Les chanteurs de salon.
J'ai toujours reculé devant cette tâche terrible d'écrire une légende au-dessous d'un dessin de Daumier, et jamais je n'aurais eu la témérité de décrire un Gavarni.
Ces deux artistes, le premier large, réel, vivant; l'autre profond, philosophe, mettant un poëme dans les plis d'une robe, et des épopées dans une ride qu'il creuse au front d'un de ses héros, sont les seuls qui ne se trahissent pas en se commentant.
La foule est compacte dans les salons de Mme***, on attend avec anxiété les deux célèbres chanteurs. Ils ont eux-même choisi leur accompagnateur, qui frappe le clavier avec fureur, et dévore des yeux la partition qui n'en peut mais.
Le ténor, un Werther à moustaches, module la plaintive romance en levant les yeux au ciel; la basse, comme tout chantre qui connaît ses devoirs, beugle ses notes de bombardon. Les admirateurs quand même des hôtes du lieu se pâment d'admiration, en criant bravo! Les femmes minaudent, en murmurant: châarmant! Les invités, qui n'ont pas dîné chez la maîtresse du lieu, et qui trouvent le punch trop léger, les gâteaux trop secs et les danseuses trop mûres, étouffent un bâillement.
Les voisins du dessous, troublés dans leur premier sommeil, parlent d'avertir le commissaire de police, mais les virtuoses n'en continuent pas moins leur charivari.
Ils finissent, et Mme*** leur assure, au nom de tous ses invités, qu'ils sont bien heureux d'avoir un si charmant talent. Modestes comme des chanteurs, ils répondent timidement qu'ils ont encore deux partitions dans l'anti-chambre, dans la poche de leur paletot.
C. Y.
La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.
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