Espagne: physionomie des troupes.
Les traits caractéristiques qui distinguent le Français de l'Espagnol sont plus saillans, plus tranchés peut être encore dans les mœurs et les habitudes militaires des soldats des deux nations.
Et d'abord parlons du cigaro. On a dit bien souvent, sans le répéter assez peut être, quel rôle immense jouait le cigare dans l'existence espagnole. C'est une partie intégrante du bien-être civil et militaire; pas de conversation qu'il ne précède, pas de rapports, de liaisons qu'il ne facilite, pas de souffrances qu'il n'aide à supporter. Aussi à la promenade (al paseo) tout comme en sentinelle perdue, à la guerre, vous retrouverez le soldat espagnol savourant avec recueillement et bonheur ses bouffées de tabac, et psalmodiant ses chansons nationales.
Que lui importe la faim, la soif et les intempéries de l'air? Il fume, et il fredonne; c'est assez.
Après le cigare, l'objet le plus essentiel sans contredit pour le soldat de ce pays, est cet instrument, qu'on rencontre dans les corps de garde et les bivouacs, comme dans les boutiques des barbiers: la guitare! Ce n'est, le plus souvent, qu'une mandoline détestable dont l'existence remonte au troubadour Geoffroi Rudel, mais n'importe. S'il est placé sous les ordres d'un officier, rigide observateur des convenances militaires, le soldat trouve encore le secret d'éluder la défense et de faire voyager l'instrument favori; sans qu'on sache comment elle est arrivée, la guitare reparaît aux haltes, aux exercices, et autour des musiciens se forme le cercle des chanteurs. Les chefs se montrent-ils moins ennemis de cette harmonie nationale, aussitôt la guitare reprend sa place d'honneur: mise en travers et en évidence, sur le sac d'un soldat, elle voyage avec la compagnie. dans les corps de garde, vous l'apercevez toujours à côté du râtelier d'armes. C'est elle qui préside aux concerts de nuit, aux Sequedillas, Manchegas, Polos y tiranas, etc., sérénades improvisées, empreintes d'une origine et d'un charme tout moresque, et qui, dans les belles soirées d'été, attirent la senora sous la tente du balcon. De là vient que le voisinage d'un corps de garde, qui en France ne séduit personne, est quelquefois recherché en Espagne. Mais le jour a lui; jetez les yeux sur cette caserne, sur ce même corps de garde, tout est rentré dans le calme et le silence. Ici des cours désertes; là des officiers et des soldats décolletés, dormant étendus à l'ombre.
Sans doute il vous est arrivé de voir des soldats français à l'exercice, pendant l'intervalle de repos qui sépare les deux prises d'armes? Chacun rit, s'ébat ou s'escrime. En Espagne, au contraire, l'instant où l'on fait rompre les rangs n'ajoute ni au bruit ni au mouvement du tableau. La foule bourgeoise envahit le terrain de manœuvres; les cigaritos s'allument silencieusement après un simple échange de signes, et bientôt tout est confondu, femmes, enfans, moines, bourgeois et militaires.
Et qu'on ne vienne pas alléguer, en excuse de cette nonchalance, la chaleur du climat. Nous avons vu nos soldats à une température aussi brûlante, et certes ils n'avaient pas perdu de leur caractère ni de leur bruyante gaîté. Non, il y a dans ces bataillons espagnols un je ne sais quoi qui trahit un manque d'habitude et comme de souplesse militaire. Leur aspect national a disparu; et s'il nous était donné de rendre ici une impression, intraduisible peut être par des mots, nous dirions que ces soldats produisent moins l'effet de conscrits, que de bourgeois jouant gravement au soldat.
Ces observations critiques portent bien plus sur la forme que le fond. Le mérite d'une armée ne consiste pas, nous le savons, dans l'élégance de ses soldats, et néanmoins il est encore plusieurs singularités que nous croyons devoir signaler. Nous mettons en première ligne l'insupportable monotonie de la marche des tambours. Remarquez que marche est ici écrit au singulier, attendu qu'il n'en existe en effet qu'une seule pour toutes les circonstances et dans toute l'étendue de la monarchie espagnole. C'est une batterie qui ne ressemble pas mal à celle qui s'exécute à nos convois funèbres; seulement la mesure en est plus ou moins précipitée, selon que le pas est ordinaire ou accéléré. Cette marche, m'a-t-on dit, est si ancienne, si nationale, que l'on n'a point osé y toucher. Félicitons les Espagnols de faire du patriotisme à propos d'un roulement de tambour; mais toujours est-il que les oreilles profanes des étrangers en sont long-temps poursuivies.
A propos de tambours, ajoutons un mot sur les tambours majors: ils sont placés, ainsi que les nôtres, à la tête des régimens; mais que sont les grâces et les balancemens affectés de ceux-ci, à côté des tambours majors espagnols dont les contorsions, disons le mot, les gambades dépassent tout ce que l'imagination peut se figurer? Les hommes choisis pour ce rôle mimique ne sont pas d'ailleurs d'une taille plus élevée que les autres.
Il faut remarquer qu'en revanche les musiques des régimens espagnols sont incontestablement meilleures que les nôtres. Le choix des airs, le plus souvent tristes et langoureux, manquent bien un peu de vivacité militaire; mais l'harmonie en est pure et l'exécution bien sentie. Avec quels délices on retrouve là, dans une mélodie accentuée, les beaux cantabile de Rossini et les symphonies d'Haydn! Paris revient bientôt à la mémoire, on s'oublie.....; lorsque tout à coup ces malheureux tambours reprenant, le charme est détruit!
On sait qu'à partir du grade de chef de bataillon les épaulettes disparaissent. Les galons sur la manche et la canne deviennent les seules marques distinctives du grade des officiers supérieurs et des généraux. La canne que portent en bandoulière les officiers supérieurs n'indique chez que le grade honoraire dont ils ont les insignes.
L'une des choses qui surprennent le plus les Français qui assistent aux exercices qui assistent aux exercices et aux manœuvres en Espagne, c'est le laisser-aller des officiers et des soldats.
Figurez-vous un chef de bataillon, par exemple, fumant son cigarito en même temps qu'il commande l'exercice; l'Andalouse sémillante, le moine franciscain avec son grand chapeau à la Basile, se promenant tout auprès de la troupe, adressant, l'un un gracieux sourire avec son éventail, l'autre un salut clérical à tel ou tel officier sous les armes. En outre, presque jamais de baïonnette au bout du fusil, même lorsqu'on commande le pas de charge la baïonnette croisée; des jalonneurs se portent avec une extrême nonchalance pour tracer les lignes. Nous craindrions de fatiguer nos lecteurs s'il nous fallait rapporter ici tout ce qu'il y a de mol abandon, de camaraderie dans ces manœuvres. Nous pouvons ici rapporter un fait dont un voyageur a été témoin dans une petite guerre exécutée aux environs de Madrid, à l'occasion des fêtes du couronnement de l'infante. Un bataillon se repliant, se formait en colonne d'attaque; un capitaine vint s'arrêter avec sa compagnie précisément à la place de bataille d'un autre, de sorte que cette dernière survenant, notre officier s'aperçoit de sa bévue; seguid me, muchachos (suivez-moi, enfans), s'écrie-t-il, en s'adressant à son peloton; et les voilà courant à travers les divisions qui se forment successivement, renversant, bousculant les autres soldats. C'est une véritable mêlée. Quant au chef de bataillon, au lieu de chercher à faire cesser la confusion par un commandement calme et sévère, il s'était pris d'un fou-rire à la vue de ce désordre... Il était hors d'état de commander. Hâtons-nous de dire que ce sont là des exceptions, et que de pareilles scènes ne sauraient se renouveler souvent.
Les uniformes des officiers de la garde sont d'une coupe élégante et légère; on y remarque en général une tendance plus ou moins heureuse à imiter les tournures françaises; mais dans toutes les importations de ce genre, il est rare que le goût national vienne se glisser. Ainsi l'usage, on pourrait presque dire le bon ton, parmi les officiers espagnols, n'est pas de porter les épaulettes carrément sur les épaules, comme on le voit en France. Ils les rejettent en arrière, à la façon des voltigeurs de Louis XIV. Autre chose encore; nous voulons parler d'une manière fatale de porter les collets d'habits, dont la hauteur par derrière est tellement exagérée, que l'on dirait une lutte établie à qui sera le plus ridicule; assurément, il n'est pas un homme, fut-il même un Antinoüs, qui ne parut gêné et voûté en étant habillé de la sorte. cette disposition a de plus l'inconvénient inévitable de la malpropreté, ainsi que le dénotent d'ailleurs, sans y remédier, ces doubles collets dont tous les habits sont revêtus. Quand au caractère de l'armée espagnole, on peut dire qu'individuellement le soldat de cette nation est brave. Si chez lui on ne retrouve ni l'impétuosité des Français, ni cette fermeté de réaction des Anglais, il est bien plus sobre et plus patient que les soldats de ces deux nations. Possédant toutes les qualités qui constituent le guerrier, il est dur aux fatigues et susceptible d'un grand élan, lorsqu'il est conduit par des officiers qui ont mérité sa confiance; mais orgueilleux, fanfaron, même dans les revers les plus humilians, et rarement généreux dans la victoire.
Le Magasin Universel, 1834-1835.
Sans doute il vous est arrivé de voir des soldats français à l'exercice, pendant l'intervalle de repos qui sépare les deux prises d'armes? Chacun rit, s'ébat ou s'escrime. En Espagne, au contraire, l'instant où l'on fait rompre les rangs n'ajoute ni au bruit ni au mouvement du tableau. La foule bourgeoise envahit le terrain de manœuvres; les cigaritos s'allument silencieusement après un simple échange de signes, et bientôt tout est confondu, femmes, enfans, moines, bourgeois et militaires.
Et qu'on ne vienne pas alléguer, en excuse de cette nonchalance, la chaleur du climat. Nous avons vu nos soldats à une température aussi brûlante, et certes ils n'avaient pas perdu de leur caractère ni de leur bruyante gaîté. Non, il y a dans ces bataillons espagnols un je ne sais quoi qui trahit un manque d'habitude et comme de souplesse militaire. Leur aspect national a disparu; et s'il nous était donné de rendre ici une impression, intraduisible peut être par des mots, nous dirions que ces soldats produisent moins l'effet de conscrits, que de bourgeois jouant gravement au soldat.
Ces observations critiques portent bien plus sur la forme que le fond. Le mérite d'une armée ne consiste pas, nous le savons, dans l'élégance de ses soldats, et néanmoins il est encore plusieurs singularités que nous croyons devoir signaler. Nous mettons en première ligne l'insupportable monotonie de la marche des tambours. Remarquez que marche est ici écrit au singulier, attendu qu'il n'en existe en effet qu'une seule pour toutes les circonstances et dans toute l'étendue de la monarchie espagnole. C'est une batterie qui ne ressemble pas mal à celle qui s'exécute à nos convois funèbres; seulement la mesure en est plus ou moins précipitée, selon que le pas est ordinaire ou accéléré. Cette marche, m'a-t-on dit, est si ancienne, si nationale, que l'on n'a point osé y toucher. Félicitons les Espagnols de faire du patriotisme à propos d'un roulement de tambour; mais toujours est-il que les oreilles profanes des étrangers en sont long-temps poursuivies.
A propos de tambours, ajoutons un mot sur les tambours majors: ils sont placés, ainsi que les nôtres, à la tête des régimens; mais que sont les grâces et les balancemens affectés de ceux-ci, à côté des tambours majors espagnols dont les contorsions, disons le mot, les gambades dépassent tout ce que l'imagination peut se figurer? Les hommes choisis pour ce rôle mimique ne sont pas d'ailleurs d'une taille plus élevée que les autres.
Il faut remarquer qu'en revanche les musiques des régimens espagnols sont incontestablement meilleures que les nôtres. Le choix des airs, le plus souvent tristes et langoureux, manquent bien un peu de vivacité militaire; mais l'harmonie en est pure et l'exécution bien sentie. Avec quels délices on retrouve là, dans une mélodie accentuée, les beaux cantabile de Rossini et les symphonies d'Haydn! Paris revient bientôt à la mémoire, on s'oublie.....; lorsque tout à coup ces malheureux tambours reprenant, le charme est détruit!
On sait qu'à partir du grade de chef de bataillon les épaulettes disparaissent. Les galons sur la manche et la canne deviennent les seules marques distinctives du grade des officiers supérieurs et des généraux. La canne que portent en bandoulière les officiers supérieurs n'indique chez que le grade honoraire dont ils ont les insignes.
L'une des choses qui surprennent le plus les Français qui assistent aux exercices qui assistent aux exercices et aux manœuvres en Espagne, c'est le laisser-aller des officiers et des soldats.
Figurez-vous un chef de bataillon, par exemple, fumant son cigarito en même temps qu'il commande l'exercice; l'Andalouse sémillante, le moine franciscain avec son grand chapeau à la Basile, se promenant tout auprès de la troupe, adressant, l'un un gracieux sourire avec son éventail, l'autre un salut clérical à tel ou tel officier sous les armes. En outre, presque jamais de baïonnette au bout du fusil, même lorsqu'on commande le pas de charge la baïonnette croisée; des jalonneurs se portent avec une extrême nonchalance pour tracer les lignes. Nous craindrions de fatiguer nos lecteurs s'il nous fallait rapporter ici tout ce qu'il y a de mol abandon, de camaraderie dans ces manœuvres. Nous pouvons ici rapporter un fait dont un voyageur a été témoin dans une petite guerre exécutée aux environs de Madrid, à l'occasion des fêtes du couronnement de l'infante. Un bataillon se repliant, se formait en colonne d'attaque; un capitaine vint s'arrêter avec sa compagnie précisément à la place de bataille d'un autre, de sorte que cette dernière survenant, notre officier s'aperçoit de sa bévue; seguid me, muchachos (suivez-moi, enfans), s'écrie-t-il, en s'adressant à son peloton; et les voilà courant à travers les divisions qui se forment successivement, renversant, bousculant les autres soldats. C'est une véritable mêlée. Quant au chef de bataillon, au lieu de chercher à faire cesser la confusion par un commandement calme et sévère, il s'était pris d'un fou-rire à la vue de ce désordre... Il était hors d'état de commander. Hâtons-nous de dire que ce sont là des exceptions, et que de pareilles scènes ne sauraient se renouveler souvent.
Les uniformes des officiers de la garde sont d'une coupe élégante et légère; on y remarque en général une tendance plus ou moins heureuse à imiter les tournures françaises; mais dans toutes les importations de ce genre, il est rare que le goût national vienne se glisser. Ainsi l'usage, on pourrait presque dire le bon ton, parmi les officiers espagnols, n'est pas de porter les épaulettes carrément sur les épaules, comme on le voit en France. Ils les rejettent en arrière, à la façon des voltigeurs de Louis XIV. Autre chose encore; nous voulons parler d'une manière fatale de porter les collets d'habits, dont la hauteur par derrière est tellement exagérée, que l'on dirait une lutte établie à qui sera le plus ridicule; assurément, il n'est pas un homme, fut-il même un Antinoüs, qui ne parut gêné et voûté en étant habillé de la sorte. cette disposition a de plus l'inconvénient inévitable de la malpropreté, ainsi que le dénotent d'ailleurs, sans y remédier, ces doubles collets dont tous les habits sont revêtus. Quand au caractère de l'armée espagnole, on peut dire qu'individuellement le soldat de cette nation est brave. Si chez lui on ne retrouve ni l'impétuosité des Français, ni cette fermeté de réaction des Anglais, il est bien plus sobre et plus patient que les soldats de ces deux nations. Possédant toutes les qualités qui constituent le guerrier, il est dur aux fatigues et susceptible d'un grand élan, lorsqu'il est conduit par des officiers qui ont mérité sa confiance; mais orgueilleux, fanfaron, même dans les revers les plus humilians, et rarement généreux dans la victoire.
Le Magasin Universel, 1834-1835.
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