La destruction des mouches.
Il n'est pas besoin d'avoir vécu dans le fond du Midi pour apprécier le degré d'importunité de cette bestiole désagréable qu'est la mouche.
Dès qu'apparaissent les premiers rayons de soleil printaniers les voilà qui bourdonnent: isolées, en petits groupes, comme un détachement d'éclaireurs, elles commencent à fouiller votre appartement, jusqu'à ce que l'essaim grossissant forme une cohorte noire importune, rageuse et qui vous exaspère. C'est un véritable fléau et, pour peu que vous ayez dans votre voisinage, des écuries, un dépôt d'immondices quelconques, les mouches viennent s'abattre par milliers dans votre cuisine et dans toutes les pièces du logis.
Dans un rapport extrêmement intéressant présenté au Comité d'hygiène du County Council de Londres, les docteurs Shirley Murphy et Hamer ont étudié plusieurs points forts intéressants de la diffusion de cet insecte malfaisant. L'enquête à laquelle ils se sont livrés est des plus intéressantes; il s'agissait de savoir si le Comité d'éducation était en droit de s'opposer à l'établissement de dépôts de déchets, de détritus ou de fumiers au voisinage de ses écoles. Il n'y a pas de doute que les étables, les écuries, les dépôts d'engrais ou de fumiers favorisent la reproduction de la mouche à un degré supérieur à une maison propre et nettoyée d'une façon régulière. Mais jusqu'à quelle distance peut se produire la diffusion des mouches? Théoriquement, il n'y a pas de limites; mais en fait, il en existe, et voici les preuves fournies par ces expérimentateurs.
Pendant les chaudes journées de l'été 1907, ils ont noté avec précision le nombre de mouches qu'on pouvait trouver dans le voisinage de douze établissements tels que étables, écuries, dépôts d'engrais, manufacture de jambons, clos d'équarrisseur et fabrique de catgut.
On établit des postes d'observation dans des immeubles, aussi ressemblants que possible, par leur distribution, leur mode de construction, les uns des autres, habités par des ouvriers et dans des conditions de propreté relative et à distance égale de chacun de ces douze dépôts, c'est à dire, les uns à 50 yards, les autres à 200 yards (soit près de 200 m, le yard mesurant 91 cm). Les mouches, qu'il eut été difficile de compter au vol ou au passage, étaient recueillies sur des papiers imprégnés d'une substance adhésive, miel et résine; toutes les heures, les papiers étaient changés dans tous les postes et on avait ainsi un chiffre approximatif.
Or, à une distance de 150 m et même de 200 m, l'influence de ces dépôts d'immondices ou de fumiers, sur l'apparition des mouches dans l'immeuble, était des plus évidentes. Au voisinage immédiat les logements devenaient presque inhabitables et pour peu qu'ils soient mal tenus et sales, la propagation des insectes y est encore plus prononcée qu'ailleurs. J'avoue qu'il n'est pas besoin de l'enquête minutieuse à laquelle se sont livrés les deux hygiénistes anglais pour s'assurer de ce fait. Il suffit d'entrer dans une ferme du vieux temps et il en existe encore de nombreux échantillons, où l'étable est voisine du logis; les mouches y sont légion. L'espèce la plus commune, la musca domestica, est celle qu'on rencontre en majorité dans ces captures; mais il y avait aussi un grand nombre de mouches homolomyia canicularis, qui ressemblent à la mouche ordinaire et quelques échantillons de la mouche bleue, le calliphora vomitoria, mouche plus dangereuse que les autres.
Beaucoup de maladies peuvent être transmises par ces vilaines petites bêtes qui se promènent partout, sur le plat servi sur la table, sur les rideaux de votre lit et surtout dans les endroits les plus sales et les plus retirés. La cuisine et les cabinets d'aisances les attirent et le Dr Murphy cite à ce propos une petite histoire assez drôle, dont je ne garantis en rien la véracité. Un voyageur se plaignait, dans un hôtel américain, de ne pouvoir aller aux water-closets sans être importuné par la multiplicité des mouches. "Allez-y à l'heure du dîner" lui conseilla un sommelier philosophe: "en entendant la cloche de la table d'hôte, les mouches changent de résidence".
Je disais que les mouches peuvent être les agents propagateurs de certaines maladies; ce fait a été prouvé, j'en ai parlé jadis, pour la tuberculose, la fièvre jaune, la malaria, la dysenterie. Il faut donc à tout prix les faire disparaître et les détruire dans la plus large mesure possible. Voici, à cet égard, un procédé très simple, qui a donné entre les mains de son inventeur de très bons résultats. Le Dr Delamarre, médecin-major à Saint-Denis, conseille l'emploi du formol en solution au dixième. On remplit quelques assiettes de cette solution et on les pose dans la pièce envahie par les mouches, sur des tables, sur des chaises, sur le sol. Vingt-quatre heures après, ces assiettes et la zone environnante sont remplies de mouches et de moustiques empoisonnés; ceux qui n'ont pas été sidérés sur place vont tomber à quelque distance. Aucun papier tue-mouche, aucune préparation mouchivore destinée à les engluer ne donne pareille hécatombe. Il suffit de renouveler les solutions tous les deux jours. A l'hôpital, où se sont faites les premières expériences, on plaçait des assiettes un peu partout; chaque crachoir, à la tête du lit du malade, était rempli à moitié de la même solution. A partir du jour où on installa ces nouveaux tue-mouches, les malades purent dormir tranquilles: mouches et moustiques étaient condamnés.
Imaginez-vous à quel chiffre de victimes on est arrivé en une journée? La salle cubait environ 520 m, chaque jour, on y a récolté 4.000 mouches, soit en dix jours, 40.000. La proportion est respectable. Que chacun chez soi se livre à pareille chasse et l'on sera sous peu délivré en grande partie de ces insectes désagréables.
J'ai dit que les moustiques étaient, comme les mouches, attirés et tués par le formol: mais il faut les attirer. Le moustique n'est pas comme la mouche, à vous agacer pendant le jour; il est noctambule et pour le faire tomber dans le piège, il est bon de mettre au milieu de l'assiette de formol, une petite veilleuse en verre. Gardez-vous, pour les uns comme pour les autres, de mettre du sucre ou du miel sur le bord de l'assiette, les insectes iront sucer le sucre et n'iront pas sur le formol.
Puisque je parle de la destruction des moustiques, signalons en passant un moyen d'en détruire les larves. Il serait, au dire de M. de Puyberneau, chef de service de santé au Gagon, plus efficace que le pétrolage, parce qu'il est plus durable. Il faut prendre (ce qui dans nos pays n'est pas à la portée de tous) des feuilles de cactus épineux, opuntia vulgaris; on les hache menus, et on les malaxe dans l'eau de façon à former un mucilage épais que l'on projette à la surface des mares, pièces d'eau, où vont pondre les moustiques. La plus grande partie du mucilage s'étale à la surface de l'eau et forme, comme le pétrole, une couche isolante qui empêche les larves de venir au contact de l'air. Le mucilage pénètre dans leurs trachées et détruit par asphyxie les insectes naissants. Cactus et formol, nous voici armés pour la lutte contre l'ennemi dans les temps chauds.
Dr A. C.
La Nature, 6 juin 1908.
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