Translate

mercredi 16 avril 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique du Journal du Dimanche.

Un astronome des plus érudits et digne de foi trace, jour par jour, la route de la comète qui doit venir incendier notre globe le treize juin prochain.
Ainsi nous devons attendre la fin du monde pour ce moment. Lorsque chacun sera bien convaincu de cette terrible vérité, quel changement on va apporter dans la manière de vivre les quelques mois qui nous restent! On ne pensera plus qu'à jouir de ce que l'on a, sans rien amasser pour l'avenir. Chacun portera ses plus belles toilettes en robes de chambre et dépensera à flots toutes les provisions du logis. On se hâtera de courir les spectacles, les lieux de fêtes; on s'emparera  avec frénésie de tous les plaisirs qu'on ne connaissait pas.
Toute spéculation sera abandonnée; la Bourse, ce repaire de la cupidité féroce, ne verra plus personne; toutes les affaires seront interrompues, oubliées: on aura bien assez à faire de manger, en quelques semaines, ce qu'on avait pour toute la vie, et de jouir largement de son reste!
Tout en se livrant au plaisir, on songera aussi un peu au salut. Les riches, qui ne trouveront pas les aumônes passées suffisantes, feront jeter sur la place publique linge, argenterie, vêtements, comestibles de toute espèce, et les tonneaux de vin de leurs caves iront désaltérer le pauvre. Les marchands feront enlever la devanture de leur boutique et la livreront gratis au public, pour s'épargner désormais la peine de servir les pratiques, et pour les dédommager de tout ce qui leur fut compté en surplus dans un trop long passé. Les inimités, les discordes, seront toutes effacées; on ne verra plus les gens que s'embrasser et se donner des poignées de main dans la rue.
Quelle bonne vie et quel âge d'or va régner sur la terre, la veille de sa destruction universelle!
En attendant voyons encore le monde tel qu'il est;
Nous parlions, l'autre jour, de ces superstitions barbares, tellement étonnantes au temps où nous vivons, que, devant les arrêtés des tribunaux qui les mettent à jour, on s'écrie encore: "C'est impossible!".
En voici pourtant un nouvel exemple non moins vrai que les autres, et mille fois plus incroyable.
Le nommé Vautrin était garçon de ferme dans le département de la Haute-Marne. Voleur et cruel au dernier degré, il joignait à ses vices, qui indiquent une certaine énergie, une faiblesse d'esprit extrême, ce qui en faisait tout à fait une bête fauve stupide et féroce.
Un jour, Vautrin entend dire une chose extraordinaire. On lui assure qu'une lanterne faite avec le crâne d'un enfant à la propriété de rendre la personne qui la sert invisible. On ajoute qu'un voleur, muni de cet instrument dont la lumière l'éclaire, mais reste invisible aux autres comme lui-même, depuis dix ans, prend tout ce qui lui convient, sans jamais avoir été découvert.
Et Vautrin croit tout cela!
Il lui faut absolument se procurer une de ces merveilleuses lanternes.
En se livrant à ses travaux de garçon de ferme, Vautrin regarde avec convoitise tous les enfants, car chacun d'eux porte au sommet de la tête le crâne qui servirait à confectionner le précieux ustensile.
Naturellement, celui qu'il voit le plus souvent est l'enfant de ses maîtres, un petit garçon encore au berceau, et dont précisément le crâne sera plus facile à façonner et plus transparent.
Un jour qu'il le regarde ainsi, il s'aperçoit qu'il est seul dans la ferme avec l'enfant. Il le saisit, l'emporte au fond du bois voisin, lui coupe la tête, la dépouille, et, avec son couteau, se met en train de creuser et préparer sa lanterne...
C'est dans ce moment même que Vautrin a été découvert et arrêté.
Maintenant, que les petits enfants se rassurent et dorment en paix: la cour d'assises de la Haute-Marne a condamné le monstre à figure humaine à la peine de mort.
A côté de cela, un autre sortilège est encore admis dans nos campagnes avec la même crédulité.
Dans la commune de Trévigny, appartenant au département de l'Yonne, les époux Briot, cultivateurs, ont une vache qui tombe malade. Pour la guérir, il faut appeler le célèbre Billard.
Celui-ci arrive. C'est un homme petit et maigre, au teint pâle et noir, aux yeux pleins d'un feu d'enfer. Il est en communication avec les esprits de l'autre monde; il peut, en appelant à son aide les puissances supérieures de la diablerie, guérir le mal qu'ont fait les vilains petits démons d'ordre secondaire.
Donc, comme la vache est assurément ensorcelée, Billard la guérira.
Mais en arrivant à la maison des époux Briot, il jette un cri de douleur. Ce n'est pas seulement la vache, c'est leur petite fille, âgée de douze ans qui est possédée du démon. l'enfant entend cela, et saisie d'une affreuse terreur, elle croit aussi que le démon la tourmente.
Billard se fait donner par Briot 325,25 fr pour guérir les deux malades. Puis, il se livre, chaque jour, dit-il, à de grands combats avec l'esprit des ténèbres.
Sur ces entrefaites, la vache meurt. Briot, tremblant pour sa fille, va conter ce qui se passe au commissaire de police. Celui-ci, qui ne veut pas entendre parler du diable, conduit simplement Billard à la police correctionnelle, où il est condamné, pour escroquerie, à six mois de prison.
On condamne bien tous ces affreux sorciers à la mort, à la prison; mais il vaudrait mieux, par quelque peu d'éducation, tuer l'ignorante et stupide crédulité qui a recours à leurs prodiges.

                                                                                                           Paul de Couder.

Journal de Dimanche, 15 mars 1857.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire