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vendredi 15 novembre 2019

Ceux de qui on parle.

M. Abel Hermant.

M. Abel Hermant est très distingué. Il l'est par ses manières et par son esprit, et la correction de sa tenue ne le préoccupe pas moins que celle de son style. Un dicton bien connu donne le secret de cette élégance. Ne dit-on pas communément: bien mis comme un architecte!
Si ce dicton est vrai, question que je laisse à résoudre à nos lecteurs, on comprendra que M. Abel Hermant soit plein de distinction, puisqu'il est le seul fils d'un architecte, personnage important qui fut décoré de la Légion d'honneur et obtint une médaille d'or à l'Exposition Universelle de 1889.



M. Abel Hermant envoyé dans son jeune âge au lycée Fontanes (aujourd'hui lycée Condorcet) y fit de brillantes études. A dix-huit ans, il entra à l'Ecole Normale, section des lettres, et eut comme camarades Jaurès, Dejean, le professeur Bergson. Au bout d'un an, M. Abel Hermant, qui n'avait pas sans doute autant de vivacité d'esprit qu'aujourd'hui, se prit de scrupules. Puisque jamais l'idée ne lui était venue d'être professeur, que faisait-il dans une école où l'on apprenait qu'à le devenir? Ni M. Jaurès, ni M. Dejean, ni le philosophe Bergson ne purent trouver la solution à ce problème, et M. Abel Hermant se décida à quitter l'Ecole Normale.
A peine avait-il recouvré son indépendance que M. Abel Hermant entrait dans l'Administration des Beaux-Arts. Qu'avez-vous donc fait de vos scrupules, monsieur Hermant et puisque de votre propre aveu vous vouliez être homme de lettres, pourquoi vous faisiez-vous fonctionnaire? Comment votre conscience qui se trouvait mal à l'aise à l'Ecole Normale s'accommodait-elle d'un rond-de-cuir? Les appointements que vous receviez au bout d'un mois passé à écrire des vers ou un roman ne vous brûlaient-ils pas les doigts? Si des gens malintentionnés apprenaient ceci, je suis bien sûr qu'ils prétendraient que sans la licence et l'agrégation obligatoires, le séjour de l'Ecole Normale eût moins offusqué votre délicatesse.
Quelques mois s'écoulèrent, après lesquels les chefs de M. Abel Hermant, le prièrent, dans l'intérêt des lettres, de se débarrasser de tout souci administratif et de laisser sa place à un fonctionnaire moins instruit, moins scrupuleux peut-être, mais plus exact.
On a dit que M. Abel Hermant avait été précepteur dans une cour d'Allemagne: c'est une erreur. Il a voyagé à l'étranger pour son plaisir, puis a publié, pour ses débuts, un volume de vers: Les Mépris (1882) et un roman: M. Rabosson ou l'éducation universitaire. Il accomplit alors son service militaire et fait paraître, à la même époque, La Mission de Cruchod, puis, en sortant du régiment Le cavalier Miserey, étude des mœurs militaire (1887). Ce dernier livre fut traité de révolutionnaire et fit beaucoup de bruit.
M. Abel Hermant paraît aimer le bruit et presque le scandale. Deux de ses œuvres surtout, deux pièces de théâtre: La Meute (1896) et L'Esbrouffe (1904) ont agité des milliers de langues et de plumes, à cause des personnages contemporains qu'on prétendait y trouver. Un duel que l'auteur de La Meute eut avec le prince de Sagan acheva de donner à cette pièce toute la réclame désirable. Quand on questionne, M. Abel Hermant sur ces bruits que, comme vous pensez bien, il a mis lui-même en circulation, il déclare en souriant qu'il n'y a pas de clefs dans ses ouvrages, mais il a jouté à part lui: "ce sont des pinces-monseigneur".

                                                                                                                           Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 août 1906.

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