En ballon de Londres à Paris.
Deux aéronautes français, MM. Jacques Faure et Henri Latham, viennent d'accomplir une performance sensationnelle. Partis de Londres samedi soir, à six heures quarante cinq, ils ont atterri le lendemain, à une heure quinze du matin, à Saint-Denis. L'aérostat était muni d'un stabilisateur à hélices mues par un moteur de sept chevaux, adhérent à la nacelle. A six heures et demi du soir, le ballon était prêt à partir de Londres.
Lâchez-tout!
"Devant une foule innombrable, quelle cohue!, nous procédons aux dernières opérations, et à six heures quarante cinq, dans la nuit, je prononce un joyeux "Lâchez-tout" auquel répondent de formidables "hourras!". Nous montons, montons; nous voici bientôt à 2.600 mètres. Londres flamboie derrière nous, comme derrière un voile de brouillard; il gronde dans une clarté opaline qui s'atténue, s'éteint. et nous voguons dans la nuit très claire, par une lune admirable. Et tout à coup apparaît la mer. Je me tourne vers mon compagnon dont c'était la première ascension, et lui montrant la mer:
- Tu es décidé, dis-je?
- Comme toi!
- Allons!
Nous n'étions plus qu'à 800 mètres d'altitude; nous avons quitté la terre d'Angleterre exactement une heure vingt cinq minutes après avoir quitté Londres; il était donc huit heures dix.
En mer.
Aussitôt en mer, je résolus d'expérimenter le stabilisateur Hervé. L'essai que je fis fut remarquable; il est pour moi concluant; je ne saurais vraiment trop rendre hommage à celui qui l'inventa. Je descendis en trombe. Mais à peine le stabilisateur touche-t-il la vague que le ballon s'équilibre d'une façon incomparable, et alors commence pour nous le plus captivant des voyages, dans le calme impressionnant de la nuit, dans la tristesse des clartés lunaires, tandis que derrière nous suit le sillage follement argenté du stabilisateur glissant sur l'eau. Le vent était violent: nous devions marcher à cent kilomètres à l'heure; je crus prudent de m'élever au-dessus de la mer par crainte d'une rafale, et je remontais dans les airs.
Oh! ce merveilleux spectacle! j'ai encore dans les yeux le charme infini du panorama majestueux de calme, de silence et de grandeur; de ces deux barques blanches qui erraient sur le flot; de ces deux paquebots haletants dont nous hélâmes les équipages! Deux heures après avoir perdu de vue la terre d'Angleterre, nous passions au-dessus de Dieppe. Il était dix heures dix du soir. J'avais atteint mon but: traverser la Manche. Je pouvais donc atterrir, mais j'était riche en lest, mon Aéro-Club avait dix-huit heures de navigation dans le ventre; autant continuer. Nous continuâmes, certains d'être en France ou du moins aussi certains qu'on peut l'être en ballon. Nous naviguions depuis trois heures environ, lorsque l'horizon s'éclaircit.
- Voilà le jour! fit mon cousin.
- Oui! répondis-je. Et pourtant ce n'est pas possible. Je consultais ma montre; à cette époque l'aurore est paresseuse; il était une heure: c'était donc la lueur d'une grande ville. Nous approchons. La clarté est intense, très blanche, sans brouillard; je reconnais, en vieil habitué, la lumière de Paris. "C'est Paris!" m'écriai-je.
La descente.
Il fut donc décidé que nous atterririons aussi près que possible des fortifications, ayant renoncé à descendre dans Paris même, où je redoutais d'incendier mon ballon à la flamme de quelque réverbère. La plaine d'Aubervilliers se présenta propice; comme le vent soufflait violemment à terre, je dus déchirer l'étoffe et, après un traînage de deux cents mètres, l'Aéro-Club s'immobilisa à une heure quarante cinq du matin. Nous avions fait le trajet Londres-Paris en six heures."
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 mars 1905.
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