L'accident de M. de Montaignac.
Dans notre dernière chronique nous décrivions les voitures de M. le marquis de Montaignac et nous faisions entrevoir le brillant avenir auquel était appelée sa maison de construction et cela en toute justice grâce à sa direction et à ses conseils
En écrivant notre article nous ne nous doutions pas de la terrible catastrophe que nous avons à enregistrer aujourd'hui.
Dans la course de Périgueux MM. de Montaignac et Montariol étaient les deux derniers à partir.
M. Montariol conduisait une petite Benz et M. de Montaignac une de ses voitures.
Trois kilomètres après le départ M. de Montaignac rattrapait son concurrent et en passant, voulut lui tendre la main. En faisant le mouvement avec le bras, on suppose qu'il tourna instinctivement la direction et accrocha la voiture Benz qui chassa sur la droite et versa dans un ravin. M. Montariol put sauter à temps de la voiture tandis que son mécanicien était entraîné dans la chute.
Craignant d'avoir causé un accident terrible, M. de Montaignac tourna la tête alors qu'il était lancé à la vitesse de 28 kilomètres à l'heure et en même temps, il tourna sa direction, comme cela arrive si souvent en voiture ou même à bicyclette, conduisant sa voiture dans le même ravin que celui où M. Montariol venait de verser.
La chute fut épouvantable, la voiture pesant 800 kilos tomba de tout son poids sur lui et son domestique, lui brisant les jambes et lui enfonçant la poitrine.
M. de Montaignac ne fut cependant pas tué sur le coup.
Il put, devant témoins, prononcer quelques paroles et entre autres regretter de s'être laissé aller à prendre part à une course alors qu'il se savait conducteur peu habile; une demi-heure après sa chute, Monsieur de Montaignac expirait.
La figure était presque exempte de toute blessure et paraissait calme et énergique.
Parmi les autres blessés M. Montariol était à peu près indemne. Les deux mécaniciens restaient évanouis sur le sol.
Aux alentours de l'accident survenu juste en face de la borne 66, ce fut une stupéfaction profonde tellement la catastrophe avait été subite.
Le mécanicien de M. Montariol, Bernard Lestage n'était pas très dangereusement blessé, il est même hors de danger.
Celui de M. Montaignac est plus gravement blessé. La voiture en lui tombant sur le corps lui a crevé la vessie, comprimé le cœur et fait de nombreuses ecchymoses sur tout le corps.
Heureusement, grâce à son jeune âge (22 ans), on peut espérer qu'il triomphera de cette commotion épouvantable.
Comme bien on pense, cet accident a plongé organisateurs et concurrents dans le plus grand désespoir. Les premiers ont rédigé le procès-verbal suivant:
"Le malheureux accident qui a attristé la course de Périgueux a trouvé un écho dans le cœur des concurrents et des organisateurs de cette épreuve. Le jury néanmoins, après une enquête sérieuse et sur l'affirmation de la victime elle-même, désireux d'établir toutes les responsabilités, tient à affirmer que cet affreux accident qu'il déplore a pour cause une imprudence, un moment d'inattention du regretté marquis de Montaignac. Les voitures marchaient à ce moment à une allure modérée sur une route plate et libre de tout obstacle. Il a fallu une imprudence de la victime pour causer cet irréparable malheur."
Périgueux, 3 mai.
Les membres du jury:
Comte de Dion, président; Rousset, vice-président; marquis de Chevigné, président du Cyclamen; marquis de Fayolle, président de la Société Hippique; A. de Lachapoulie, Paul Meyan, Nourilhac, Pioch, ingénieur des ponts et chaussées; de Barry.
Malgré ce procès-verbal qui a été publié partout, le contrecoup de cet accident s'est fait sentir dans toute la région et même dans toute la France.
Les ennemis de l'automobile en général n'ont pas manqué de crier que c'était la meilleure preuve du danger que représente la traction automobile et les chauffeurs ennemis des courses ont renchéri.
M. F.
Le Sport Universel Illustré, 14 mai 1898.
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