Chronique du Journal du Dimanche.
Le règne de Louis-Philippe, encore très rapproché de nous, est pourtant tellement enterré sous deux autres gouvernements, qu'on en aperçoit à peine les vestiges. Abd-el-Kader, qui fut un des lions de ce temps, un lion qui nous montra rudement ses griffes dans les déserts, un lion qui occupa gravement les salons parisiens, Abd-el-Kader semble un héros du temps passé.
Cependant, le célèbre émir existe toujours.
A Lyon, la foule s'amassait, l'autre jour, près du débarcadère du chemin de fer de la Méditerranée. On en vit sortir un vieux chameau, boiteux, couvert de blessures et recouvert d'une riche couverture orientale. Il était conduit par deux Arabes, accompagnés eux-mêmes d'un sergent des chasseurs d'Afrique qui leur servait de truchement.
Ce chameau est l'ami, le frère d'armes d'Abd-el-Kader. Il est toujours resté attaché à l'émir. Enfant, il le promenait dans ses campagnes. Il a fait avec lui toutes les guerres. C'est à lui qu' Abd-el-Kader et deux de ses femmes durent leur salut, lorsqu'ils fuyait après une défaite; il a été criblé de blessure dans maintes rencontres avec les Français.
Ce chameau, né le même jour que l'émir, est maintenant chargé de fatigues et d'années. Cet hiver, comme on le voyait dépérir, malgré tous les soins possibles, son maître s'est décidé à l'envoyer à Paris, où l'art des vétérinaires offre plus de ressources qu'à Brousse.
Le digne vétéran, entouré de soin et de sollicitude, arrive donc, à petites journées, vers notre ville.
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Nous avons à constater de tristes accidents.
A Angerville, un garçon menuisier, le sieur Charles V..., âgé de dix-huit ans, employé dans un grand moulin mécanique, vaquait à son travail. Sa blouse s'accroche à l'engrenage; le tissu, assez résistant, entraîne le malheureux; en un instant, il est précipité sous les rouages; l'arbre de couche enlève le corps à moitié haché, et lui fait décrire en le frappant contre les murs, les cercles les plus terribles; puis les membres tombent, l'un après l'autre, dans l'engrenage.
Les personnes présentes disent que jamais un spectacle aussi épouvantable ne s'offrit aux regards.
A Troyes, le hasard des événements n'a pas été moins cruel.
M. Picardat venait de se marier; toute la journée avait été consacré aux plaisirs de la noce. Le soir, la mariée sort une minute pour prendre l'air dans un terrain vague, situé sous les murs de la maison; et elle tombe dans une carrière remplie d'eau à une grande profondeur. Un cri terrible retentit! c'est son cri de mort qui va se mêler aux champs joyeux de la table.
Son mari s'élance sur ces traces et se jette dans le gouffre. Mais il ne peut qu'y périr avec elle.
Voilà deux époux qui ont eu un sort bien uni, qui ont échappé à toutes les désillusions, à tous les tristes retours de la vie, et dont l'union peut s'appeler un mariage dans le ciel.
Voici le fait, plus étrange, d'une famille entière, qui a pris le même chemin:
M. Gadmer, sa femme et trois jeunes enfants habitaient la rue du Grand-Pont, à Rouen; ils tenaient là une boutique de pâtisserie, et leur commerce paraissait prospérer.
Vendredi soir, la famille était encore réunie après une journée parfaitement paisible, et, le samedi matin, du père, de la mère, des trois enfants, il ne restait plus personne au logis.
Que s'est-il passé dans cette nuit mystérieuse, dans cette nuit du vendredi, dont la funeste influence n'amena jamais un fait si étrange? Tout le monde l'ignore. Mais, au matin, les garçons, en venant ouvrir le magasin, trouvèrent la maison absolument vide. Les membres de la famille Gadmer n'avaient fait aucune toilette pour sortir: on vit, à l'état de leur garde robe, qu'ils avaient du partir en robe de chambre, en bonnets de nuit, en se précautionnant seulement contre le froid.
La seule indication qui ait pu être donnée est celle de l'un des garçons de boutique, qui prétend avoir entendu dire à M. Gadmer, en même temps que toute la famille descendait l'escalier:
- Ce n'est pas loin, c'est à Saint-Séver.
Et, peu de temps après, le corps d'un enfant a été retrouvé dans la Seine, non loin de l'endroit indiqué.
Mais, dans la pensée d'un suicide, dans lequel M. Gadmer aurait entraîné sa femme enceinte et ses trois jeunes enfants, comment l'endroit aurait-il été choisi d'avance et désigné avec un tel sang froid? Le désespoir n'a pas de ces préférences, et ne songe qu'au gouffre du fleuve, partout également bon pour donner la mort.
Le temps apprendra si ce voyage de la famille Gadmer avait son but dans ce monde ou dans l'autre.
Au bord du Rhône, voici un fait qui se rattache aux plus anciens usages de nos pères:
Il existe là un vieux château dans lequel, depuis des siècles, on prétendait qu'un trésor était caché. Les gens sérieux riaient de ces bruits, mais le peuple conserve toujours cette tradition du pays.
Le nouveau propriétaire, M. Dupérou, officier d'artillerie en retraite, voulut savoir ce qu'il en était.
Il fit venir un homme d'affaires et deux ouvriers et chargea le premier de faire exécuter des fouilles dans toute l'enceinte des antiques murailles.
Les recherches commencèrent; puis tout à coup l'homme d'affaires et les deux ouvriers disparurent. Cela prouvait trop bien que l'existence du trésor n'était point un rêve. M. Dupérou a déposé un plainte, et actuellement on est encore à la poursuite du trésor, qu'in va chercher à atteindre dans les poches des voleurs.
Paul de Couder.
Journal du Dimanche, 28 mars 1857.
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