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samedi 12 août 2017

L'orfèvrerie moderne.

L'orfèvrerie moderne.


Depuis une vingtaine d'années, l'art industriel a fait en France des progrès admirables. Ce mouvement est dû à plusieurs causes: le goût de plus en plus répandu des objets d'art, l'amour du luxe et enfin les progrès scientifiques.
Les bibliophiles, les numismates, les collectionneurs de faïences, les amateurs de vieux meubles existaient déjà du temps de louis XIV. On les désignait sous le nom de "curieux". Depuis 1830, ce n'est plus de la curiosité que l'on éprouve pour les objets d'art anciens, c'est du fanatisme et de la passion.
Ce culte pour les productions des artistes d'autrefois a nécessairement amené des modifications dans les habitudes des artistes modernes, qui se sont inspirés des vieux modèles. L'archéologie, en élargissant le cercle de ses investigations, leur a aussi fourni des documents précieux. La chromolithographie et la photographie leur ont fait connaître l'Egypte, Pompéï et l'Orient et ont, au point de vue de l'ornementation, puissamment contribué au progrès général.
Enfin la science a mis à la disposition de nos artisans des moyens chimiques et mécaniques qui leur ont permis de faire des travaux parfaits d'exécution.
L'orfèvrerie a surtout profité des découvertes scientifiques de ce siècle.
M. Christofle, pour ne citer qu'un maître, est arrivé à produire, au moyen de la galvanoplastie, des incrustations d'argent et d'or sur des parois de bronze qui rappellent les décors des admirables vases japonais ou chinois, si péniblement travaillés au mattoir. Il obtient le guillochage par un procédé électro-magnétique très-simple. Pour ce qui est de l'orfèvrerie de luxe et de l'orfèvrerie d'or, ses produits peuvent rivaliser avec les plus beaux spécimens du monde. Le service de dessert exécuté pour les fêtes de l'Hôtel de ville de Paris, sur les indications du baron Haussmann, et qui a été universellement admiré, peut donner une idée des merveilles de l'orfèvrerie moderne.
Mais laissons de côté ces grands travaux pour nous occuper d'un délicieux service exposé cette année à Vienne. Il s'agit de six pièces seulement, six pièces d'un travail exquis. Le cristal ciselé s'y mélange avec la monture d'argent et compose un ensemble remarquablement léger.



Aucune figure, aucun sujet ne se trouve confondu dans les motifs du décor. C'est de l'ornementation pure, et l'on doit féliciter M. Christofle d'avoir ainsi réagi contre une tendance désastreuse, celle de l'abus du sujet.
Cet abus contre lequel on ne saurait trop s'élever nous rappelle cette boutade rétrospective d'un humoriste:
"Comment décorions-nous? qu'étaient nos porcelaines et nos tapis?- Des tableaux! On nous faisait fouler aux pieds des campagnes peuplées de bergers et de moutons; en franchissant le seul d'un salon, nous marchions sur une vache ou nous enfoncions notre pied dans le ciel; après quoi nous allions nous asseoir sur des guerriers pleins d'enthousiasme. Sur nos vases et nos tasses, Raphaël peignait la Fornarina, tandis que Napoléon se faisait panser devant Ratisbonne, et que Corinne enchantait ce pauvre Oswald."
Les Orientaux étaient bien plus avancés que nous dans l'art décoratif; ils ne commettaient pas de pareil non-sens. Des lignes animées, capricieuses, bizarres même, enchevêtrées avec une fantaisie pleine de charme, des brisures audacieuses, voilà les seuls motifs qu'ils emploient et ceux-là ne jurent pas sur un objet usuel.

                                                                                                                        O. Renaud.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

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