Le fauteuil de Dagobert.
Une circonstance frivole décide bien souvent du plus ou moins de célébrité qui s'attache à un nom; c'est ainsi que la foule, et elle est nombreuse, de ceux qui n'ont pas étudié l'histoire de leur pays, connait généralement beaucoup mieux le nom de Dagobert que celui de Clovis.
Une chanson, que son extrême naïveté a rendu populaire, a fait plus pour la gloire de Dagobert 1er que les victoires qu'il a remporté contre les Slaves, les Saxons, les Bretons et les peuplades turbulentes de la Gascogne; par la même raison, l'épithète de bon que lui donne saint Eloi restera; et, en dépit de la réalité historique, malgré l'assassinat de son oncle, malgré le massacre de dix mille familles barbares qu'il fit égorger en une nuit par ses soldats, malgré la fantaisie cruelle qui lui dicta l'ordre de couper la tête de tous ceux de ses prisonniers saxons dont la taille dépassait la hauteur de sa longue épée de guerre, ce sera toujours pour la multitude le bon roi Dagobert.
La célébrité que ce roi a acquise d'une manière si bizarre en a rejaillit sur un fauteuil qui, après avoir été conservé pendant plusieurs siècles dans le trésor de l'abbaye de Saint-Denis, passa au Palais-Royal, où il resta quelque temps exposé en vente à l'époque de la suppression et du pillage des monastères, en 1793, et enfin fut déposé au cabinet des médailles.
Ce siège est le produit de deux arts différens. La forme élégante et le travail de la partie inférieure rappellent les chaises curules romaines, et elle a bien pu servir comme telle sous le Bas-Empire avant sa réunion avec la partie supérieure, dont le style barbare pourrait se rapporter au temps de Dagobert 1er, qui mourut l'an 638. Le fait de la possession de ce fauteuil par les religieux de l'abbaye de Saint-Denis, dont ce roi est regardé comme le fondateur, a contribué à accréditer l'opinion qui le lui attribue. Quoiqu'il en soit de la vérité de cette tradition, Napoléon, dont elle flattait le goût pour les rapprochemens bizarres, l'a adopté, et lui a donné par là une sanction éclatante. C'est assis sur ce fauteuil qui, s'il n'appartient pas à Dagobert, a peut être servi à l'un de nos premiers rois, que Napoléon, leur successeur par le droit de son épée, a voulu distribuer les croix de la légion-d'honneur à ses soldats dans une occasion solennelle; on se rappelle que, par un ordre exprès de l'empereur, le fauteuil fut transporté en poste à Boulogne-sur-Mer, en août 1804.
Depuis, il est resté paisiblement à la bibliothèque royale, et, placé au milieu des chefs-d'oeuvre de l'art que possède le cabinet des médailles, il jouit du privilège d'attirer constamment une foule curieuse, qui demeure généralement désappointée, parce qu'elle s'attend à trouver un fauteuil d'or massif fait aussi pour Dagobert, par le bon évêque de Noyon, saint Eloi, si l'on en croit une autre tradition.
Le Magasin pittoresque, 1833, livraison 49.
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