Le nouveau marché Saint-Martin, à Paris.
Le percement du boulevard de Strasbourg, après avoir détruit le marché qu'un des plus consciencieux architectes de Paris, M. Phillippon, avait mis tous ses soins à édifier et à faire prospérer, sur les terrains de l'ancienne foire Saint-Laurent, auxquels il avait emprunté son nom, laissait depuis quelques temps le quartier du faubourg Saint-Martin pour ainsi dire sans approvisionnements, lorsqu'un homme d'intelligence pratique, M. Edouard de Naurois, dont l'aïeul a laissé, dans la direction de la manufacture des glaces de Saint-Gobain, les plus honorables souvenirs, reconnut qu'il existait dans ce quartier, et très-près des boulevards, une vaste enceinte de terrains couvert de masures, qui, au siècle dernier, avait servi d'emplacement aux ateliers d'Etienne Martin, le célèbre peintre en voitures du roi Louis XVI, dont les vernis ont conservé une haute réputation et une grande valeur parmi les amateurs de la curiosité.
Comprenant aussitôt que ces constructions sordides présentaient un véritable danger au centre d'un quartier aussi populeux, et ne pouvaient rester longtemps en dehors du grand mouvement que la ville de Paris a imprimé à l'embellissement de tous ses quartiers, M. de Naurois s'empressa de faire l'acquisition de ces immenses terrains; puis, après les avoir déblayés et assainis, il combina et arrêta avec M. Eugène Petit, son architecte, un plan d'ensemble pour la construction d'un nouveau quartier, se composant d'une rue ouverte en prolongement de l'impasse de la Pompe, pour relier la rue de Bondy à la rue du Château-d'Eau, et d'un passage destiné à rattacher la rue nouvelle à la rue du faubourg Saint-Martin; il résulte de ce plan une division des terrains en trois grands périmètres, dont les deux premiers se couvriront, au printemps prochain, de belles et bonnes constructions d'habitation, et dont le dernier, ayant sa façade principale sur la rue du Château d'Eau, et longeant, à gauche, la nouvelle rue de la Pompe, a été destiné à un marché de comestibles, en remplacement du marché Saint-Laurent.
Construit avec la rapidité qui règne aujourd'hui dans l'exécution de tous les travaux, le nouveau marché Saint-Laurent occupe une surface couverte de 2.400 mètres, formant une vaste salle sans points d'appui intérieurs; le comble, construit en fer, est remarquable par la hardiesse des fermes, dont la portée n'a pas moins de 36 mètres, et qui, au nombre de sept seulement, espacées de près de 9 mètres l'une de l'autre, constituent un nouveau progrès à enregistrer dans la construction en fer; ce travail fait le plus grand honneur à M. Joly (d'Argenteuil), auquel l'exécution a été confiée, et dont l'Illustration a reproduit de précieux ouvrages de serrurerie.
Les aspects extérieurs du nouveau marché sont remarquables aussi à différents points de vue; la façade principale, sur la rue du Château-d'Eau, exposée au nord, est entièrement vitrée, et l'architecte a su donner à ce genre de construction difficile un caractère monumental en rapport avec la nature de l'établissement; la façade sur la nouvelle rue de la pompe est garnie de boutiques ayant entrée aussi bien par cette rue que par le marché; loin de nuire à l'effet général, cette double ouverture épargne au contraire à la vue l'aspect de tristesse qui résulte trop souvent du voisinage des monuments pour les voies qui les entourent.
La disposition des places intérieures nous a paru atteindre complètement le but proposé; les chemins qui y donnent accès, assainis par une eau toujours courante, sont larges, d'une circulation facile, et le tout est largement aéré.
Exploité depuis le 30 octobre dernier, le nouvel établissement a, le 28 du présent mois de décembre, reçu sa consécration religieuse du clergé de la paroisse de Saint-Laurent, en présence de l'autorité municipale;
un dais improvisé par Godillot, cachait malheureusement la place disposée pour recevoir, selon l'usage traditionnel, le buste du souverain, autour duquel un entourage ajusté avec goût dissimule la nudité du mur qui sert de fond au marché.
G. Falampin.
L'illustration, journal universel, 9 décembre 1854.