Translate

lundi 14 août 2017

Quand on a jeté bas la Colonne Vendôme.

Quand on a jeté bas la Colonne Vendôme.


C'est le propre des monuments élevés en l'honneur d'un homme, d'un souverain, de devenir aux jours de révolution, le jouet et la victime des fureurs populaires.
Le 16 août 1792, le Louis XVI équestre de Girardon, qui s'élevait à la place Vendôme, alors la place des Piques, est descendu de son socle et brisé; il n'en reste plus qu'un sabot de cheval que l'on peut voir au Louvre, au musée de sculpture, dans l'embrasure de l'une des fenêtres de la salle Puget. 
A la fonte aussi le Louis XVI de la place des Victoires (la statue actuelle de Bosio date de la Restauration), ainsi que le Henri IV du Pont-Neuf
Plus près de nous, quelques jours après le 4 septembre 1870, le Napoléon III équestre de Barye, qui ornait la façade de l'un des guichets du Carrousel, est détaché et relégué dans un magasin quelconque. Le Napoléon en redingote grise qui se dressait au rond-point de Courbevoie est transporté de nuit au pont de Neuilly et précipité dans la Seine.

L'insulte royaliste. -"Qu'on le jette à bas!"

Quand, le 16 mai 1871, la Colonne fut précipitée sur le lit de fascines qui lui avait été préparé, ce n'était pas la première insulte qu'elle eut souffert. Moins connue et moins exploitée sont les péripéties qu'elle subit à l'entrée des Alliés à Paris, le 31 mars 1814.
La cocarde blanche au chapeau, des groupes royalistes se hâtent vers la place Vendôme, bientôt pleine d'une foule hurlante.
" A bas le tyran! A bas la conscription!"
Un spectateur (de Grenelle, dit-on) crie:
" Jetons-le à bas!"
Des gens grimpent l'escalier en colimaçon, arrivent sur la plate-forme, passe une corde au cou du César, lancent le reste de la corde en bas. 



Une centaine de spectateurs s'y attellent. Vains efforts. On va chercher des chevaux. Le César résiste encore. On entaille avec une scie les jambes de la statue; l'homme de bronze reste impassible. C'est à cette rage impuissante de la foule que Victor Hugo fait allusion dans ces vers fameux:

Nous ne nous pendons pas à cette corde infâme
Qui t'arrache de ton piédestal!

Ce premier insuccès ne décourage pas les royalistes. Un émigré, M. de Montbadon, offre de faire descendre à ses frais la statue. Le 4 avril, un ordre de l'aide de camp de S. M. l'Empereur de toutes les Russies, Alexandre 1er, ordonne au fondeur Launay " sous peine d'exécution militaire", d'enlever le César. En marge de cet ordre, le préfet de police Pasquier écrit: " A exécuter sur le champ." Le 8 avril, à 6 heures du soir, on se met à l'oeuvre.
La statue était rattachée à la coupole par quatre énormes boulons que l'on eut qu'à dériver. La statue fut bel et bien "déboulonnée", descendue à terre au moyen de chèvres et de cordages. 
Jusqu'aux journées de juillet 1830, le drapeau blanc des Bourbons flotta à cette même place, où, le front ceint de lauriers, le manteau impérial retenu par une fibule sur l'épaule droite, tenant dans sa main gauche une victoire ailée, c'était dressé le César victorieux.

Seul, le jour dans l'azur, la nuit dans les astres.

La statue enlevée par le fondeur Launay fut brisée, et, revanche du bronze, ses morceaux furent jetés dans la cuve où bouillonnait le métal qui devait servir à couler le Henri IV rétabli par Louis XVIII sur le Pont-Neuf.

La Redingote grise et le Petit Chapeau.
Les "vieux de la vieille".

La Colonne n'avait pas droit pour cela au repos définitif. Viennent les jours de juillet: le drapeau tricolore remplace à son faîte le drapeau blanc des Bourbons proscrits. Bientôt, par arrêté du 8 avril 1831, Louis-Philippe décide de remonter César sur sa colonne. Ce ne sera plus à la vérité le César, mais le Napoléon légendaire, celui que Béranger chante, le Napoléon en capote grise et en petit chapeau. Ce Napoléon traverse la République de 1848 sans que personne ne songe à l'inquiéter.
Avec l'Empire, revient l'apothéose. En 1863, Napoléon III fait descendre l'oncle en redingote, qui est relégué au rond-point de Courbevoie. C'est désormais, et de nouveau, le Napoléon lauré, tenant la Victoire et revêtu du manteau romain. C'est le cinquième symbole qu'aura supporté la Colonne, depuis le César de 1810 jusqu'au César de 1863.
Les grands jours de la Colonne semblent être revenus. Chaque année, aux anniversaires, au 5 mai, au 15 août, fête de l'Empire, les derniers débris de l'épopée viennent accrocher à ses grilles les couronnes et les ex-voto. D'une voix grêle, branlant sur leurs jambes, les Vieux de la Vieille crient: "Vive l'Empereur!"

Un plumet énervé palpite
Sur leur colback fauve et pelé.
Près des trous de balle, la mite
A rongé leur dolman criblé...

Mais voici que tonne le canon de 1870, et après lui gronder l'émeute victorieuse.

Il est là! Sous trois pas un enfant le mesure!

La démolition de la colonne Vendôme fut décidée en séance de la Commune du 12 avril 1871, sur la proposition de Félix Pyat. Le peintre Courbet a été accusé à tort d'être l'auteur de cette proposition. 



Il avait bien, après le 4 septembre, demandé que l'on "déboulonnât", non pas seulement la statue comme l'avaient fait les royalistes de 1814, mais le fût tout entier, pour en transporter les bas-reliefs aux Invalides. Courbet conservait le piédestal, qu'il surmontait d'une statue représentant le génie de la Révolution.
Le 1er mai 1871, un marché était passé à l'Hôtel de ville avec un ingénieur, qui, pour la somme à forfait de 28.000 francs, s'engageait à coucher par terre la Colonne, sans dégâts pour les immeubles avoisinants. La Colonne devait tomber le 5 mai, jour anniversaire de la mort de Napoléon 1er. Elle ne tomba à la vérité que le 16 mai.
Pendant les quinze jours qui précédèrent la chute, , on put voir, place Vendôme, un curieux et étrange spectacle. La place était, aussi bien du côté de la rue Castiglione que de la rue de la Paix, fermée par des barricades. On ne pouvait passer qu'avec une carte. Au ras de la couronne de bronze sur laquelle repose le fût, un mince nuage de poussière paraissait. Des ouvriers sciaient le bronze et la pierre du côté des Tuileries, pendant qu'ils l'entaillaient en sifflet du côté de l'Opéra. Le jour venu, on n'aurait plus qu'à détruire l'équilibre de la masse en tirant avec des cordages, et la Colonne entière, déjà détachée de son piédestal, ne pouvait manquer de s'écrouler. Pour obvier à une chute oblique, la Colonne était soutenue, à droite et à gauche, par de solides étais.
Enfin le jour de la chute se leva. Vingt mille spectateurs faisaient de la rue de la Paix et de la rue de Castiglione une fourmilière humaine. Sur la place, les états-majors montraient leurs brillants uniformes. A tous les balcons de la place Vendôme, des officiers, des membres de la Commune écharpés de rouge. Les musiques jouaient la Marseillaise et le Chant du départ. Du haut du monument, de solides cordages, reliés à un cabestan posé à l'entrée de la rue de la Paix, pendaient.
Une première fois, le cabestan se rompit. On crut que tout était à refaire; mais à cinq heures et demie, le mal était réparé. Une seconde fois, les cordes se tendirent, et, dans le silence d'une universelle émotion, la Colonne oscilla. On la vit distinctement se briser dans la courbe qu'elle décrivit. Un formidable "ouff", un sifflement étouffé, puis un nuage de poussière... La foule se ruait déjà sur le cadavre... Sur le lit de fascines et de fumier, la Colonne gisait, les bas-reliefs écrasés et brisés. César s'était cassé le bras, et sa tête laurée, séparée du tronc, avait roulé à quelques mètres sur le pavé...
Cinq jours après, l'armée de Versailles entrait dans Paris. Elle rencontra devant elle cette ruine immense, le Napoléon gisant avec sa tête décollée, la face contre terre... On ramassa le mort, on le porta avec ses bas-reliefs, à la Monnaie...




Quatre ans après, la Colonne était rétablie sur son piédestal et le peintre Courbet condamné à rembourser à l'Etat la somme de 323.091,69 fr. par annuités de 10.000 francs! ses tableaux furent saisis et vendus. On vendit jusqu'à ses palettes et ses brosses, et aussi le rouet qui avait servi de modèle à la célèbre Fileuse endormie. Le grand artiste, désespéré, se retira en Suisse, à la Tour de Peilz, près de Vevey, où il mourut en 1877 et où il repose.

                                                                                                           Maxime Vuillaume.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 3 mai 1903.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire