Henri de Régnier.
Bien qu'il soit issu de famille champenoise et bourguignonne, M. Henri de Régnier est né, par hasard, en Normandie, à Honfleur, en 1864. Aussitôt qu'il fut en âge de porter monocle, il commença à se répandre dans les cénacles décadents et symbolistes. La poésie voluptueuse de Verlaine, les vers énigmatiques et sonores de Mallarmé, la prose tourmentée de Huysmans trouvèrent en lui un admirateur passionné et un heureux imitateur.
Les revues décadentes publièrent ses premières œuvres. L'amitié de Brunetière, qui lui fit faire d'utiles connaissances, qui le conduisit chez les frères de Goncourt, dans leur fameux grenier d'Auteuil, lui facilita ses débuts dans la carrière d'écrivain. Son mariage avec Mlle de Hérédia, fille de l'académicien, consacra sa réputation d'homme de lettre et d'homme du monde. M. Henri de Régnier était venu de bonne heure à Paris. Après avoir fait ses études au collège Stanislas, où on ne lui enseigna certainement pas les principes du symbolisme, il fit son droit et prit la licence en 1888.
Le droit, c'était une concession aux préjugés de famille qui exigent des jeunes gens un autre travail que l'accouplement des hémistiches. En réalité, tout en préparant sa licence, M. Henri de Régnier ne s'intéressait qu'aux lettres, ne s'occupait que des lettres.
De 1885 à 1888, il ne publia pas moins de cinq recueils de poésies: Premiers poèmes, Lendemains, Apaisement, Sites, Épisodes. Leconte de Lisle et Hérédia avaient fait sur son esprit une impression dont on retrouve la trace dans ses premiers vers. C'est peut être le double effet de son admiration pour ces maîtres et pour son affiliation à l'école symboliste qui fit l'originalité de son talent. Il aimait à décrire dans une langue imprécise des sentiments doux et tendres, mais complexes, quintessenciés, bizarres, "tels qu'en songe" dit le titre même d'un de ses recueils.
Pour mieux comprendre le trouble réel ou factice, de sa sensibilité, pour achever, peut être, de décontenancer le lecteur, il alignait des vers disproportionnés qui, privés de la consonne d'appui et ne sachant sur quel pied se tenir (certains en avaient jusqu'à quatorze) s'embarrassaient dans la césure et trébuchaient sur les hiatus. Par la suite, cependant, il est revenu à une forme plus classique qui traduit des idées moins nébuleuses.
Le livre des Médailles d'argile, écrit dans cette manière, est peut-être le meilleur de ses volumes de vers.
Les anciens compagnons de M. Henri de Régnier se sont récriés quand ils l'ont vu renier les théories si ardemment défendues jadis. Ils se sont demandés si le poète des Épisodes n'avait pas tout simplement cherché, autrefois, par ses singularités, la renommée, aujourd'hui par son abjuration le baptême académique. La question ne se pose plus, puisque M. Henri de Regnier s'est porté tout dernièrement candidat au fauteuil d'André Theuriet, contre Harancourt et Richepin, un autre converti, qui fut élu.
M. Henri de Régnier fera encore un effort, il relira, ce décadent, les vers de Boileau et de François Coppée, il traduira au besoin en style académique ses propres poèmes de jeunesse, et, avec quelques cheveux gris de plus, il frappera de nouveau chez le bonhomme Coupole: on peut parier qu'il y sera reçu. Ainsi le vocabulaire symbolique aura une porte ouverte sur le dictionnaire de l'Académie.
M. Henri de Régnier ne dédaigne pas d'écrire en prose: il publie des romans et des nouvelles. Parfois sa prose est décadente, comme dans la Canne de Jaspe, recueil de longues nouvelles dont certaines à force d'être originales sont incompréhensibles. Quand il emploie "l'écriture artiste" M. Henri de Régnier est ennuyeux. Mais quand il écrit plus naturellement, en une prose châtiée où dominent les expressions et les tournures chères au dix-huitième siècle, ses romans sont agréables. Le meilleur, Les rencontres de M. de Bréot, fait penser dès les premières pages aux livres de M. Anatole France.
Mme Henri de Régnier, sous le nom de Gérard d'Houville a publié, elle aussi, des vers et des romans. En 1903, elle a fait l'Inconstante, sans en parler à son mari ni à son père. Depuis, elle a fait l'Esclave, ce qui doit être, ce me semble, mieux goûté de son époux.
Jean-Louis.
Phrases choisies de M. de Régnier:
Les revues décadentes publièrent ses premières œuvres. L'amitié de Brunetière, qui lui fit faire d'utiles connaissances, qui le conduisit chez les frères de Goncourt, dans leur fameux grenier d'Auteuil, lui facilita ses débuts dans la carrière d'écrivain. Son mariage avec Mlle de Hérédia, fille de l'académicien, consacra sa réputation d'homme de lettre et d'homme du monde. M. Henri de Régnier était venu de bonne heure à Paris. Après avoir fait ses études au collège Stanislas, où on ne lui enseigna certainement pas les principes du symbolisme, il fit son droit et prit la licence en 1888.
Le droit, c'était une concession aux préjugés de famille qui exigent des jeunes gens un autre travail que l'accouplement des hémistiches. En réalité, tout en préparant sa licence, M. Henri de Régnier ne s'intéressait qu'aux lettres, ne s'occupait que des lettres.
De 1885 à 1888, il ne publia pas moins de cinq recueils de poésies: Premiers poèmes, Lendemains, Apaisement, Sites, Épisodes. Leconte de Lisle et Hérédia avaient fait sur son esprit une impression dont on retrouve la trace dans ses premiers vers. C'est peut être le double effet de son admiration pour ces maîtres et pour son affiliation à l'école symboliste qui fit l'originalité de son talent. Il aimait à décrire dans une langue imprécise des sentiments doux et tendres, mais complexes, quintessenciés, bizarres, "tels qu'en songe" dit le titre même d'un de ses recueils.
Pour mieux comprendre le trouble réel ou factice, de sa sensibilité, pour achever, peut être, de décontenancer le lecteur, il alignait des vers disproportionnés qui, privés de la consonne d'appui et ne sachant sur quel pied se tenir (certains en avaient jusqu'à quatorze) s'embarrassaient dans la césure et trébuchaient sur les hiatus. Par la suite, cependant, il est revenu à une forme plus classique qui traduit des idées moins nébuleuses.
Le livre des Médailles d'argile, écrit dans cette manière, est peut-être le meilleur de ses volumes de vers.
Les anciens compagnons de M. Henri de Régnier se sont récriés quand ils l'ont vu renier les théories si ardemment défendues jadis. Ils se sont demandés si le poète des Épisodes n'avait pas tout simplement cherché, autrefois, par ses singularités, la renommée, aujourd'hui par son abjuration le baptême académique. La question ne se pose plus, puisque M. Henri de Regnier s'est porté tout dernièrement candidat au fauteuil d'André Theuriet, contre Harancourt et Richepin, un autre converti, qui fut élu.
M. Henri de Régnier fera encore un effort, il relira, ce décadent, les vers de Boileau et de François Coppée, il traduira au besoin en style académique ses propres poèmes de jeunesse, et, avec quelques cheveux gris de plus, il frappera de nouveau chez le bonhomme Coupole: on peut parier qu'il y sera reçu. Ainsi le vocabulaire symbolique aura une porte ouverte sur le dictionnaire de l'Académie.
M. Henri de Régnier ne dédaigne pas d'écrire en prose: il publie des romans et des nouvelles. Parfois sa prose est décadente, comme dans la Canne de Jaspe, recueil de longues nouvelles dont certaines à force d'être originales sont incompréhensibles. Quand il emploie "l'écriture artiste" M. Henri de Régnier est ennuyeux. Mais quand il écrit plus naturellement, en une prose châtiée où dominent les expressions et les tournures chères au dix-huitième siècle, ses romans sont agréables. Le meilleur, Les rencontres de M. de Bréot, fait penser dès les premières pages aux livres de M. Anatole France.
Mme Henri de Régnier, sous le nom de Gérard d'Houville a publié, elle aussi, des vers et des romans. En 1903, elle a fait l'Inconstante, sans en parler à son mari ni à son père. Depuis, elle a fait l'Esclave, ce qui doit être, ce me semble, mieux goûté de son époux.
Jean-Louis.
Phrases choisies de M. de Régnier:
La canne de Jaspe.
***
...Les mains vivaient, préhensives et non gourdes et décharnées, détendues de lassitude ou rétractées d'acharnement comme souvent celles de la vieillesse.
***
... Une statue, de maints gestes intermédiaires, n'en fixe que le décisif...
***
... Un mousse nous jeta une pomme pourrie. Je la ramassais et je vis dans la purulence du fruit la trace des dents dont le drôle nous riait, à califourchon sur une vergue...
***
... On voyait au fond de l'avenue qui y menait la robuste ferronnerie crisper sa défense ornementale et dresser l'arrogance de son portail...
***
... J'ai compris à un éclair mauvais de ses yeux jaunes que les traverses m'avaient ramené à la patte d'oie d'où s'ouvraient des routes qui pourraient bien être celles de la disgrâce...
***
... Il y eut de grands orages qui déchiraient le ciel d'éclairs comme si la chevelure surchauffée et sulfureuse exaspérait la congestion des nues.
Ah! l'art d'écrire...
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 juillet 1908.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire