Joyeuses aventures du pendu.
Il y a quelques dix ans, il était de bon goût de choquer son verre avec des camarades sur un cercueil truqué*. Diverses facéties de ce genre prêtèrent à Montmartre cette réputation d'esprit sur laquelle une douzaine de débits de boissons ont vécu. On faisait queue aux portes des caveaux, on se pressait dans un café-concert où l'amusante Marguerite Ducler, étoile vieillie, exhibait un pendu.- Un pendu, vous m'entendez bien.
Des milliers de potaches, des militaires et des bourgeois, des provinciaux venus des quatre coins de la France, de Confolens en Charente ou de Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-du-Nord), des calicots, des viveurs et des huissiers, sans compter l'obligatoire tournée des "Agences Cook", applaudirent à ce spectacle peu banal: un homme se balançait au plafond de la salle étranglé par la gorge au nœud coulant d'une corde. C'était le pendu. Et je vous assure qu'elle était affolante cette vision de supplicié volontaire à la face convulsée, aux membres raidis, à la bouche baveuse...
On applaudissait, fumant sa pipe ou son cigare; des spectateurs, pris de nausées sortaient; des femmes impressionnées se trouvaient mal. Et le fantastique numéro, bien digne d'un Edgar Poë, poursuivait pendant des heures sa douloureuses expérience.
Si elle avait été truquée, c'eût été déjà bien joué. Mais il n'y avait là nulle sophistication et des experts-jurés et des membres de la Faculté de Médecine qui étudièrent le phénomène, ne purent que reconnaître sa bonne foi, sans expliquer l'inexplicable. On voyait, on ne comprenait pas; on ne comprendra jamais: le Pendu vient de mourir oublié en emportant son secret dans la tombe.
Il s'appelait Siméon Aiguier. Natif du Var, il avait exercé tour à tour les professions de jeûneur, d'homme obèse, d'homme statue, de mort et de pendu**. Aux environs de Toulon, où il s'était retiré après fortune faite, il vivait au milieu de la sympathie de ses concitoyens. Il leur racontait volontiers les aventures de sa vie. Elles étaient nombreuses.
Le Petit Marseillais a rapporté qu'une fois, au cours se ses tournées d'exhibition, il se pendit au plafond de sa chambre, dans l'hôtel où il était descendu. Puis il sonna le garçon et attendit. Comme il ne donnait pas de représentation dans cette ville, c'était à Brême, on ignorait son étrange pouvoir. Lorsque le garçon accourut à l'appel de la sonnerie, il trouva le singulier voyageur qui se balançait au bout d'une corde. Terrifié, il redescendit quatre à quatre et courut chercher la police. Quand le commissaire arriva, le pendu avait disparu.
- Des amis ont dû emporter le cadavre, soupçonna le magistrat défiant.
- Si seulement ils avaient laissé la corde... dit avec regret la superstitieuse hôtelière.
Mais comme l'enquête ordonnée n'aboutit point, longtemps on soupçonna le garçon d'avoir été victime d'une hallucination.
Siméon Aiguier racontait encore une anecdote, aussi amusante. C'était à Spa, aux beaux jours de la roulette et du trente et quarante.
Un matin, il alla trouver le directeur du casino et lui dit:
- Je suis un Italien de distinction. J'ai perdu à vos tables de jeu tout l'argent que j'avais; donnez-moi mon "viatique", deux cents louis, pour regagner Rome. Si vous me refusez cette bagatelle, je serai obligé de me pendre.
Le directeur haussa les épaules.
- Vous me trouverez donc, Monsieur, mort dans un des bosquets du parc.
Deux heures après, l'imprésario, inquiet tout de même, remis quelques billets bleus à l'un de ses employés, avec l'ordre de les déposer dans les poches du pendu, afin qu'on ne pût croire qu'il s'était tué à la suite de grosses pertes. Et l'agent ponctuel accompli à sa tâche.
Le soir même, Siméon Aiguier, qui avait quitté aussitôt après sa position de pendu se présenta dans le cabinet du directeur. Effrayé, le malheureux crut un instant avoir affaire à un fantôme, sa victime. Mais Aiguier, bon garçon, le rassura de suite et, parce qu'il était honnête homme, lui rendit en souriant les deux cents louis. Et c'est ce qui étonna le plus le directeur!
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 mai 1907.
*Nota de célestin Mira:
Des milliers de potaches, des militaires et des bourgeois, des provinciaux venus des quatre coins de la France, de Confolens en Charente ou de Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-du-Nord), des calicots, des viveurs et des huissiers, sans compter l'obligatoire tournée des "Agences Cook", applaudirent à ce spectacle peu banal: un homme se balançait au plafond de la salle étranglé par la gorge au nœud coulant d'une corde. C'était le pendu. Et je vous assure qu'elle était affolante cette vision de supplicié volontaire à la face convulsée, aux membres raidis, à la bouche baveuse...
On applaudissait, fumant sa pipe ou son cigare; des spectateurs, pris de nausées sortaient; des femmes impressionnées se trouvaient mal. Et le fantastique numéro, bien digne d'un Edgar Poë, poursuivait pendant des heures sa douloureuses expérience.
Si elle avait été truquée, c'eût été déjà bien joué. Mais il n'y avait là nulle sophistication et des experts-jurés et des membres de la Faculté de Médecine qui étudièrent le phénomène, ne purent que reconnaître sa bonne foi, sans expliquer l'inexplicable. On voyait, on ne comprenait pas; on ne comprendra jamais: le Pendu vient de mourir oublié en emportant son secret dans la tombe.
Il s'appelait Siméon Aiguier. Natif du Var, il avait exercé tour à tour les professions de jeûneur, d'homme obèse, d'homme statue, de mort et de pendu**. Aux environs de Toulon, où il s'était retiré après fortune faite, il vivait au milieu de la sympathie de ses concitoyens. Il leur racontait volontiers les aventures de sa vie. Elles étaient nombreuses.
Le Petit Marseillais a rapporté qu'une fois, au cours se ses tournées d'exhibition, il se pendit au plafond de sa chambre, dans l'hôtel où il était descendu. Puis il sonna le garçon et attendit. Comme il ne donnait pas de représentation dans cette ville, c'était à Brême, on ignorait son étrange pouvoir. Lorsque le garçon accourut à l'appel de la sonnerie, il trouva le singulier voyageur qui se balançait au bout d'une corde. Terrifié, il redescendit quatre à quatre et courut chercher la police. Quand le commissaire arriva, le pendu avait disparu.
- Des amis ont dû emporter le cadavre, soupçonna le magistrat défiant.
- Si seulement ils avaient laissé la corde... dit avec regret la superstitieuse hôtelière.
Mais comme l'enquête ordonnée n'aboutit point, longtemps on soupçonna le garçon d'avoir été victime d'une hallucination.
Siméon Aiguier racontait encore une anecdote, aussi amusante. C'était à Spa, aux beaux jours de la roulette et du trente et quarante.
Un matin, il alla trouver le directeur du casino et lui dit:
- Je suis un Italien de distinction. J'ai perdu à vos tables de jeu tout l'argent que j'avais; donnez-moi mon "viatique", deux cents louis, pour regagner Rome. Si vous me refusez cette bagatelle, je serai obligé de me pendre.
Le directeur haussa les épaules.
- Vous me trouverez donc, Monsieur, mort dans un des bosquets du parc.
Deux heures après, l'imprésario, inquiet tout de même, remis quelques billets bleus à l'un de ses employés, avec l'ordre de les déposer dans les poches du pendu, afin qu'on ne pût croire qu'il s'était tué à la suite de grosses pertes. Et l'agent ponctuel accompli à sa tâche.
Le soir même, Siméon Aiguier, qui avait quitté aussitôt après sa position de pendu se présenta dans le cabinet du directeur. Effrayé, le malheureux crut un instant avoir affaire à un fantôme, sa victime. Mais Aiguier, bon garçon, le rassura de suite et, parce qu'il était honnête homme, lui rendit en souriant les deux cents louis. Et c'est ce qui étonna le plus le directeur!
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 mai 1907.
*Nota de célestin Mira:
Des cercueils en guise de table!
Quelques caveaux:
** Siméon Aiguier: l'homme protée
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