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dimanche 7 mai 2017

Les ogresses.

Les ogresses.


Selon Lombroso, une recrudescence de crimes correspond avec le retour du printemps. Encore que nous n'ayons, cette année, qu'un printemps bien inclément, cette "loi" posée par l'école anthropologique italienne, paraît assez bien se vérifier. Les journaux nous offrent une collection d'horreurs assez variées, et ce ne sont pas les faits divers dramatiques qui manquent.
La plus troublante de ces énigmes, en raison de son intérêt psychique, fut le cas de cette femme, Jeanne Weber(1), que la voix populaire avait expressivement surnommée l'"Ogresse". Les enfants dont Jeanne Weber avait la garde mourraient tous de la même façon. Était-ce une extraordinaire fatalité? Jeanne Weber fut-elle une monomane? La Cour d'assises de la Seine l'acquitta, faute de preuves matérielles, sans que le procès ait pu faire la lumière complète. Au demeurant, elle était douce, elle paraissait bonne; elle était même aimée des petits dont elle s'occupait. mais ils mourraient dans ses bras, et les apparences, tout au moins, furent singulièrement inquiétantes, même en faisant la part des exagérations de détail de la rumeur publique. Mais ces effroyables hantises du meurtre, sans intérêt, sans calcul, sous l'obsession d'une idée fixe, dans un détraquement cérébral, ne sont, hélas, que trop possibles. Il y en a des exemples fameux, qui déroutaient jadis la justice, cherchant toujours un mobile, sans que la science tentât encore une explication: Henriette Courier (2), servante modèle, sauf qu'elle coupait le cou aux enfants de ses maîtres, ou Papavoine (3), comptable scrupuleux et parfaitement recommandable, sauf qu'il égorgeait les pauvres mioches dans le bois de Vincennes.



Mais c'étaient là des accès frénétiques, et l'évidence de la folie aurait pu faire traiter en aliénés ces auteurs de crimes retentissants. Le procès d'Hélène Jéguado (4) est plus intéressant aujourd'hui qu'il ne parut l'être, il y a cinquante ans, alors qu'on ne voyait en cette accusée qu'un monstre de perversité, dont les forfaits restaient inexplicables. A présent, après tant de travaux, ce procès offre l'étude la plus complète de la monomanie criminelle. Le défenseur d'Hélène Jéguado hasardait, dans une plaidoirie pleine de conviction, que l'accusée présentait un phénomène exceptionnel d'inconscience, qu'il y avait là "un mystère de la nature". Le procureur général, dans sa réplique, protesta contre "les idées malheureuses" de l'avocat et conclut ainsi, avec une superbe assurance: "S'il y a encore à apprendre dans l'ordre physique, tout est vu dans l'ordre moral". Nous sommes plus humbles en notre temps.
Hélène Jéguado avait empoisonné trente personnes. Partout où elle allait, la mort la suivait, et il n'y eut pas une maison où elle servit comme domestique, qui fût épargnée: ce n'était pas une ménagère. Elle était laborieuse, persévérante, adroite, avait une conduite exemplaire; elle était désintéressée et, avec ses faibles ressources, faisait du bien autour d'elle, s'occupant d'une vieille femme et de deux orphelines. Tout ce que l'accusation put trouver contre sa moralité, c'est qu'elle avait un jour dérobé une bouteille de vin. Des témoins rendirent hommage à ses excellentes qualités. Cependant cette servante parfaite et, ce qui semble incroyable, "dévouée" à ses maîtres, paraissant, par certains côtés, digne de quelque prix de vertu, tuait sans relâche autour d'elle, comme par une volupté des agonies auxquelles elle assistait. On avait été long à concevoir des soupçons contre elle: il fallut pour qu'on s'avisa de la supposer coupable, deux morts successifs dans des circonstances identiques. D'ailleurs tous ceux et toutes celles qu'elle avait expédiés dans l'autre monde avaient fini de la même manière. A l'audience, il y eut un long défilé de médecins ayant soigné les moribonds, et le président ne s'étonna pas sans quelque raison que tous eussent pronostiqué des indispositions bénignes. La médecine fut aussi sur la sellette pendant ce procès.
La justice ne pouvait pas comprendre la double nature  d'Hélène Jéguado. Sans doute, celle-ci avait commis tous ces meurtres sans profit aucun et même sans animosité, et cela étonnait bien un peu les juges, mais ils voyaient, d'autre part, une femme qui n'était pas dénuée d'intelligence, qui raisonnait normalement sur bien des points, et ils s'indignaient de sa puissance de dissimulation.
"Elle a marché toute sa vie au crime d'un pas résolu, disait le réquisitoire, abritée d'une vertu d'emprunt." On n'imaginait pas l'irresponsabilité sans folie manifeste et propos incohérents. Hélas! il a bien fallu reconnaître qu'il y a d'effrayantes démences partielles, sous les apparences de la raison, qu'il y a de redoutables anomalies dans certains cerveaux, et que la machine humaine est sujette à des altérations autrement compliquées qu'on le pensait autrefois.

                                                                                                                   Paul Ginisty.

Mon Dimanche, journal populaire illustré, 3 mai 1908.

Nota de Célestin Mira:

(1) Jeanne Weber:











(2) Il s'agit en fait d'Henriette Cornier et non Courier comme orthographié dans le présent article, qui décapita l'enfant d'un fruitier âgée de dix-neuf mois, sans raison apparente,  le 4 novembre 1825. 



Henriette Cornier décapitant une enfant.


(3) Louis-Auguste Papavoine.


Papavoine guettant ses victimes dans le bois de Vincennes.


Assassinat de deux enfants, sous les yeux de leur mère par Papavoine au bois de Vincennes
le 18 octobre 1824.
(4) Hélène Jéguado ou Hélène Jégado.











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