Les élections de 1902.
Les élections battent leur plein au moment où j'écris ces lignes: quand vous les lirez, quelques-uns des résultats seront connus, mais c'est après le scrutin de ballottage seulement qu'on pourra prendre une vue d'ensemble du théâtre des opérations, faire le dénombrement des vainqueurs et des vaincus, affirmer l'échec ou le triomphe de telle ou telle politique.
Jamais, les forces en présence, ministérielles et antiministérielles, puisque aussi bien il n'y a plus que deux partis en France, n'allèrent à la bataille avec une ardeur, une fièvre de passion comparable à celles qui échauffent les candidats de 1902. On sent que la lutte a une importance exceptionnelle, que l'orientation définitive de notre pays dépendra de la tournure du scrutin et que le parti qui restera maître du terrain, que ce soit celui-ci ou celui-là, n'aura pour le parti adverse aucun de ces ménagements qui sont de règle après les batailles les plus chaudes. Le vœ victis recevra cette fois son application vigoureuse...
Et voilà où l'affaire Dreyfus a conduit notre malheureux pays! Les Français, divisés en deux camps, s'ils n'ont pas encore le couteau à la main pour se jeter les uns sur les autres, s'assassinent de sarcasmes, d'invectives et de calomnies. Les épithètes volent, acérées comme des flèches, et font plaie où elles frappent. Quel courage il n'a pas fallu à des hommes de lettres comme François Coppée et Jules Lemaître, qui avaient vécu jusque-là dans les régions sereines de l'art pur pour sortir de leur retraite et se lancer à corps perdus dans la campagne électorale. Moi-même, j'ai bien failli céder aux instances de certains amis et accepter de me porter candidat. Il ne s'en est fallu que d'un cheveu, comme on dit, que je ne sois en train, à l'heure où j'écris ces lignes, de jouer dans quelques bourgades du Léon, les Démosthène au petit pied. Le cheveu, en l'occurrence, fut un sénateur que je ne vous désignerai pas autrement, mais dont j'esquisserai le portrait quelque jour, car il mérite de passer à la postérité comme le type de ces arrivistes qui sacrifieraient à leurs ambitions personnelles le parti qui les a porté au Parlement et le programme sur lequel ils ont été nommés. Catholiques et libéraux la veille, on les voit qui évoluent doucement vers les rades lucratives de l'opportunisme, tout prêts, si la pêche aux portefeuilles n'y est pas encore ouverte, à pousser jusqu'aux fiords du radicalisme le plus sectaire. L'habilité qu'ils croient déployer dans ces manœuvres a quelque chose d'enfantin. Ils ne s'aperçoivent pas que leurs ruses sont cousues de fil blanc: traîtres à tous les partis, ils pensent jouer le corps électoral, et c'est le corps électoral à la fin qui se jouera d'eux et les renverra, Gros-Jean comme devant, à leurs chères études et à leurs cabinets d'ingénieurs.
Tiburge.
Les Veillées des chaumières, journal illustré paraissant le Mercredi et le Samedi, 3 mai 1902.
Et voilà où l'affaire Dreyfus a conduit notre malheureux pays! Les Français, divisés en deux camps, s'ils n'ont pas encore le couteau à la main pour se jeter les uns sur les autres, s'assassinent de sarcasmes, d'invectives et de calomnies. Les épithètes volent, acérées comme des flèches, et font plaie où elles frappent. Quel courage il n'a pas fallu à des hommes de lettres comme François Coppée et Jules Lemaître, qui avaient vécu jusque-là dans les régions sereines de l'art pur pour sortir de leur retraite et se lancer à corps perdus dans la campagne électorale. Moi-même, j'ai bien failli céder aux instances de certains amis et accepter de me porter candidat. Il ne s'en est fallu que d'un cheveu, comme on dit, que je ne sois en train, à l'heure où j'écris ces lignes, de jouer dans quelques bourgades du Léon, les Démosthène au petit pied. Le cheveu, en l'occurrence, fut un sénateur que je ne vous désignerai pas autrement, mais dont j'esquisserai le portrait quelque jour, car il mérite de passer à la postérité comme le type de ces arrivistes qui sacrifieraient à leurs ambitions personnelles le parti qui les a porté au Parlement et le programme sur lequel ils ont été nommés. Catholiques et libéraux la veille, on les voit qui évoluent doucement vers les rades lucratives de l'opportunisme, tout prêts, si la pêche aux portefeuilles n'y est pas encore ouverte, à pousser jusqu'aux fiords du radicalisme le plus sectaire. L'habilité qu'ils croient déployer dans ces manœuvres a quelque chose d'enfantin. Ils ne s'aperçoivent pas que leurs ruses sont cousues de fil blanc: traîtres à tous les partis, ils pensent jouer le corps électoral, et c'est le corps électoral à la fin qui se jouera d'eux et les renverra, Gros-Jean comme devant, à leurs chères études et à leurs cabinets d'ingénieurs.
Tiburge.
Les Veillées des chaumières, journal illustré paraissant le Mercredi et le Samedi, 3 mai 1902.
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