Pierre 1er de Serbie.
Le roi Pierre 1er de Serbie est monté sur le trône d'une façon peu idyllique, puisque un double assassinat fut nécessaire afin de rendre vacante la place qu'il convoitait. Il n'a peut être pas conseillé ce meurtre, mais il l'a approuvé et sans doute béni en acceptant la couronne que lui offraient les conjurés.
Si quelqu'un se présentait à vous, en vous disant: "J'ai tué votre propriétaire pour toucher ses loyers, veuillez être assez aimable pour me payer le vôtre", vous confieriez à deux gendarmes l'auteur de cette proposition. Le droit des gens a des principes tout autres.
L'Europe apprit avec stupeur, au mois de juin 1903, l'exécution sanglante d'Alexandre et de sa femme Draga, mais les Gouvernements ne s'entendirent pas pour mettre à l'index un Gouvernement établi par des procédés aussi peu diplomatiques. La France, qui avait autrefois la réputation d'un pays chevaleresque, pure affaire de comparaison, n'osa pas faire grise mine à l'usurpateur, pour ne pas mécontenter ses amis les Russes, ou plutôt le tsar Nicolas, ce qui est très différent, car des événements qui ont fait assez de bruit ont montré que la Gouvernement russe n'avait pas non plus toutes les sympathies de la nation.
Ce fut l'Angleterre, qui l'eût cru?, qui se montra la plus choquée de ce coup d'Etat, et elle a refusé d'accréditer un représentant en Serbie tant que les officiers qui en furent les auteurs n'auraient pas été disgraciés. On comçoit quel est l'embarras de Pierre 1er, forcé de choisir entre le mépris de l'Angleterre ou la haine des assassins de son prédécesseur, et les conséquences fâcheuses que cette haine pourrait avoir pour lui.
De quelques ménagements qu'il use entre les divers partis, Pierre 1er est à peu près certain de mourir de mort violente. Mais comme nous sommes tous mortels et qu'on ne peut assigner une date à la prochaine révolution serbe, ce roi n'est, en somme, pas beaucoup plus exposé que ne l'est chacun d'entre nous. Il est certain de ne pas mourir de privations ni d'un accident de Métropolitain et regagne ainsi les chances de longue vie que sa situation lui fait perdre.
Avant de s'asseoir sur un trône, Pierre 1er qui s'appelait alors Karageorgevitch, caracolait sous l'uniforme de notre légion étrangère.
Il a été élève de l'Ecole de Saint-Cyr et a fait campagne en Algérie. Pendant la guerre de 1870, il était chef de bataillon et fut nommé commandeur de la Légion d'honneur avec ce grade, qui est extrêmement rare, après la prise de la gare des Aubrays, près d'Orléans. Il a servi sous les ordres des généraux d'Aurelles de Paladines et Bourbaki. Il est naturalisé français: c'est probablement le seul souverain qui soit dans ce cas.
Pierre 1er, qui est veuf, avait épousé la fille aînée du prince de Montenegro, sœur de la reine d'Italie. Il a trois enfants: une fille, Hélène et deux garçons, Georges et Alexandre, élevés tous deux par les soins de l'empereur de Russie, leur parrain. Le premier a appris le métier militaire au régiment des "Cadets", l'autre a suivi les cours de la faculté de droit de Saint-Petersbourg.
J'ignore si celui-ci fera un magistrat digne de la vertueuse Serbie, mais l'héritier présomptif, le petit Gyoka, comme on l'appelle à Belgrade, est déjà un gentilhomme accompli qui met le trouble dans les ménages et a causé la démission du premier aide de camp du roi.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 juillet 1906.
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