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mardi 1 août 2017

La sortie de l'Ecole de Droit.

La sortie de l'Ecole de Droit.


Tout change, tout se transforme à Paris avec une rapidité étonnante.
Ce n'est pas dans cette ville qu'il faut venir rechercher les souvenirs rayonnants de la jeunesse quand les premiers cheveux blancs commencent à poindre. On n'y retrouvera ni les rues tortueuses et animées que l'on parcourait gaiement autrefois, ni l'hôtel légendaire où l'on débarqua, ni le bal joyeux plein de grisettes, où le son du trombone faisait si bien oublier le Code pénal.
Les rues sont devenues des boulevards, les maisons anciennes ont fait place à d'autres, la Chaumière a disparu, la grisette aussi. Il n'est pas jusqu'aux hommes qui ne soient complètement transformés.
Notaires, avoués, avocats, qui vivez tranquillement dans quelque chef-lieu de département, après avoir fait vos études à Paris, vous vous souvenez encore de l'aspect pittoresque du quartier latin tel qu'il était de votre temps. Vous avez connu la rue de la Harpe, vous avez respiré l'air embaumé des lilas de la Pépinière. Les parents n'étaient pas très généreux à cette époque, et vos petites pensions étaient bien modestes, n'est-ce pas? Mais vous étiez heureux malgré cela. Vous étiez étudiants, cela voulait tout dire. Les étudiants avaient pris possession du quartier latin, ils en étaient les maîtres absolus; le profane bourgeois ne s'y hasardait pas. Qu'aurait-il fait, grand Dieu! au milieu de cette jeunesse bariolée, qui portait des bérets rouges, des vareuses folles, des gilets étranges et des cheveux à la Mérovée. Il se serait cru perdu en entendant les refrains que l'on chantait à pleine-gorge en descendant la colline de Sainte-Geneviève, et il aurait couru le risque d'être étouffé par la fumée des pipes.
Aujourd'hui, ce n'est plus cela. Si le hasard vous amène à Paris, monsieur le notaire, allez rendre visite à votre vieux quartier latin, je vous promets une surprise complète.
D'abord les méandres de la rue de la Harpe ont fait place à un splendide boulevard, planté d'arbres, garni de boutiques lumineuses. Le grand soleil et le bon air pénètrent partout maintenant. La rue Soufflot, large et spacieuse, vous conduira jusqu'à l'Ecole. Les étudiants sont encore en cours. Attendez un moment, ils vont bientôt sortir.
Tenez, en voici quelques-uns, examinez-les.




Des pieds à la tête, ce sont des gentlemen. L'étudiant de 1873 suit la mode quand il ne la précède pas. Ses habits sortent de chez le bon faiseur. Il se coiffe rue Vivienne; il se gante chez les coquettes marchandes du boulevard. Il porte sous le bras une serviette de maroquin noir ou de cuir de Russie odorant. Il ne chante pas dans la rue. Pour lui la pipe n'est plus un principe, il fume des cigares de luxe ou des cigarettes de Turquie. Il n'y a plus de tapage à la sortie de l'Ecole, plus d'appels à haute voix; seulement des saluts de la main et des coups de chapeau.
Une station de voitures a été placée à peu de distance de l'Ecole, et les fiacres qui viennent s'y arrêter sont sûrs de ne pas manquer de clients. Quelques étudiants viennent même au cours dans leur coupé, conduit par un cocher galonné.
Le quartier latin est peu à peu abandonné par les étudiants. Vous en trouverez bien encore quelques-uns le soir dans les cafés du boulevard Saint-Michel et à la Closerie des Lilas, mais le plus grand nombre est ailleurs. Si vous voulez les voir, allez aux premières représentations, faites-vous inviter aux bals officiels ou aux soirées particulières.
Franchement, il a bien fait. En même temps qu'il apprend la science du droit, il perfectionne son éducation, et il se prépare à jouer convenablement le rôle qui lui sera donné un jour dans la société moderne.

                                                                                                                 René Delorme.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

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