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mercredi 23 avril 2014

Les Allemands en Afrique et en Océanie.

Les Allemands en Afrique et en Océanie.

Quand M. de Bismarck fonda, il y a dix-huit ans, l'empire d'Allemagne, il ne se dissimulait pas qu'il aurait, aussitôt la guerre avec la France terminée, de nombreux problèmes à résoudre.
Mais il y en avait un, que le concours des Allemands eux-mêmes, évidemment prêts à lui emboîter le pas dans cette voie, ne pouvait mettre à exécution sans compter avec autrui. L'Allemagne avait besoin de colonies; mais où les trouver et comment les acquérir?
L'Angleterre a depuis longtemps fait main basse sur presque tous les points du globe qui sont censés n'appartenir à personne, tant qu'ils sont occupés par des indigènes, étrangers à la civilisation européenne et à ses procédés d'annexion. La France, depuis la guerre, avait cherché dans la politique coloniale une compensation, suivant les uns, une diversion, selon les autres, aux préoccupations intérieures.
Les mers avaient été si bien explorées, traversées en tous sens, que sur aucun point il n'y avait d'escale sans pavillon d'un Etat européen ou américain. Les terres, étaient toutes tributaires d'une métropole, européenne, asiatique ou américaine. M. de Bismarck eut longtemps à promener son regard de convoitise sur la carte du monde avant de découvrir, près de nos provinces françaises, à côté d'Assinie, un rocher appelé Angra Pequena, où il planta le pavillon allemand. C'était un premier jalon et d'autres ne devaient pas tarder à être posés.
En même temps, les explorateurs allemands faisaient parler d'eux. On citait les noms de Gérard Rohlf, des Wissmann, à côté de ceux de Stanley et de Brazza. M. de Bismarck ne s'en tint pas là. Il fit "travailler", c'est le terme diplomatique utilisé en Allemagne, nous disons en France "pressentir", les chefs souverains d'Afrique et d'ailleurs qui consentirent à se soumettre à un protectorat. C'est ainsi qu'il opéra à Zanzibar et dans les îles de Samoa.
A Zanzibar, le souverain régnant Seyid Chalifa-ben-Saïd accueillit d'abord avec défaveur les avances allemandes. Il avait, les Allemands en conviennent eux-mêmes, une répulsion instinctive à conclure une alliance avec eux. Cet Africain aurait-il lu le poète latin, Timéo Danaos et dona ferentes. Pourtant ses intérêts politiques le rendirent plus accommodant. Il fit une convention avec la Compagnie allemande de l'Est-Afrique, qui ne devait être qu'un prélude de l'acceptation de la suprématie allemande. seulement il avait compté et signé sans son peuple. Les Zanzibariens l'accusèrent d'avoir vendu le pays et le déclarèrent indigne du pouvoir. Ils refusèrent de le reconnaître désormais comme sultan, et quand les Allemands arrivèrent on les reçut à coup de fusils. "Pas d'allemands, pas d'européens chez nous!" s'écria-t-on. Seyid Chalifa, pour vaincre cette résistance nationale, eut l'idée de recourir à la terreur. Il fit donner l'ordre de massacrer les chefs de l'opposition tombés en son pouvoir, et sans l'intervention du consul général anglais et des agents diplomatiques à Zanzibar, cette tuerie aurait eu lieu. C'est à Bagamoyo, que depuis le mois d'octobre, les événements ont pris le caractère le plus grave, et dans le voisinage de cette place, le chef de bandes arabes Buschiri a formé un retranchement où il tient les Allemands en échec avec quelque centaines d'hommes, armés de bons fusils et bien pourvus de munitions.
Pendant tout le mois de décembre les hostilités ont poursuivi leur cours avec acharnement et les Allemands ont pu s'apercevoir que la politique coloniale a ses épines auxquelles les mains se meurtrissent parfois.
A Samoa, dans l'Océanie, M. de Bismarck se croyait plus à l'abri des difficultés. Ce groupe de rochers stériles, au nord-ouest de l'Archipel de Fidji, comprend quatre grandes îles dont la plus importante est Savaï. La superficie totale en est de 2787 kilomètres carrés et la population de 35.000 indigènes environ, et de quelque centaines d'étrangers. Les Allemands y avaient établi leur prépondérance déjà depuis quelques années. Mais un conflit inattendu vient de s'y produire. Le roi des îles Damoa, Malietoa II, arrivé au pouvoir par l'influence anglaise, ayant voulu s'affranchir du protectorat allemand, fit abattre récemment le pavillon de l'empire. Les Allemands le déposèrent, élevant à sa place un vieil indigène, Tamasèse, dévoué au consul d'Allemagne, et soutinrent le nouveau chef dont la population ne voulait pas, en faisant intervenir leur escadre. Malietoa II, fort de l'appui des indigènes, prit les armes, et avec 5.000 hommes se retrancha dans les habitations où il tient encore les partisans de Tamasèse en échec. Les Allemands triompheraient de cette opposition, comme les Anglais l'ont emporté dans le Zoulouland, s'ils n'avaient soulevé les réclamations de l'Amérique qui commence à ouvrir les yeux sur la politique coloniale du chancelier.
Les Etats-Unis possèdent la baie de Pajo-Pajo, le plus vaste mouillage de toute la Polynésie où leurs bateaux à vapeur font leur ravitaillement.
Les Américains sont donc sur le point de dire leur mot dans ce différend des Allemands avec les Samoans; ils veulent maintenir l'indépendance de ces derniers, et se débarrasser du voisinage des colons qui pourraient devenir gênants. Malietoa II, ne s'attendait évidemment point à trouver cet atout dans son jeu, mais c'est incontestablement un atout dont M. de Bismarck, si bon joueur qu'il puisse être, aura à s'occuper, sinon à s'inquiéter.

                                                                                                                      Charles Simond.

La petite revue, premier semestre 1889.

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