La pêche aux écrevisses.
Aimez-vous les écrevisses? Quant à moi, au risque de passer pour un petit-neveu du gourmet d'Aigrefeuille, le commensal de Combacérès, je suis obligé d'avouer humblement que je les ai en singulière estime. Je les prise au court-bouillon, je les mange en purée, je les déguste à l'anglaise, je les dévore à la bordelaise. Si les écrevisses étaient chassées du reste de la terre, elles trouveraient un refuge... dans mon estomac.
Ce crustacé précieux choisit sa demeure dans les petites rivières dormantes et claires, près du rivage, dans les racines entrelacées des arbustes qui ont leur pied au fond de l'eau. C'est là que vont le chercher ceux qui le pêchent pour le vendre et ceux qui ne le pêche que pour le manger: double race également exterminatrice, mais dont la seconde est bien plus terrible que la première.
On a dit des poëtes qu'ils étaient irritables au suprême degré:
Genus irritabile vatum;
que ne pourrait-on pas dire des pêcheurs amateurs, de ceux qui ne pêchent le goujon ou l'écrevisse que pour le plaisir qu'ils trouvent à les prendre... et à les manger! Le mouton, dans ce cas, se fait tigre. Malheur à l'importun qui vient malencontreusement saluer les amateurs de pêche au moment où le goujon mord à l'asticot ou l'écrevisse à l'appât! Ils deviennent féroces; leurs yeux s'enflamment, leur bouche se contracte, leurs dents grincent: ils vous brûleraient la cervelle... s'ils n'avaient pas à surveiller leur ligne ou leur pêchette.
Il y a diverses manières de faire la pêche aux écrevisses; la plus originale est sans doute celle que représente notre gravure.
Au milieu de la nuit, les pêcheurs arrivent avec des torches ou des brandons de paille allumés; ils entrent dans la rivière jusqu'à mi-jambes, et font un vacarme infernal. Les écrevisses, éveillées par le bruit et aveuglées par la flamme, sortent en foule de leurs retraites profondes et offrent ainsi une proie facile à leurs ennemis, qui les capturent par centaine.
Il est un autre genre de pêche plus usuel: c'est celui que pratique le commun des mortels et qui ne manque pas non plus d'une certaine originalité.
Le pêcheur est armé de pêchettes, espèces de cercles de trois à quatre centimètres de diamètre, que l'on garnit d'un petit filet et que l'on maintient au fond de l'eau au moyen de quelques grains de plomb.. On attache chaque pêchette, comme un plateau de balance, au bout d'une petite perche, et on amorce soit avec des grenouilles écorchées, soit avec un morceau de viande quelque peu faisandée. On en pose ainsi, le long de la rivière, un grand nombre que l'on visite de temps à autre, et que l'on débarrasse des crustacés qui sont venus s'y faire prendre.
Dans les temps favorables, cette pêche ne laisse pas d'être fructueuse. Quand vient le soir, il n'est pas rare de rencontrer un heureux pêcheur qui, le visage souriant, cette fois, répond à votre salut en vous invitant à venir déguster avec lui un buisson de ses écrevisses.
G. Lawrence.
La Semaine des Familles, n°7, samedi 17 novembre 1866.
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