Chronique du 1er août 1856.
Dans le quartier des Invalides, vient de mourir subitement une célébrité populaire: la marquise de Saint-Pochard.
Cette dame appartenait à la haute aristocratie anglaise; elle avait un air de grandeur et de dignité rare; elle était toujours vêtue avec une suprême élégance.
Et avec cela, sa passion dominante, irrésistible, était de s'enivrer, non dans le secret de son riche appartement, mais dans les plus ignobles cabarets.
Après avoir brillé quelque temps dans les salons par son esprit et sa beauté, elle s'était retirée du monde, et on ne la voyait qu'aux barrières, chez les marchands de vin des Halles, de la place Maubert, où elle buvait avec les balayeurs des rues, les chiffonniers. Ses camarades de table lui avait donné ce nom de marquise de Saint-Pochard.
Sa famille veillait sur elle, mais seulement pour lui fournir une forte pension. Car, en vertu de ce principe de la liberté anglaise, que chacun est maître de ses actes, on ne contrariait en rien ses penchants.
Donc, elle passait ses nuits dans ces bouges, à boire de l'eau-de-vie, de l'absinthe.
Souvent l'ivresse l'avait entraînée à des folies, à des excentricités qui passent toute permission, et elle avait été conduite au poste des Halles et à ceux des barrières, où elle était bien connue.
Un soir, dans un cabaret, elle rencontra un étudiant, qui fit sa conquête parce qu'il chantait divinement les chansons à boire.
Elle l'épousa et ils continuèrent à boire ensemble.
Il y a deux ans, ce jeune mari fut trouvé mort dans la rue, frappé d'apoplexie par l'eau-de-vie.
La marquise s'en affligea peu et en fut quitte pour aller seule dans les cabarets, où elle but jusqu'à son dernier jour.
Cette étrange femme occupait un bel appartement, dans lequel elle vient d'être trouvée morte, comme son mari, d'une congestion cérébrale déterminée par la même cause.
*****
La commune de G... vient d'être mise en émoi par un singulier incident.
Le maire de cet endroit, ne rentrant pas à l'heure ordinaire pour dîner, sa femme envoya la domestique le chercher chez les personnes près desquelles il se rendait d'habitude.
Cette jeune servante, en passant près de la rivière le Doubs, vit les vêtements de son maître sur le bord. Frappée de cet indice d'un suicide, elle retourne près de sa maîtresse en jetant des cris de désespoir. Elle avait recueilli les vêtements du malheureux, qu'elle jeta aux pieds de sa femme en lui apprenant ainsi l'horrible malheur qui la frappait.
De cette maison, l'alarme se répandit dans toute la commune, où le maire était fort aimé. Les habitants, après avoir donné essor à leur douleur, se réunirent sur le bord de l'eau pour y chercher au moins le corps de l'infortuné et lui rendre les derniers devoirs.
La malheureuse femme du maire était à leur tête, et se préparait à la cruelle émotion qu'il faudrait supporter en voyant le cadavre défiguré de son mari.
Elle entendait bien un léger sifflement dans un massif de saules et de roseaux qui était près d'elle, mais sans pouvoir y prêter attention.
Enfin, ce bruit d'appel fut tellement répété, qu'elle se trouva obligée de tourner la tête de ce côté.
Alors elle vit, sortant un peu des roseaux, son mari qui s'y tenait caché, nu comme Adam avant la feuille de vigne, et réclamait des vêtements afin de pouvoir reparaître dans le monde.
Le brave maire en se baignant dans l'eau fraîche du Doubs, s'était laissé aller au plaisir de la natation, et avait glissé le long de la berge fleurie, en oubliant quelque peu l'heure du dîner, puis, lorsqu'il avait voulu sortir, il n'avait plus trouvé, pour satisfaire à sa modestie, que les touffes de saule.
A sa vue, il y eut des cris de joie, des frottements de mains; tout le monde fut heureux, et le bon maire surtout, en voyant combien sa vie était précieuse à sa tendre femme et à ses chers administrés.
Journal du Dimanche, 1er août 1856.
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