Bergers landescots.
Imaginez un ancien fond de mer asséché, plat, sablonneux, que l'hiver transforme en marécage; tout couvert, l'été, du tapis ras des bruyères aux jolies clochettes roses ou violettes, de buissons de genêts aux fleurs d'or, qui font sur le sol de grandes taches pourpres et jaunes; ça et là, des bois maigres de grands pins ébranchés au feuillage d'un vert sombre et terne: telle est la Lande gasconne dans la partie aujourd'hui encore restée sauvage.
Ni champs ni cultures, ni villes ni villages, ni routes ni chemins; à peine des sentiers. Seulement vous pourriez voir, ça et là, isolées ou groupées en petits hameaux à la lisière des bois, des maisonnettes de terre et de branchages, basses sous des toits de roseaux ou d'écorces d'où sort une fumée bleuâtre dont l'odeur résineuse se répand au loin. La population pauvre, rare, disséminée, elle-même quelque peu sauvage comme la bruyère et la pinaie, est fait de résiniers qui vont dans les forêts recueillir la gemme (résine) ruisselant aux troncs blessés des pins, et de bergers qui mènent leurs petits moutons noirs, en grands troupeaux errants, sur la lande immense hérissées de buissons, rudes, épineux, coupée de flaque d'eau.
Pour se tirer d'un terrain peu commode, en l'absence de voies et de foulées, nos pâtres landais ont imaginé un singulier et ingénieux moyen, qui est de marcher sur de hautes échasses, souvent dépassant la taille humaine. Là-dessus perché, grandi de toute la longueur de ces bizarres prolongements, le berger voit de loin ses moutons parmi les brandes (bruyères). A l'aide de ses chanques, c'est ainsi qu'il appelle ses bottes de sept lieues, vous le verriez parcourir la plaine à pas de géant. Il enjambe par dessus les buissons sans se déchirer, piétine tout au beau travers des mares sans se mouiller, s'appuyant en outre sur un très long bâton qui lui sert en même temps de houlette. Veut-il se reposer, le bâton est pourvu à son extrémité d'une étroite rondelle de bois; l'homme pique en terre sa perche, s'assied sur la rondelle en écartant les jambes, et le voilà juché sur ce bizarre escabel à trois pattes, où il se tient en équilibre avec une merveilleuse aisance.
Comme il faut bien occuper ses loisirs, du haut de ce perchoir, tout en surveillant ses maigres ouailles, à l'ombre de son chapeau à grands bords ou de quelque pin solitaire, il tricote tranquillement ses bas. Partant le matin pour la pâturage, le pastourel sort de chez lui... par la fenêtre. Assis sur le bords de la croisée, ou, parfois, sur le haut du mur de son courtil, ou bien sur une branche basse de quelque pin tordu, il attache solidement à ses pieds et à ses jambes, avec des courroies, les étonnants appendices, imités peut être des échasses naturelles du héron ou de la grue, et dont il ne descendra guère que le soir, en rentrant à la chaumine où l'attendent la miche de pain brune et le fromage sec, l'écuelle de lait aigre. Les femmes vont aussi sur des échasses; et le plus curieux est de voir les bambins et bambines de cinq ou six ans, déjà fort lestes, s'exercer à leur futur métier.
Les Peuples de la terre, Ch. Delon, librairie hachette, 1890.
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