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mercredi 24 mai 2017

L'estrapade.

L'estrapade.

Dans son admirable ouvrage sur le moyen âge, M. Paul Lacroix a cité plusieurs supplices dont la cruauté fait frémir. Selon le caprice des magistrats ou des tourmenteurs, on appliquait aux condamnés des tortures innommées. Par exemple, on leur plaçait des œufs bouillants sous les aisselles, on leur introduisait entre cuir et chair des dés à jouer aux arêtes aiguës, on attachait dans les mains des patients des bougies de cire allumées.
On comprend, en présence de pareils raffinements de cruauté, que la pendaison ait pu être considérée quelquefois comme une véritable faveur. C'était une vraie grâce, en effet, que d'être mis à mort rapidement, sans passer par les exercices préparatoires que les imaginations malsaines des bourreaux pouvaient inventer. Cela explique en partie une gravure de 1490 qui représente une pendaison en musique. Un ménétrier, qui devait périr par la corde, obtint, paraît-il, l'autorisation de se faire accompagner au supplice par un de ses confrères qui lui joua de la cornemuse sur l'échelle même du gibet. Il passa de vie à trépas aux sons joyeux de son instrument favori, en se félicitant sans doute d'en être quitte pour si peu.
En effet, il aurait pu, comme tant d'autres, subir le supplice des brodequins, de la reglia ou de l'escapade. Que l'on jette un regard sur notre gravure, et l'on verra que la dernière de ces tortures avait d'épouvantable. 




L'accusé, à moitié nu, a les mains assujetties derrière le dos et serrées à force par un câble que deux hommes maintiennent énergiquement. Une corde, dont l'une des extrémités est passée sous le bras du malheureux, est mise en mouvement par un treuil. Aux pieds du patient on a fixé un poids de deux cent cinquante livres.
Lorsque le magistrat en donne l'ordre aux aides, ces derniers font mouvoir le treuil. La victime est alors élevée au plafond de la salle; puis tout à coup, on la laisse retomber au niveau du sol. Chaque secousse produit une douleur nouvelle et amène la dislocation d'un membre. Il n'y a pas d'hommes assez robustes pour résister à des chocs pareils.
Cette terrible torture a été longtemps d'usage à Orléans. Ce qu'il y a de plus horrible, c'est qu'on l'infligeait non pas à des coupables, mais seulement à des prévenus. C'était la question extraordinaire. Singulière façon d'interroger les gens! Le magistrat chargé de l'instruction assistait froidement à cette cérémonie sauvage, guettant parmi les cris de douleur du misérable, les aveux qu'il était bien forcé de faire, innocent ou coupable. Quand le greffier avait bien tout écrit, on détachait la victime. Le prélude était terminé. Il ne s'agissait plus que de supplicier le condamné. Mais, nous le répétons, les tortures étaient telles que la mort devait paraître une véritable délivrance.
Les souffrances physiques que nous venons de décrire n'étaient pas toujours les seules que le prévenu endurât. Dans le manuel technique de Damhoudère: Practique et Euchiridion des causes criminelles, il est recommandé particulièrement aux magistrats, lorsque la question doit être appliquée à plusieurs personnes, de commencer par celles qui peuvent céder le plus facilement. Si le père et le fils par exemple sont impliqués dans une même affaire, on torturera le fils en présence du père "qui craint naturellement plus pour son enfant que pour soy-même."
Félicitons-nous de ne pas vivre à une époque aussi barbare. Aujourd'hui la loi est douce. La répression du crime n'en existe pas moins; mais elle s'exerce de façon à protéger la société sans déshonorer l'esprit humain par des excès de férocité.

                                                                                                                            E. M. 

Le Musée universel, revue illustré hebdomadaire, premier semestre 1874.

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