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dimanche 21 juin 2015

Le marché des Enfants- Rouges.

Le marché des Enfant-Rouges.


Marguerite de Valois, dont le vrai nom était Marguerite d'Angoulême, fille de Charles d'Orléans, duc d'Angoulême, et de Louise de Savoie, naquit en 1492. Mariée à Charles IV, duc d'Alençon, mort en 1525, elle épousa Henri d'Albret dont elle eut Jeanne d'Albret, mère de Henri IV. Marguerite était une femme d'élite, et son frère, François 1er, qui l'aimait fort et l'appelait sa mignonne, lui confia les négociations les plus délicates. Elle était pieuse et d'une charité sans bornes. Elle éprouvait une immense pitié en voyant de pauvres orphelins de père et de mère, qui, sortis de l'Hôtel-Dieu de Paris, étaient exposés à ne trouver aucun refuge et à être livrés à la mendicité dégradante.
Son cœur s'en émut profondément et lui inspira l'idée de fonder, rue Porte-foin, une maison destinée à les recevoir. Comptant sur l'affection de François 1er, elle s'adressa à son frère bien aimé pour cette fondation, et elle obtint, avec la plus grande facilité son adhésion.
Nous ne pouvons mieux faire à ce sujet que de reproduire l'original, que nous avons trouvé aux Archives (1): il a une éloquence plus grande que nous ne pourrions avoir, car il a celle d'un document écrit avec les dates et les considérants, qui montrent avec quelle minutie on entrait à cette époque dans tous les détails d'une fondation charitable, où, pour aboutir à un bon résultat, tout devait être prévu avec la plus grande précision possible. Nous en avons conservé le style naïf qui a bien son charme:

Hôpital des Enfants-Rouges (janvier 1536).

" François, par la grâce de Dieu, roi de France, à tous présens et à venir, salut.
"Comme nostre très chère et aimée sœur unique, la royne de Navarre, nous eust par cy devant avertys des grandes povretez misères et calamitez que souffroient et portoient les petits enfans non malades, délaissez de leurs pères et mères malades, estrangers ou morts en l'Hostel-Dieu de nostre bonne ville et cité de Paris, a faute que ausditz petits enfans, après le trespas de leurs dits pères et mères, n'estoit pourvu, et n'estoient les dits petits enfans tirez hors dudit Hostel-Dieu, ouquel l'air est gros et infect, à l'occasion de quoy ils tomboient en peu de temps après en maladie, de laquelle ils mourroient, nostre dite sœur nous eust humblement suplié et requis, par compassion qu'elle a eu aux petits enfans, et pour aucunement leur subvenir et aider à les faire vivre, à quoy volontiers et de bon cœur eussions acquiescé et assenti; et, pour achepter maison et logis, pour les retirer dudit Hostel-Dieu et leur servir d'hospital, aurions ordonné la somme de trois mil six cent livres tournois, laquelle auroit esté baillée et mise les mains de Robert de Beauvais, lequel de la dite somme eust acquis et achepté une maison en nostre ville de Paris près du Temple, par ordonnance de nostre amé et féal Conseiller et Président de nos Comptes à Paris, messire Jean Briçonnet chevalier, suivant nostre vouloir, en laquelle sont à présent retirez les dits petits enfans, et pour ce que en faisant par luy la dite acquisition de la dite maison, a esté obmis quelle seroit et a esté faite de nos deniers, et par nous et en nostre nom, servant d'hospital pour lesdits petits enfans, ainsy que a esté et est encore de présent nostre vouloir et intention, et que de la dite maison ayons esté et soyons acquéreur et fondateur, scavoir faisons que Nous, ces choses considérées, ledit hospital soit dit et réputé de nostre donation et première fondation, avons déclaré et déclarons que, pour l'honneur de Dieu et en charité, nous avons donné et aumosné ladite somme de trois mil six cent livres tournois, à la prière et requeste de nostre dite sœur, et qu'elle soit baillée et délivrée au dit de Beauvais des deniers qui sont par cy devant provenus des amendes tascées à l'encontre de ceux qui ont esté trouvé délinquans au fait d'usure. Et en outre voulons et nous plaist de nostre certaine science, pleine puissance et autorité royale que les dits petits enfans soient d'ores et déjà vestus et habillez de robbes et vestements de drap rouge, en signe de charité, et perpétuellement nommez et appelez les Enfants-Dieu. Si nous donnons en mandement par ces dites présentes à nos amez et féau conseillers les gens tenans nostre Cour de Parlement, gens de nos comptes, Prévost de Paris et son lieutenant et à tous nos autres justiciers et officiers, ou à leurs lieutenans et à chacun d'eux, si comme à luy appartiendra, que ces présentes ils fassent lire..., etc.
Donné à Paris au mois de janvier l'an de grâce mil cinq cent trente six, et de nostre règne le 23.

                                                                            Signé: Par le Roy, Bayard.

En 1628, à cause du grand nombre d'habitants qui peuplaient le quartier du Marais, un marché fut reconnu nécessaire et fut établi sous la dénomination de Petit marché du Marais, qui ne tarda pas à prendre le nom de Marché des Enfants-Rouges à cause du voisinage de l'hôpital des Enfants-rouges. 


Situé à l'angle de la rue de Bretagne et de la rue de Beauce, ce marché, avec sa grande place, était au XVIIIe siècle un des coins les plus pittoresques de Paris; à certaines heures de la journée surtout, c'était vraiment un spectacle des plus réjouissants que de voir cette foule se presser, se coudoyer, se lancer des quolibets et des lazzis plus ou moins salés. Au milieu de la foule se trouvaient des gens de toutes les classes qui, pour leurs affaires et leur plaisir, étaient obligés de le traverser, ce qui n'était pas chose facile. De plus, les crieurs ordinaires ne cessaient pas pour cela leurs petits commerces: c'étaient les porteurs d'eau, les vendeurs de vieux chapeaux et vieux galons, de peaux de lapin, de ferraille et de centaines d'autres objets tordus, vermoulus, rouillés.
Les crieurs du bon vieux temps avaient des gosiers de fer et, pour faire mousser leurs marchandises, ils les annonçaient par des cris modulés sur un rythme original. C'était un brouhaha indescriptible, et pourtant, à ces cris, connus et entendus à de longues distances, accouraient les ménagères, qui ne se trompaient jamais. Tous ces cris, débités sur un ton aigre et perçant ou sur un ton grave, joints à ceux non moins bruyants du marché, formaient un ensemble extraordinaire de cris, de jurons, qui semblaient de loin être ceux d'énergumènes en délires. Les cris, les gestes, les attitude étaient d'un réalisme qui auraient fait le bonheur d'un peintre ou d'un romancier de nos jours, tant les gens d'autrefois avaient d'originalité qui les marquait d'une empreinte ineffaçable! Le niveau des temps modernes n'avait point passé par là. Les costumes étaient aussi d'une grande variété de coupe avec les couleurs les plus diverses.
Il y a quelques mois à peine, les passants s'amusaient fort d'un tableau des plus curieux. Par les grilles d'une des boutiques du marché des vaches laitières passaient leurs museaux frais et montraient leurs grands yeux de bons ruminants, qui n'avait pas l'air de trop regretter leurs pâturages champêtres, car elles recevaient en abondance les restes de légumes du grand marché. Le lait était fameux dans le quartier, et bien des personnes nous ont affirmé avoir été nourries au biberon avec le lait de ces bonnes bêtes, auxquelles on venait donner en passant une tape familière et reconnaissante. Ce coin du vieux Paris n'était point banal et avait gardé, choses et gens, une portion de cette originalité que nous chérissons tant, nous, les amoureux de la vieille cité.
Que d'anecdotes historiques, que de curiosités archéologiques on pourrait glaner çà et là depuis l'ouverture de ce marché! Contentons-nous de rappeler qu'il a appartenu à Jacques Cassini, le fils de Dominique Cassini, que Colbert, pour sa grande renommée dans la science astronomique, avait fait venir de Bologne et qui devint le premier Directeur de notre Observatoire. Mlle de Scudéry habita longtemps la maison qui fait le coin de la rue de la Beauce et de la rue des Oiseaux. Tout cela va disparaître sous la pioche du démolisseur et nous allons voir s'élever des immeubles très hauts, d'une banalité très grande, qui font le désespoir des artistes.

                                                                                                         Gérard Devèze.

(1) Archives nationales. K. 180. Liasse 20.

Le Magasin Pittoresque, 1913.

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