Les précieuses ridicules.
Lorsque Molière fit jouer sa comédie des Précieuses Ridicules ( en 1659), l'épidémie du bel esprit avait infesté la France; toutes les femmes du monde voulaient juger la prose et les vers, donner le ton aux auteurs, et faire les réputations; on confondait et la langue parlée et la langue écrite et le langage des poètes, et le discours familier.
La conversation perdit bientôt son ton naturel, et c'est à grand peine si les gens simples et vrais pouvaient comprendre les esprits à la mode; de là ce déluge de romans sans fin, de portrait de fantaisie, et d'autres frivolités dont la France fut inondée à cette époque; les précieuses s'envoyaient visiter par un rondeau ou une énigme, et c'est par là que commençaient toutes les conversations.
L'amour, dans tout ce qu'il a d'exagéré, de maniéré, fut le thème favori de tous ces faiseurs d’œuvres musquées; et des ouvrages, tels que le Royaume de Tendre, qui serait aujourd'hui universellement conspués, obtinrent alors le plus grand succès.
On appelait alors le bonnet de nuit, le Complice innocent du mensonge; le chapelet, une Chaîne spirituelle; l'eau, le miroir céleste; les filous, les Braves incommodes; un sourire dédaigneux était un Bouillon d'orgueil; et l'action de tuer plusieurs personnes, un Meurtre épais.
On aurait tort de croire cependant que toutes les précieuses fussent aussi ridicules que celles que Molière a mises en scène. Le beau parler, les grâces de l'esprit, la politesse des manières, furent toujours admirées dans les femmes qui méritaient de donner le ton. Mesdames de Lafayette, de Sévigné, Deshoulières, de Longueville, de L'Enclos, étaient des précieuses de bon ton, et comme disaient alors les gens de goût, de vraies précieuses. La critique de Molière ne tombait que sur les femmes que leur affectation outrée et leur pédantisme rendaient insupportables, sur ces petites protectrices d'ouvrages nouveaux, qui croyaient du bon ton de parler un langage énigmatique, langage inconnu au vulgaire, et pensaient pouvoir donner des lois à ce que notre littérature comptait de plus habiles écrivains;
Le succès des Précieuses ridicules fut immense; il y eût dès le début, une telle affluence de monde, que les comédiens augmentèrent de moitié le prix des places, on ne payait alors que dix sols au parterre. Un vieillard s'écria au milieu d'une scène: Bravo Molière, voila la bonne comédie! L'ouvrage eut autant de succès au théâtre de la cour qu'à celui de Paris, et Molière qui, jusqu'alors avait travaillé sur les modèles de Plaute et de Térence, chercha les sujets de ses drames dans l'observation du monde. La comédie des Précieuses ridicules est la première pièce en un acte et en prose qu'ait donnée cet auteur.
Le Magasin Pittoresque, 1834-1835.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire