîte, sans rien, avenue Wagram*.
En un mois de service, elle n'avait laissé que ruines, dégâts et débris chez la boutiquière des Batignolles. Elle avait cassé une à une, rien qu'en les prenant dans ses mains, toutes les tasses d'un splendide et affreux service à thé gagné au tourniquet de la foire de Neuilly!
Elle avait démoli un vasistas, mis le feu à un rideau, inondé un parquet, fêlé un pot-au-feu, brûlé la paille d'une chaise en posant une chandelle dessus et en oubliant de l'éteindre, abîmé les six couverts Christofle de la maison en les laissant se désargenter dans le vinaigre... Elle pleurait, la pauvre Miette, après chaque désastre, à gros sanglots, et les poings dans ses yeux. Mais les sanglots ne rempaillent pas les chaises, ne réargente pas le ruolz et ne raccommodent pas la porcelaine.
Un matin, dernier sinistre, on avait trouvé brisé le globe d'une pendule représentant un troubadour avec un oiseau sur son poing. L'oiseau même avait disparu, et ne devait se découvrir, le lendemain, qu'au fond de la boîte aux ordures.
Miette, le jour même, payait la casse et rendait son tablier.
C'est alors que le soir elle s'était trouvée sur le pavé.
- Dites donc, lui murmura tout à coup à l'oreille une voix d'homme qui lui parlait dans la brune, dites-donc, voulez-vous venir? voulez-vous?
Elle resta stupide, car c'était un monsieur, et elle ne répondit pas non.
Maurice Talmeyr.
La Vie populaire, jeudi 19 mars 1885.
* Nota de Célestin Mira:
* Miette:
Marie, Marthe, Suzanne Miette, artiste aux Folies-Marigny et modèle d'atelier. |
* Barbichet:
* Les Batignolles*
* Avenue Wagram:
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