L'Anglais à Paris.
Quand un Anglais vient à Paris, c'est toujours pour s'amuser. Aussi considère-t-il Paris comme un endroit parfaitement méprisable. C'est pour lui un spectacle de foire, un cabaret ou tout autre mauvais lieu. Aux yeux de l'Anglais, le Parisien est un baladin et la Parisienne une farceuse.
L'Anglais à Paris se laisse voir sans hypocrisie. N'étant pas forcé de de se tenir et de jouer au gentleman, il est franchement ce que la nature l'a fait: égoïste, orgueilleux et arrogant. Le même monsieur que vous avez vu à Londres, irréprochablement nippé, lingé, empaqueté, cravaté et ganté, n'est plus qu'individu ficelé dans un complet à carreaux de couleur, avec une casquette à double visière et à oreilles.
C'est dans cet accoutrement qu'il va à l'Opéra et à la Comédie.
L'Anglais n'a pas d'autre moyen à sa disposition de se venger du besoin qu'il a de Paris. Il s'ennuie tant dans son Londres embrumé, au milieu des misère de la Tamise, des dimanches bibliques et des monotonies de la Cité, qu'il lui faut à toute force le soleil, le vin, la gaieté de Paris. Mais l'Anglais n'aime pas trouver chez les autres ce qui lui manque chez lui, et forcé de venir à l'étranger payer ses plaisirs et lui apporter ses guinées, il essaie d'être hautain et mal poli, à la façon des parvenus qui humilient les valets qu'ils payent.
L'Anglais est souvent flanqué de l'Anglaise son épouse. Elle aussi vient pour s'amuser, mais comme s'amusent les Anglaises, du bout des dents. Un voyage à Paris pour une Anglaise est une grosse débauche qu'elle renouvelle plusieurs fois par an. Elle s'offre le droit d'être gourmande, curieuse, coquette et babillarde, ce que les mœurs anglaises ne permettent pas. Une Anglaise à Paris est souvent une charmante femme et fait oublier le désagrément de son mari. L'Anglaise aime les Français qui causent avec elle et la font rire, tandis que son mari ne lui adresse pas la parole ou la traite en servante.
On voit quelquefois passer dans une voiture de grande remise un jeune Anglais mal vêtu auprès d'une dame habillée à la dernière mode. On dirait deux figures de cire fournies par un impresario pour faire une réclame au musée Grévin.
Il y a cependant des Anglais aimables, même à Paris. Ce sont ceux qui y ont fait élection de domicile et qui y vivent depuis de longues années. Encore n'ont-ils pas consenti à abdiquer tout à fait. Infatués d'eux-mêmes, ils ont apporté Londres dans leurs bagages. Ils ont un quartier à eux qui les sépare des autres sociétés. On y trouve l'épicier, le pharmacien, le restaurateur, le tailleur anglais avec l'enseigne en anglais ou la devise, ou le médicament anglais. Ils n'ont pris de Paris que le soleil et son air: deux choses que Londres ignore parfaitement.
Albert Millaud.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er juillet 1906.
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