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mardi 2 mai 2017

Les cris des petits métiers de Paris

Les cris des petits métiers de Paris
                           au XIIIe siècle.

Il existe une nomenclature fort curieuse, en vers anciens, des cris de Paris au XIIIe siècle; c'est un monument remarquable, qui nous donne d'une manière assez exacte la mesure du commerce et l'existence des petits métiers les plus communs à cette époque. Paris, alors renfermé dans la clôture de Philippe-Auguste en 1211, occupait en superficie un emplacement de 700 arpens; sous Louis XVI on en comptait 9.000. 
Les rues étaient étroites et boueuses, pavées encore en peu d'endroits, et obstruées à tous les instans par les porcs et autres animaux que les habitans laissaient errer au hasard pour chercher leur nourriture. A ce premier ennui, ajoutez celui d'entendre à toute heure du jour ces clameurs de toutes sortes, les cris des marchands et les bruits de tambour à chaque proclamation ou cri solennel des crieurs du roi et de la ville, et vous aurez le tableau animé, remuant et criard de cette ville au XIIIe siècle.
Nous donnerons quelques passages du Dict des cris de Paris de Guillaume de Villeneuve, avec un aperçu historique des diverses denrées et marchandises les moins connues et les plus curieuses. On verra que, sauf quelques uns d'entre eux qui ont disparu pour faire place à un plus grand nombre d'autres, ces cris sont encore à peu près les mêmes aujourd'hui; seulement, on remarquera que plus d'une espèce de marchandise qui se vendait alors au détail dans les rues par les pauvres gens, se débite en gros aujourd'hui, dans des boutiques ou magasins, par de riche négocians.

Un noviau dit ici nous trouva
Guillaume de la Villeneuve, 
Puisque povretez le justise,
Or vous dirai en quele guise
Et en quele manière vont
Cels qui denrées à vendre ont,
Et qui pensent de lor preu fere
Que là ne finiront de brère
Parmi Paris jusqu'à la nuit.
Ne cuidez vous qu'il lor anuit
Que je ne seront à séjor.
Oiez qu'on crie au point du jor:
-Seignor, quar voys alez baingnier
Et estuver, sans deslaier,
Li baing sont chaut, c'est sans mentir.

"Puisque la misère l'y oblige, Guillaume de la Villeneuve trouve un nouveau dit à nous raconter. Je vais vous dire de quelle manière agissent les marchands pour faire leur profit, à tel point qu'ils ne cessent de brailler dans Paris jusqu'au soir; ne croyez pas qu'ils en soient las et qu'ils pensent à cesser. Entendez ces cris dès le point du jour: -Seigneur, allez vous baigner sans tarder; les bains sont chauds, c'est sans mentir."

C'étaient les barbiers qui, à Paris, autrefois, tenaient les bains ou étuves; ils étaient réunis aux chirurgiens, et ne formaient qu'une confrérie sous la bannière de saint Côme et saint Damien. Les étuves ou bains étaient fort communs à Paris; c'était un usage que ses habitans tenaient des Romains. Sous le roi Henri 1er, au XIe siècle, il est fait mention d'étuves situées à la pointe de la Cité; en 1383, Charles VI renouvela les statuts des barbiers, et leur défendit de travailler les dimanches et les grandes fêtes de l'année.
On compte jusqu'à six rues, ruelles ou culs-de-sac qui reçurent le nom d'estuves à cause des bains qui s'y trouvaient placés. Il paraît au reste que, malgré toutes les précautions dont on usait à la réception des maîtres barbiers-baigneurs-étuvistes pour ne choisir que des gens de bonnes mœurs, et malgré la défense qui leur était faite d'aller travailler dans les étuves, ces endroits ne jouissaient pas, au moyen âge, d'une excellente réputation*. Une ordonnance du mois de novembre 1510 voulut que toutes ces maisons fussent fermées en cas de contagion. Leur nombre s'accrut de telle sorte, qu'au dire de Sauval, on ne pouvait faire un pas dans Paris sans en rencontrer; on cessa d'y aller vers la fin du XVIIe siècle.

Puis après orrez retentir
De cels qui les fres harens crient.
Or au vivet li autre dient:
Sor et blancharenc fres poudré,
Harenc nostre vendre voudré.
Menuise vive orrez crier,
Et puis aletes de la mer.

"Vous entendrez après les cris de ceux qui crient les harengs frais ou la vive, le hareng saur, le hareng blanc, frais et saupoudré. -Vous vendrai-je de notre hareng. Entendez-vous crier la menue vive et les aletes de la mer?"

Le commerce du poisson salé ne commença à Paris qu'au XIIe siècle, par les soins de la Hanse parisienne, ou corps des marchands; et parmi ces poissons, les harengs furent les premiers qu'on vit paraître aux halles: ils venaient de Rouen par la Seine, mais Calais prétend être la première ville  qui ait connu et pratiqué la pêche du hareng. C'est Louis XI qui, en 1254,  divisa la vente du poisson en fraissalé et saur; cette distinction subsista jusqu'à Philippe de Valois, en 1345. Alors on ne connaissait pas encore l'art de saler le hareng comme aujourd'hui: celui qui le trouva fut un nommé Buckelz, mort à Biervliet, dans la Flandre hollandaise, en 1347 selon les uns, et 1447 selon les autres. A Paris, les femmes qui vendaient cette sorte de poisson avaient le nom de harengères, et demeuraient sur le Petit Pont; le poète Villon, qui écrivait au XVe siècle, fait une mention particulière à leur talent à dire des injures**.
On ne sait trop si l'alète était un poisson ou un oiseau.

Oisonspijons et char salée;
Char fresche moult bien conraée,
et de l'aillie à grant planté.

"oisons, pigeons et chair salée; chair fraîche et bien parée, et de l'aillée en grande quantité."

Les Gaulois envoyaient à Rome de nombreux troupeaux d'oies, dont les Romains faisaient grand cas; dans la suite, les Francs les gardèrent, et long-temps en France ce fut la volaille la plus estimée, même chez les rois, puisque Charlemagne recommande, dans ses Capitulaires, d'en tenir ses maisons de campagne abondamment fournies. A Paris, les rôtisseurs n'avaient guère que des oies; de là vint le nom d'oyers, qu'ils portèrent long-temps dans leurs statuts. On sait qu'à cette époque les gens de la même profession étaient logés dans le même quartier et occupaient les mêmes rues: les rôtisseurs, ou plutôt les oyers, donnèrent leur nom à la rue qu'ils habitaient, et ce fut la rue aux Oués; puis par la suite on oublia cette étymologie, et on s'habitua à dire la rue aux Ours, nom qu'elle porte encore aujourd'hui. Une ordonnance du prévôt de Paris, en date du 22 juin 1522 donna la permission aux maîtres poulaillers et rôtisseurs de faire nourrir leurs oisons dans les rues de Verberie, de Fontaines, et autres aux environs, comme étant des lieux vagues et champêtres***.
L'aillie ou l'aillée était une sauce que le menu peuple aimait beaucoup, et dont on faisait un bon débit dans les rues. C'était un mélange d'ail, d'amandes et de mie de pain pilés ensemble et détrempés avec un peu de bouillon. On la conservait comme la moutarde; les habitans des provinces méridionales l'affectionnaient surtout. On en faisait aussi avec du verjus, témoin ce vers de cette même pièce:

Verjus de grain à faire aillée.

Or au miel (Diex vous doinst santé!)
Et puis aprez, pois chaus pilez

Et feves chaudes par delez.
"Voici du miel (que Dieu vous tienne en santé)! puis après: Pois chauds pilés, et fèves chaudes tout auprès."

De tout temps, en France, le miel fut recherché: à certaines époques on en donnait comme un régal dans les monastères, et Louis-le-Débonnaire et Charles-le-Chauve firent divers présens de cette nature aux religieux de Saint-Germain et de Saint-Denis. Avant que le sucre ne fût devenu aussi commun, le miel en tenait lieu pour confire les fruits; souvent même on le préférait au sucre dans les pâtisseries.
Charlemagne, en ses Capitulaires, rappelle à ses métayers de récolter des pois dans leurs jardins. La manière la plus généralement goûtée de les servir était de les faire cuire avec du cochon. Les moines de Saint-Victor parvinrent à donner à ce plat un degré de bonté remarquable; je ne sais pas même si un amateur ne s'avisa pas de publier un commentaire sur les meilleures manières de les accommoder.
Les fèves se vendaient à l'égal des pois, et l'on peut lire dans les poésies du XVIe siècle que les élégans de l'époque faisaient usage de l'eau de fève pour se blanchir le teint.

Le Magasin pittoresque, 1833, livraison 49.

 Nota de Célestin Mira:


* Bains et étuves:








**Harengère.




*** Rôtisseurs.



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