A la turque.
Il y a deux manières de faire le café: à la française ou à l'orientale.
Delille s'est mis en frais de périphrases pour dépeindre en vers le procédé classique généralement répandu dans notre pays; dans un de ces élans à la glace, dont il a le secret, il s'est écrié en s'adressant personnellement à la fève du moka:
Que j'aime à préparer ton nectar précieux!
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux:
Sur le réchaud brûlant, moi seul, tournant ta graine,
A l'or de ta couleur fait succéder l'ébène;
Moi seul, contre la noix qu'arment ses dents de fer,
Je fais en le broyant, crier ton fruit amer.
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En d'autres termes, Delille se servait du moulin à café.
Voltaire, Balzac, Rossini préféraient la manière orientale.
C'est Balzac qui a posé l'axiome gastronomique suivant, dans son Traité des excitants:
"Le café concassé à la turque a plus de saveur que dans un moulin."
On concasse le café avec un marteau, un maillet, une crosse de fusil, suivant les circonstances où l'on se trouve. Les soldats en garnison ont un procédé spécial qui mérite d'être rapporté. Pour faire les choses convenablement, ils commencent par nettoyer la table de la chambrée en la grattant avec la première semelle de soulier qui leur tombe sous la main. La place nette, ils y mettent le café en grains; et disposent parallèlement, deux bâtons de tente. Sur ces deux bâtons, un banc renversé. Deux homme s'échafaudent sur le tout. Le reste de la chambrée se partage en deux camps qui tirent et poussent alternativement le banc de façon à faire laminer le café par les bâtons de tente.
Hâtons-nous de le déclarer: le banc ne vaut pas la crosse de fusil ou le marteau.
Quand le café est concassé, on peut le mettre dans les cafetières modernes. Au point de vue de la cuisson, le système de Belloy vaut mieux que le chaudron de l'Arabe.
Le café terminé, il faut le boire.
Ici, nous devons rendre aux Orientaux cette justice qu'ils savent mieux boire le café que nous. D'abord, ils n'ont que des tasses microscopiques, grandes comme nos petits coquetiers, dont elle ont d'ailleurs la forme, et ces dimensions exiguës leur permettre de boire rapidement leur café sans qu'il ait eu le temps de refroidir ou de s'évaporer.
Leurs services à café sont en métal émaillé; les tasses s'emboîtent dans des supports également en métal gracieux au regard, décorés avec le goût et l'art qui caractérisent les peuples de l'Orient; ils ont en outre l'extrême avantage de conserver la chaleur plus longtemps que nos froids services de porcelaine. Leurs cafetières affectent des formes élancées et pures. Leurs plateaux dentelés rappellent l'ordonnance des arcade de l'Alhambra.
Les dessins originaux, les rinceaux bizarres, les émaux éclatants qui recouvrent les diverses pièces de leurs services sont comme le prélude des fantaisies charmantes que le café fait naître.
R. D.
Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.
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