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jeudi 18 janvier 2018

Chronique du 11 avril 1858.

Chronique du 11 avril 1858.

Un sergent de ville de faction sur le pont neuf remarquait un charretier qui tirait sa bête à hue! tandis qu'il lui criait dia! et qui, se balançant dans les vapeurs de vin, avait la prétention de conduire cheval et voiture, lorsque assurément il ne pouvait se conduire lui-même.
A tout hasard, le sergent se dispose à conduire l'homme au poste. En ce moment arrive un individu qui réclame à grand bruit le cheval et la charrette, laissés un moment par lui à la porte d'une maison, et qui ont disparus pendant son absence.
Le premier individu est mieux que jamais conduit au poste après une telle déclaration.
Explication donnée, le rôdeur des rues avait bien eu la pensée de voler, mais malheureusement, il était ivre, et pour telle opération il faut avoir toute sa raison.
Le voilà bien convaincu de cette vérité, qu'il aura le temps de méditer pendant deux mois de prison.

Dans la même geôle où cet homme est enfermé, nous trouvons un autre détenu dont le nom mérite d'être cité.
Le nommé Joseph O... était en prison sous prévention d'avoir volé une montre. Il niait fort effrontément la chose, il la niait même à un camarade de chambre qui lui demandait le sujet de son arrestation. Mais apprenant que celui-ci, nommé Berthé et détenu pour simple vagabondage, allait bientôt sortir, il pensa en tirer parti.
Joseph O... avoua donc le larcin de la montre; il avoua à Berthé l'endroit où il l'avait caché; et comme c'était dans un trou de mur, il fit un petit dessin représentant parfaitement l'endroit, afin qu'elle pût se trouver à coup sûr. Il fut alors convenu que Berthé vendrait la montre, s'achèterait sur le prix une paire de souliers dont il avait grand besoin, et donnerait le reste à Joseph.
Le détenu sort de prison, et, muni de son dessin, trouve la montre. Certes, des souliers sont bien utiles à qui passe sa vie à vagabonder, et chevauchant sans cesse sur les chemins, on sent bien le désagrément d'être pieds nus!
Cependant Berthé n'hésite pas; au lieu de porter la montre au marchand, il va droit la rendre à son maître.
Celui-ci, brave serrurier, remercie Berthé et lui donne 10 fr. de récompense. On pense qu'il les a partagé avec le camarade Joseph.

Dans la rue Galande, l'un de ces tristes réduits presque inconnus qui s'étendent derrière le Jardin des Plantes, un instituteur de province et sa femme étaient logés dans un modeste hôtel garni. L'instituteur, nommé François M..., disait être venu à Paris pour y solliciter une place. Pourtant il sortait peu et ne paraissait vivre que pour sa femme, qui lui témoignait une égale tendresse.
Il y a peu de jours, ils ne sortirent point de chez eux, et le maître de l'établissement, inquiet de ne pas les avoir vus, pénétra dans leur chambre, à l'aide d'une seconde clé qu'il avait gardée.
Tous deux étaient étendus et inanimés sur le lit, dans un air plein de vapeur de charbon.
Le secret de leur voyage, de leur retraite, de leur mort, est que l'instituteur et la jeune femme n'étaient pas mariés, mais au contraire enchaînés par un autre mariage, et qu'ils avaient voulus, faute de mieux, fuir de ce monde ensemble.

Un autre suicide a eu cela de particulier que celui qui s'ôtait la vie est venu accomplir cette action, dont les autres se cachent, en plein public.
A dix heures du matin, François Saunier, marchand de vin, au port du chemin de fer, situé sur l'Oise, et à l'endroit rempli de monde où on débarque les marchandises, s'est tiré dans la bouche un coup de pistolet, puis s'est élancé dans la rivière.
Un brave ouvrier, Jacques Devillier, sans être retenu par le froid vif qui régnait, s'est jeté à l'eau pour secourir ce malheureux. Mais là, une scène déchirante eut lieu. François Saunier, qui, blessé n'avait pas la force de se défendre contre son sauveur, le suppliait de le laisser mourir.
En effet, malgré ses prières, ayant été retiré de l'eau, il n'a reçu de ce triste bienfait que vingt-quatre heures de cruelles souffrances, au bout desquelles il a expiré.

                                                                                                               Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 11 avril 1858.

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