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mercredi 24 mai 2017

La table des monstres.

La table des monstres.

Au numéro 83 de la rue de la Révolte, existe un hôtel borgne au rez-de-chaussée duquel est établie une table d'hôte d'un bon marché fantastique. Pour donner une idée des prix, bornons-nous à constater qu'un supplément se sauce y coûte un sou.
Cette table d'hôte porte le nom de Table des monstres. C'est là que viennent chaque soir prendre leur repas les phénomènes de passage à Paris. Ils se réunissent en cet endroit pour éviter d'attirer l'attention et d'éveiller les quolibets en dînant chacun de leur côté dans des endroits différents.
Rien de plus curieux que ces repas. On se croirait dans une féerie, en plein fantastique. L'homme-squelette y verse à boire à la femme à barbe. La "grande géante du Nord" y flirte avec le nain à triple bosse. Quelques-uns des convives ont trois jambes, d'autres sont nés sans bras et se servent de leurs pieds en guise de mains. Ici un dîneur dépourvu de nez, là un malheureux qui a la tête de côté. Puis le Roi des animaux, personnage entièrement velu qui figurait à la foire au pain d'épices; le Pain-de-sucre, dont la tête pointue est haute de quarante-cinq centimètres, du menton au sommet; la Sirène, aux deux jambes réunies en une seule.
Toutes les infirmités humaines sont représentées là.
Les faux monstres sont rigoureusement exclus du cénacle, ainsi que tous les étrangers. Nous ne conseillerions pas à un curieux d'assister à un de ces dîner. Des imprudents s'y sont aventurés. Homme-squelette, géante du nord, Roi des animaux, Pain-de-sucre, Sirène, monstres de toute espèce qu'on eut dit sortis d'une gravure de Callot, les ont si bien reçus qu'ils croyaient en sortant revenir d'un cercle de l'enfer.
La plupart des habitués de la table d'hôte ne sont point des monstres de naissance. Chose horrible à dire, beaucoup ont été façonnés par des spécialistes anglais, chez lesquels des parents dénaturés font déformer leurs enfants à prix fixe, malgré la surveillance de la police.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

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