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mardi 30 janvier 2018

Les ruines de l'abbaye de Jumièges.

Les ruines de l'abbaye de Jumièges.

Jumièges est un bourg du canton de Duclair, situé à 20 kilomètres environ de Rouen, que les ruines de son antique abbaye suffisent amplement à rendre célèbre, toutes ruines qu'elles sont.
L'abbaye de Jumièges a été fondée par saint Philibert au VIIe siècle. Il en fut naturellement le premier abbé; et sous le second, l'abbaye comptait déjà huit cents moines, et était propriétaire de biens immenses: les villes de Duclair et de Quilleboeuf, notamment lui appartenaient.
C'est dans l'abbaye de Jumièges que furent enfermés les énervés, fils de Clovis II, après que ce père ingénieux, pour les punir de leur rébellion, leur eut fait subir l'opération que ce surnom rappelle. L'histoire de cette abbaye est formée de la combinaison de plusieurs légendes, encore la combinaison n'est-elle pas parfaite, et isolément; de sorte qu'on peut très bien faire un choix. Nous nous déciderons donc pour la légende de sainte Austreberthe.
Sainte Austreberthe n'occupait pas dans l'abbaye une position bien relevée: elle y blanchissait le linge à un étang assez éloigné, de sorte qu'elle avait un âne pour le porter ensuite à l'abbaye. Nous sommes obligés d'entrer dans ces détails, parce que, si nous négligions l'âne, comme on va le voir à l'instant, nous serions tout bonnement forcé de nous arrêter ici.
Un jour, au moment du départ, un loup sort de la forêt, s'élance au collet du malheureux grison et l'étrangle net. Mais sainte Austreberthe n'est pas embarrassée pour si peu: elle empoigne messire le loup, lui met sur le dos la charge de sa victime, et le fait filer devant elle jusqu'à l'abbaye plus vite que ça. Ce n'est déjà pas mal: mais la légende ajoute que, depuis lors, le loup n'a pas cessé de remplir la mission de l'âne qu'il a occis dans un moment de vivacité.
Le souvenir de ce miracle a été conservé dans les sculptures de l'église. On y voit la sainte caressant le loup pour l'encourager à la besogne qu'elle lui impose. Dans la forêt voisine, le "chêne à l'âne" existe encore, sur le lieu même ou l'âne d'Austreberthe fut méchamment mis à mort par le loup. Par conséquent, il n'y a pas moyen de nier le fait.
Quant aux ruines de l'abbaye, elles sont singulièrement pittoresques et imposantes. De vastes souterrains, qui s'étendent bien au delà des constructions, ont été déblayés et sont fréquemment explorés par les touristes.





D'autres souvenirs historiques se rattachent encore au pays: on voit, par exemple, au Mesnil-sous-Jumièges, le manoir habité jadis par Agnès Sorel, la maîtresse de Charles VII. C'est là qu'elle trépassa, la "Dame de beauté", et son coeur a longtemps reposé sous les voûtes du monastère. Il y a une inscription qui rappelle au visiteur insouciant, que "piteuse entre toutes gens, largement elle donnoit aux églises et aux pauvres". Malgré cela, il paraît qu'elle se promenait trop souvent, en l'absence du roi, avec Dom Bernard, moine de l'abbaye.

Dans les prés fleuris
Qu'arrose la Seine....

et que les gens du voisinage, si "piteuse" qu'elle fût, ne laissaient pas alors de la huer d'une rive du fleuve à l'autre, les ingrats!
Fiez-vous donc aux épitaphes, ou à la reconnaissance des paysans normands!

                                                                                                                             O. R.

Journal des Voyages, dimanche 5 décembre 1886.

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