La vie mondaine.
La journée du Grand Prix est le bouquet du feu d'artifice de toutes les fêtes parisiennes. Cette année, elle a dépassé en élégance et en éclat toutes ses devancières. Les tribunes, pareilles à une mosaïque où s'épanouissent les fleurs les plus éclatantes, offraient à la vue un spectacle enchanteur.
Pour toutes les femmes élégantes, le jour du Grand Prix est inscrit au budget et y tient une place honorable. On n'est pas une mondaine "dans le train" si, un mois à l'avance, on n'apprête le costume inédit qu'on portera ce jour-là. La Parisienne a un renom de goût qu'elle justifie, même dans ses plus grandes audaces. Elle sait donner à ses toilettes de l'originalité et de l'imprévu, sans jamais forcer la note. Elle saisit à merveille cet art délicat des tonalités harmonieuses, des couleurs ingénieusement mariées, ne confondant jamais le clinquant avec le brillant, se livrant à toutes les fantaisies, à toutes les originalités dans la coupe et la couleur, sans jamais tomber dans l'excentricité ou la bizarrerie de mauvais ton. Cette science est innée chez elle.
Au pesage, en ce grand jour tapageur, on a pu admirer les plus charmantes créations de nos virtuoses du chiffon. Les corsages coulissés ou ajustés ressemblent à des fourreaux de guêpes, les manches sont larges, tandis que les jupes se font étroites et tendues sur les hanches. C'est du dernier pschut, ce n'est point encore le fin mot de l'esthétique.
La mode, indécise et hésitante, s'essaie aux résurrections du Premier Empire et de la Restauration; ce retour aux costumes d'il y a cent ans ne nous semble point heureux, car, même dans leurs richesses, ces ajustements ont de la raideur. Mais baste! les coquettes trouvent toujours le moyen de paraître jolies, d'être séduisantes et ensorcelantes. Puis, pour celles d'entre elles qui préfèrent les falbalas Louis XVI, elles se consolent, en songeant que la mode de demain a pour mission d'abolir la mode d'hier.
Étonnantes de fantaisie, les toilettes aperçues dans les tribunes. Au hasard, en voici une en foulard crème imprimé de branches d'acacia, avec ceinture de velours souci. Le large chapeau en paille blanche est enroulé de tulle paille et mauve dans lequel sont nichés des branches d'acacia. Une autre toilette très élégante, d'une coupe irréprochable, est faite en crêpe de Chine gris et drap de soie crème brodé d'un dessin grec soulignant l'encolure légèrement ouverte. La coiffure Lamballe, en dentelle de paille, est ornée d'une barbe de chantilly dont les bouts sont disposés en ailes de papillon; autour, posées sur les bords, sont des touffes de rhododendrons.
Cet été, grâce à la chaleur sénégalaise que nous subissons, les nuances claires ont un regain de faveur. Si le costume est fait en lainage ou en crêpe de Chine, c'est le gris pâle, le mastic ou la teinte ivoire qui est choisie de préférence. Si la toilette est de foulard, on prend un fond crème avec légers dessins mauves ou pistache, ou paille semé d'arabesques héliotropes.
Pour les courses et les sorties matinales dans les ville d'eaux, quelques grandes élégantes se font faire des costumes en une certaine étoffe souple et moelleuse fond crème à petits filets mauve, vert ou vieux bleu; sous le corsage veste, ouvert devant, elles portent une chemisette de mousseline à petits plis cousus, séparés par des entre-deux de fine broderie ou de valenciennes. Selon les variations de la température, elles mettent une chemisette soit en pongée ou en piqué blanc.
Dans le brillant défilé des dernières fêtes données avant le Grand Prix, les garden-parties ont eu un succès énorme.
C'es réunions, d'importation britannique, ont été adoptées en France, depuis que les Altesses étrangères ne trouvent plus à Paris une cour pour les recevoir. Ce genre de réception se prête plus facilement que tout autre aux exigences de l'étiquette, et plaît à nos hôtes princiers, qui acceptent plus volontiers les invitations. Ces garden-parties sont le prétexte de goûters succulents, servis sous des tonnelles émaillées de fleurs, que l'on dresse à cet effet dans les magnifiques jardins attenant à quelque hôtels privilégiés.
Une de ces fêtes, donnée il y a quelques jours par la princesse de Sagan, en l'honneur du prince et de la princesse de Galles, a été splendide. Le magnifique parc de l'hôtel offrait un coup d’œil féerique; le lunch était dressé sous les tilleuls, au milieu d'un monceau de fleurs.
Les toilettes étaient d'une richesse et d'une fraîcheur exquises. La princesse, très élégante, portait une toilette de crépon de Chine mauve rehaussée de dentelle blanche fixée par une ceinture soufre. Son immense chapeau était empanaché de plumes héliotropes et jaunes. La marquise de Beauvoir, d'une beauté si fine, d'une élégance si parfaite, était en délicieuse toilette Trianon de soie tendre, coiffée d'un chapeau bergère.
Maintenant que le Grand Prix est couru, Paris va retrouver un calme relatif, et les mondaines que pique l'aiguillon de la mode vont faire leurs apprêts de départ. Cependant, il faut reconnaître que l'Exposition jette cette année un certain désarroi dans nos habitudes de villégiature. Si elle ne retient pas tous les désœuvrés, elle attire les gens de goût, qui resteront à Paris quand même, ou ne s'en éloigneront que pour y revenir bientôt jouir des journées si animées et des soirées féeriques que nous offre le Champ de Mars.
Parmi les nouvelles et les plus étonnantes qu'on puisse voir, ce sont les Aïssaouas, sorte de confrérie de derviches hurleurs qui se font subir des tortures stupéfiantes. Les personnes que les émotions violentes attirent passeront là une soirée dont elle conserveront le souvenir. Mais nous avouons que, malgré tout le courage que l'on peut avoir, ce n'est pas sans éprouver une certaine horreur que l'on voit des êtres humains se transpercer les joues, la langue, les bras avec des broches de fer, manger des scorpions et des serpents, croquer du verre et l'avaler aussi facilement que nous le ferions d'un morceau de sucre, et tout cela sans qu'ils semblent en éprouver la moindre souffrance. Devant ce spectacle absolument terrifiant et invraisemblable, les femmes poussent des cris de terreur et la salle frémissante se lève pour applaudir.
Un spectacle moins émouvant, mais non moins intéressant, a été donné ces jours-ci au Trocadéro. Nous voulons parler du bénéfice offert, par nos meilleurs artistes, à M. Bodinier, le si sympathique et si regretté secrétaire de la Comédie-Française. Quelle superbe salle et quel défilé d'étoiles! Les loges ressemblaient à d'énormes massifs de fleurs, où les couleurs blanches, grises et bleues, dominaient. Les bleuets et les roses ornaient la plupart des chapeaux, grands ou petits. Dans une loge, nous avons aperçu deux jeunes filles en véritables toilettes Empire, faites en mousseline de laine crème avec ceinture, empiècement et bas de manches en surah tige de lis; les chapeaux, du même style, en paille d'Italie, étaient empanachés de plumes crème. Pour la sortie, elles avaient jeté sur leurs épaules un coquet petit vêtement ayant la forme d'un carrick à deux pèlerines, très foncées, en drap crème, fixées à un empiècement de guipure sur transparent vert tige. Ce petit manteau, de forme toute nouvelle, fera un vêtement très pratique et très élégant pour villes d'eaux. Il peut se faire en drap rouge et empiècement de jais ou vert avec guipure noire.
Le masque de Velours.
Revue Illustrée, Juin 1889-Décembre 1889.
Au pesage, en ce grand jour tapageur, on a pu admirer les plus charmantes créations de nos virtuoses du chiffon. Les corsages coulissés ou ajustés ressemblent à des fourreaux de guêpes, les manches sont larges, tandis que les jupes se font étroites et tendues sur les hanches. C'est du dernier pschut, ce n'est point encore le fin mot de l'esthétique.
La mode, indécise et hésitante, s'essaie aux résurrections du Premier Empire et de la Restauration; ce retour aux costumes d'il y a cent ans ne nous semble point heureux, car, même dans leurs richesses, ces ajustements ont de la raideur. Mais baste! les coquettes trouvent toujours le moyen de paraître jolies, d'être séduisantes et ensorcelantes. Puis, pour celles d'entre elles qui préfèrent les falbalas Louis XVI, elles se consolent, en songeant que la mode de demain a pour mission d'abolir la mode d'hier.
Étonnantes de fantaisie, les toilettes aperçues dans les tribunes. Au hasard, en voici une en foulard crème imprimé de branches d'acacia, avec ceinture de velours souci. Le large chapeau en paille blanche est enroulé de tulle paille et mauve dans lequel sont nichés des branches d'acacia. Une autre toilette très élégante, d'une coupe irréprochable, est faite en crêpe de Chine gris et drap de soie crème brodé d'un dessin grec soulignant l'encolure légèrement ouverte. La coiffure Lamballe, en dentelle de paille, est ornée d'une barbe de chantilly dont les bouts sont disposés en ailes de papillon; autour, posées sur les bords, sont des touffes de rhododendrons.
Cet été, grâce à la chaleur sénégalaise que nous subissons, les nuances claires ont un regain de faveur. Si le costume est fait en lainage ou en crêpe de Chine, c'est le gris pâle, le mastic ou la teinte ivoire qui est choisie de préférence. Si la toilette est de foulard, on prend un fond crème avec légers dessins mauves ou pistache, ou paille semé d'arabesques héliotropes.
Pour les courses et les sorties matinales dans les ville d'eaux, quelques grandes élégantes se font faire des costumes en une certaine étoffe souple et moelleuse fond crème à petits filets mauve, vert ou vieux bleu; sous le corsage veste, ouvert devant, elles portent une chemisette de mousseline à petits plis cousus, séparés par des entre-deux de fine broderie ou de valenciennes. Selon les variations de la température, elles mettent une chemisette soit en pongée ou en piqué blanc.
Dans le brillant défilé des dernières fêtes données avant le Grand Prix, les garden-parties ont eu un succès énorme.
C'es réunions, d'importation britannique, ont été adoptées en France, depuis que les Altesses étrangères ne trouvent plus à Paris une cour pour les recevoir. Ce genre de réception se prête plus facilement que tout autre aux exigences de l'étiquette, et plaît à nos hôtes princiers, qui acceptent plus volontiers les invitations. Ces garden-parties sont le prétexte de goûters succulents, servis sous des tonnelles émaillées de fleurs, que l'on dresse à cet effet dans les magnifiques jardins attenant à quelque hôtels privilégiés.
Une de ces fêtes, donnée il y a quelques jours par la princesse de Sagan, en l'honneur du prince et de la princesse de Galles, a été splendide. Le magnifique parc de l'hôtel offrait un coup d’œil féerique; le lunch était dressé sous les tilleuls, au milieu d'un monceau de fleurs.
Les toilettes étaient d'une richesse et d'une fraîcheur exquises. La princesse, très élégante, portait une toilette de crépon de Chine mauve rehaussée de dentelle blanche fixée par une ceinture soufre. Son immense chapeau était empanaché de plumes héliotropes et jaunes. La marquise de Beauvoir, d'une beauté si fine, d'une élégance si parfaite, était en délicieuse toilette Trianon de soie tendre, coiffée d'un chapeau bergère.
Maintenant que le Grand Prix est couru, Paris va retrouver un calme relatif, et les mondaines que pique l'aiguillon de la mode vont faire leurs apprêts de départ. Cependant, il faut reconnaître que l'Exposition jette cette année un certain désarroi dans nos habitudes de villégiature. Si elle ne retient pas tous les désœuvrés, elle attire les gens de goût, qui resteront à Paris quand même, ou ne s'en éloigneront que pour y revenir bientôt jouir des journées si animées et des soirées féeriques que nous offre le Champ de Mars.
Parmi les nouvelles et les plus étonnantes qu'on puisse voir, ce sont les Aïssaouas, sorte de confrérie de derviches hurleurs qui se font subir des tortures stupéfiantes. Les personnes que les émotions violentes attirent passeront là une soirée dont elle conserveront le souvenir. Mais nous avouons que, malgré tout le courage que l'on peut avoir, ce n'est pas sans éprouver une certaine horreur que l'on voit des êtres humains se transpercer les joues, la langue, les bras avec des broches de fer, manger des scorpions et des serpents, croquer du verre et l'avaler aussi facilement que nous le ferions d'un morceau de sucre, et tout cela sans qu'ils semblent en éprouver la moindre souffrance. Devant ce spectacle absolument terrifiant et invraisemblable, les femmes poussent des cris de terreur et la salle frémissante se lève pour applaudir.
Un spectacle moins émouvant, mais non moins intéressant, a été donné ces jours-ci au Trocadéro. Nous voulons parler du bénéfice offert, par nos meilleurs artistes, à M. Bodinier, le si sympathique et si regretté secrétaire de la Comédie-Française. Quelle superbe salle et quel défilé d'étoiles! Les loges ressemblaient à d'énormes massifs de fleurs, où les couleurs blanches, grises et bleues, dominaient. Les bleuets et les roses ornaient la plupart des chapeaux, grands ou petits. Dans une loge, nous avons aperçu deux jeunes filles en véritables toilettes Empire, faites en mousseline de laine crème avec ceinture, empiècement et bas de manches en surah tige de lis; les chapeaux, du même style, en paille d'Italie, étaient empanachés de plumes crème. Pour la sortie, elles avaient jeté sur leurs épaules un coquet petit vêtement ayant la forme d'un carrick à deux pèlerines, très foncées, en drap crème, fixées à un empiècement de guipure sur transparent vert tige. Ce petit manteau, de forme toute nouvelle, fera un vêtement très pratique et très élégant pour villes d'eaux. Il peut se faire en drap rouge et empiècement de jais ou vert avec guipure noire.
Le masque de Velours.
Revue Illustrée, Juin 1889-Décembre 1889.
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