Souvenirs de la bataille d'Arques.
Le château d'Arques, situé à une lieue et demie sud-est de Dieppe, s'élève sur une colline aride et rocailleuse. Du haut de ses tourelles en ruines le regard plonge dans une vallée qu'arrosent les ruisseaux de l'Helna, de la Béthune et de la Varenne. Le bourg d'Arques, déchu de son ancien importance, apparaît dans la situation le plus pittoresque: les irrégularités du terrain, les touffes d'arbres, la verdure et les rochers, lui donnent un aspect tout-à-fait original. Beaucoup d'habitations sont empreintes du caractère hollandais, et semblerait attester une colonisation des bourgeois de Breda ou d'Anvers dans la Normandie. Plusieurs conservent des traces d'architecture gothique et du temps de la renaissance; des tourelles, des ogives ornées de rosaces, des colonnes cannelées, augmentent encore le contraste de ce bourg avec les fermes normandes et leurs ombrages de pin, de tilleuls et de pommiers. Les fluctuations du sol entrecoupé de monticules et de haies vives animent agréablement le paysage. On aperçoit Dieppe au fond, et l'Océan termine l'horizon au nord-ouest.
Dès 944, Elodoard fait mention du château d'Arques comme d'un poste militaire; mais sa célébrité ne date que du temps où Guillaume, fils de Richard II, le reçut en apanage de son oncle Guillaume-le-Conquérant (1060-65). Le fils de Richard, fier de sa naissance, crut pouvoir se révolter; mais son ingratitude fut punie d'un exil qu'il passa dans la mendicité. Depuis, le château, après être passé tout à tour entre les mains des Anglais et des Français, auquel il revint, en 1449, par le traité de Rouen, subit un grand nombre de changemens et d'altérations, et perdit tout à fait son premier caractère. Il est à croire qu'il serait tombé dans l'oubli, si la bataille d'Arques ne lui eût rendu quelque illustration. En visitant ces lieux encore remplis de souvenirs de cette journée, l'on aime à y songer à l'esprit chevaleresque et aventureux de Henri IV, qui, avec une poignée d'hommes, risqua dans ces lieux toutes ses espérances et tout son avenir.
Henri, à l'approche des ligueurs qui commandait Mayenne, crut prudent de quitter Rouen, dont il faisait le siège, pour se rejeter sur Dieppe. Son armée, en tout composée de 1.200 fantassins et de 2.000 cavaliers, se mit à l'abri derrière une tranchée qu'il fit faire à la hâte, enveloppant dans une ligne de circonvallation le Pollet, le petit village de Martin-Eglise, la maladrerie saint-Etienne, le bourg et le château d'Arques.
Le lendemain, 23 septembre 1589, par un brouillard d'automne des plus épais, à cinq heures du matin, Henri et tous ses officiers déjeûnaient dans un grand fossé; Porson annonça M. de Belin, gentilhomme ligueur, qui avait été pris en voulant trop s'avancer.
"Bonjour, Belin, lui dit le roi; embrassez-moi pour votre bienvenue."
Belin l'embrassa en riant, puis lui annonça qu'il allait avoir trente mille hommes sur les bras.
"Et où sont vos forces?" lui demanda-t-il en ne voyant que quelques hommes d'armes et quelques lansquenets.
"Eh! lui répondit le roi, comptez-vous pour rien Dieu et le bon droit qui nous assistent?"
En effet, comme lui avait prédit son prisonnier, Mayenne s'avançait à la faveur du brouillard, pensant s'emparer de Martin-Eglise, et ôter par là toute communication entre Dieppe et Arques. Mais son projet était connu: le plan de l'ennemi avait été trouvé dans la pochette de M. Belin. Henri sut alors ce qu'on voulait, et échelonna si habilement ses braves compagnies de Rambure, de Lorges et de Montgomery, qu'il vainquit le nombre par ses habiles dispositions. Le jeune comte d'Angoulème, chargeant les ligueurs à la tête de son escadron, se trouva en face de Sagoune, et cherchait à l'approcher.
"Du fouet! du fouet! petit garçon," lui cria celui-ci du plus loin qu'il l'aperçut. Mais bien mal lui en prit, car le comte lui perça la cuisse d'un coup de pistolet. Néanmoins, malgré les efforts de Henri, de Biron et de Châtillon, la bataille était encore indécise, "lorsque le brouillard, dit Sully, qui avait été fort grand tout le matin, s'abaissa tout-à-coup, et le canon du château d'Arques découvrant l'armée des ennemis, il en fut tiré une volée de quatre pièces, qui fit quatre belles rues dans leurs escadrons et bataillons. Cela les arrêta tout court. Et enfin, trois ou quatre volées suivantes, qui faisaient merveilleusement effet, les firent désordonner, et peu après se retirer du tout derrière le tournant du vallon... et finalement dans leurs quartiers."
Ce fut sur le champ de bataille d'Arques que Henri écrivit ces mots fameux: "Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu, et tu n'y étais pas."
Une ordonnance royale de 1753 accorda aux habitans le droit de faire une carrière du château. Cette destruction dura trente ans, et a fini par faire de ce vieux manoir un tronçon informe, où, au milieu des pans de murs croulans, des parapets dépouillés de leur revêtemens, on a beaucoup de peine à découvrir les traces d'une architecture pleine de grâce, de finesse et de légèreté.
Le Magasin pittoresque, 1833, livraison 28.
Henri, à l'approche des ligueurs qui commandait Mayenne, crut prudent de quitter Rouen, dont il faisait le siège, pour se rejeter sur Dieppe. Son armée, en tout composée de 1.200 fantassins et de 2.000 cavaliers, se mit à l'abri derrière une tranchée qu'il fit faire à la hâte, enveloppant dans une ligne de circonvallation le Pollet, le petit village de Martin-Eglise, la maladrerie saint-Etienne, le bourg et le château d'Arques.
Le lendemain, 23 septembre 1589, par un brouillard d'automne des plus épais, à cinq heures du matin, Henri et tous ses officiers déjeûnaient dans un grand fossé; Porson annonça M. de Belin, gentilhomme ligueur, qui avait été pris en voulant trop s'avancer.
"Bonjour, Belin, lui dit le roi; embrassez-moi pour votre bienvenue."
Belin l'embrassa en riant, puis lui annonça qu'il allait avoir trente mille hommes sur les bras.
"Et où sont vos forces?" lui demanda-t-il en ne voyant que quelques hommes d'armes et quelques lansquenets.
"Eh! lui répondit le roi, comptez-vous pour rien Dieu et le bon droit qui nous assistent?"
En effet, comme lui avait prédit son prisonnier, Mayenne s'avançait à la faveur du brouillard, pensant s'emparer de Martin-Eglise, et ôter par là toute communication entre Dieppe et Arques. Mais son projet était connu: le plan de l'ennemi avait été trouvé dans la pochette de M. Belin. Henri sut alors ce qu'on voulait, et échelonna si habilement ses braves compagnies de Rambure, de Lorges et de Montgomery, qu'il vainquit le nombre par ses habiles dispositions. Le jeune comte d'Angoulème, chargeant les ligueurs à la tête de son escadron, se trouva en face de Sagoune, et cherchait à l'approcher.
"Du fouet! du fouet! petit garçon," lui cria celui-ci du plus loin qu'il l'aperçut. Mais bien mal lui en prit, car le comte lui perça la cuisse d'un coup de pistolet. Néanmoins, malgré les efforts de Henri, de Biron et de Châtillon, la bataille était encore indécise, "lorsque le brouillard, dit Sully, qui avait été fort grand tout le matin, s'abaissa tout-à-coup, et le canon du château d'Arques découvrant l'armée des ennemis, il en fut tiré une volée de quatre pièces, qui fit quatre belles rues dans leurs escadrons et bataillons. Cela les arrêta tout court. Et enfin, trois ou quatre volées suivantes, qui faisaient merveilleusement effet, les firent désordonner, et peu après se retirer du tout derrière le tournant du vallon... et finalement dans leurs quartiers."
Ce fut sur le champ de bataille d'Arques que Henri écrivit ces mots fameux: "Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu, et tu n'y étais pas."
Une ordonnance royale de 1753 accorda aux habitans le droit de faire une carrière du château. Cette destruction dura trente ans, et a fini par faire de ce vieux manoir un tronçon informe, où, au milieu des pans de murs croulans, des parapets dépouillés de leur revêtemens, on a beaucoup de peine à découvrir les traces d'une architecture pleine de grâce, de finesse et de légèreté.
Le Magasin pittoresque, 1833, livraison 28.
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