Les
cris des petits métiers de Paris
au
XIIIe siècle.
Il
existe une nomenclature fort curieuse, en vers anciens, des cris de
Paris au XIIIe siècle; c'est un monument remarquable, qui nous donne
d'une manière assez exacte la mesure du commerce et l'existence des
petits métiers les plus communs à cette époque. Paris, alors
renfermé dans la clôture de Philippe-Auguste en 1211, occupait en
superficie un emplacement de 700 arpens; sous Louis XVI on en
comptait 9.000.
Les
rues étaient étroites et boueuses, pavées encore en peu
d'endroits, et obstruées à tous les instans par les porcs et autres
animaux que les habitans laissaient errer au hasard pour chercher
leur nourriture. A ce premier ennui, ajoutez celui d'entendre à
toute heure du jour ces clameurs de toutes sortes, les cris des
marchands et les bruits de tambour à chaque proclamation
ou cri solennel des crieurs du roi et de la ville,
et vous aurez le tableau animé, remuant et criard de cette ville au
XIIIe siècle.
Nous
donnerons quelques passages du Dict des cris de Paris de
Guillaume de Villeneuve, avec un aperçu historique des diverses
denrées et marchandises les moins connues et les plus curieuses. On
verra que, sauf quelques uns d'entre eux qui ont disparu pour faire
place à un plus grand nombre d'autres, ces cris sont encore à peu
près les mêmes aujourd'hui; seulement, on remarquera que plus d'une
espèce de marchandise qui se vendait alors au détail dans les rues
par les pauvres gens, se débite en gros aujourd'hui, dans des
boutiques ou magasins, par de riche négocians.
Un
noviau dit ici nous trouva
Guillaume
de la Villeneuve,
Puisque
povretez le justise,
Or
vous dirai en quele guise
Et
en quele manière vont
Cels
qui denrées à vendre ont,
Et
qui pensent de lor preu fere
Que
là ne finiront de brère
Parmi
Paris jusqu'à la nuit.
Ne
cuidez vous qu'il lor anuit
Que
je ne seront à séjor.
Oiez
qu'on crie au point du jor:
-Seignor,
quar voys alez baingnier
Et
estuver, sans deslaier,
Li
baing sont chaut, c'est sans mentir.
"Puisque
la misère l'y oblige, Guillaume de la Villeneuve trouve un
nouveau dit à nous raconter. Je vais vous dire de
quelle manière agissent les marchands pour faire leur profit, à tel
point qu'ils ne cessent de brailler dans Paris jusqu'au soir; ne
croyez pas qu'ils en soient las et qu'ils pensent à cesser. Entendez
ces cris dès le point du jour: -Seigneur, allez vous baigner sans
tarder; les bains sont chauds, c'est sans mentir."
C'étaient
les barbiers qui, à Paris, autrefois, tenaient les bains ou étuves;
ils étaient réunis aux chirurgiens, et ne formaient qu'une
confrérie sous la bannière de saint Côme et saint Damien. Les
étuves ou bains étaient fort communs à Paris; c'était un usage
que ses habitans tenaient des Romains. Sous le roi Henri 1er, au XIe
siècle, il est fait mention d'étuves situées à la pointe de la
Cité; en 1383, Charles VI renouvela les statuts des barbiers, et
leur défendit de travailler les dimanches et les grandes fêtes de
l'année.
On
compte jusqu'à six rues, ruelles ou culs-de-sac qui reçurent le nom
d'estuves à cause des bains qui s'y trouvaient placés.
Il paraît au reste que, malgré toutes les précautions dont on
usait à la réception des maîtres barbiers-baigneurs-étuvistes pour
ne choisir que des gens de bonnes mœurs, et malgré la défense qui
leur était faite d'aller travailler dans les étuves, ces endroits
ne jouissaient pas, au moyen âge, d'une excellente réputation*. Une
ordonnance du mois de novembre 1510 voulut que toutes ces maisons
fussent fermées en cas de contagion. Leur nombre s'accrut de telle
sorte, qu'au dire de Sauval, on ne pouvait faire un pas dans Paris
sans en rencontrer; on cessa d'y aller vers la fin du XVIIe siècle.
Puis
après orrez retentir
De
cels qui les fres harens crient.
Or
au vivet li autre dient:
Sor et blanc, harenc
fres poudré,
Harenc nostre
vendre voudré.
Menuise
vive orrez crier,
Et
puis aletes de la mer.
"Vous
entendrez après les cris de ceux qui crient les harengs frais ou la
vive, le hareng saur, le hareng blanc, frais et saupoudré. -Vous
vendrai-je de notre hareng. Entendez-vous crier la menue vive et les
aletes de la mer?"
Le
commerce du poisson salé ne commença à Paris qu'au XIIe siècle,
par les soins de la Hanse parisienne, ou corps des marchands; et
parmi ces poissons, les harengs furent les premiers
qu'on vit paraître aux halles: ils venaient de Rouen par la Seine,
mais Calais prétend être la première ville qui ait connu et
pratiqué la pêche du hareng. C'est Louis XI qui, en 1254, divisa
la vente du poisson en frais, salé et saur;
cette distinction subsista jusqu'à Philippe de Valois, en 1345.
Alors on ne connaissait pas encore l'art de saler le hareng comme
aujourd'hui: celui qui le trouva fut un nommé Buckelz, mort à
Biervliet, dans la Flandre hollandaise, en 1347 selon les uns, et
1447 selon les autres. A Paris, les femmes qui vendaient cette sorte
de poisson avaient le nom de harengères, et demeuraient
sur le Petit Pont; le poète Villon, qui écrivait au XVe siècle,
fait une mention particulière à leur talent à dire des injures**.
On
ne sait trop si l'alète était un poisson ou un oiseau.
Oisons, pijons et char salée;
Char fresche
moult bien conraée,
et
de l'aillie à grant planté.
"oisons,
pigeons et chair salée; chair fraîche et bien parée, et de
l'aillée en grande quantité."
Les
Gaulois envoyaient à Rome de nombreux troupeaux d'oies, dont les
Romains faisaient grand cas; dans la suite, les Francs les gardèrent,
et long-temps en France ce fut la volaille la plus estimée, même
chez les rois, puisque Charlemagne recommande, dans ses Capitulaires,
d'en tenir ses maisons de campagne abondamment fournies. A Paris, les
rôtisseurs n'avaient guère que des oies; de là vint le nom
d'oyers, qu'ils portèrent long-temps dans leurs statuts. On
sait qu'à cette époque les gens de la même profession étaient
logés dans le même quartier et occupaient les mêmes rues: les
rôtisseurs, ou plutôt les oyers, donnèrent leur nom à la rue
qu'ils habitaient, et ce fut la rue aux Oués; puis par
la suite on oublia cette étymologie, et on s'habitua à dire la rue
aux Ours, nom qu'elle porte encore aujourd'hui. Une
ordonnance du prévôt de Paris, en date du 22 juin 1522 donna la
permission aux maîtres poulaillers et rôtisseurs de faire nourrir
leurs oisons dans les rues de Verberie, de Fontaines, et autres aux
environs, comme étant des lieux vagues et champêtres***.
L'aillie ou
l'aillée était une sauce que le menu peuple aimait
beaucoup, et dont on faisait un bon débit dans les rues. C'était un
mélange d'ail, d'amandes et de mie de pain pilés ensemble et
détrempés avec un peu de bouillon. On la conservait comme la
moutarde; les habitans des provinces méridionales l'affectionnaient
surtout. On en faisait aussi avec du verjus, témoin ce vers de cette
même pièce:
Verjus
de grain à faire aillée.
Or
au miel (Diex vous doinst santé!)
Et
puis aprez, pois chaus pilez
Et feves chaudes par
delez.
"Voici
du miel (que Dieu vous tienne en santé)! puis après: Pois chauds
pilés, et fèves chaudes tout auprès."
De
tout temps, en France, le miel fut recherché: à certaines époques
on en donnait comme un régal dans les monastères, et
Louis-le-Débonnaire et Charles-le-Chauve firent divers présens de
cette nature aux religieux de Saint-Germain et de Saint-Denis. Avant
que le sucre ne fût devenu aussi commun, le miel en tenait lieu pour
confire les fruits; souvent même on le préférait au sucre dans les
pâtisseries.
Charlemagne,
en ses Capitulaires, rappelle à ses métayers de récolter
des pois dans leurs jardins. La manière la plus
généralement goûtée de les servir était de les faire cuire avec
du cochon. Les moines de Saint-Victor parvinrent à donner à ce plat
un degré de bonté remarquable; je ne sais pas même si un amateur
ne s'avisa pas de publier un commentaire sur les meilleures manières
de les accommoder.
Les fèves se
vendaient à l'égal des pois, et l'on peut lire dans les poésies du
XVIe siècle que les élégans de l'époque faisaient usage de l'eau
de fève pour se blanchir le teint.
Le
Magasin pittoresque, 1833, livraison 49.
Nota
de Célestin Mira:
*
Bains et étuves:
**Harengère.
***
Rôtisseurs.
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