La maison aux 455 enfants.
Tout là-bas, derrière Montmartre, près de la porte Ornano*, dans l'étroite rue Belliard, qui court le long du chemin de fer de ceinture, s'élève, au milieu de pauvres bâtisses, une construction d'aspect imposant. Vieille de quelques mois à peine, sa façade est blanche encore, et l'on peut facilement lire, au-dessus du porche, cette inscription gravée dans la pierre: "Immeuble appartenant à la Société des Logements pour familles nombreuses."
Le but poursuivi par cette oeuvre philanthropique est, d'ailleurs, largement atteint, car, à l'heure actuelle, réparties dans les 101 logements que comprend la maison et dont le loyer annuel varie de 176 à 440 francs, vivent 600 personnes, dont 455 enfants.
Certes, l'on ne peut dire que toutes les conditions sociales sont représentées dans cette maison géante: point de gros financiers ni de membres du Jockey-Club, mais les chefs de famille exercent les professions les plus différentes: il y a six employés de chemins de fer, cinq facteurs, quatre douaniers, trois fumistes, deux maçons, un fossoyeur, et pas mal de braves gens sans travail. La seule formalité à remplir pour devenir locataire est de justifier d'une progéniture qui ne doit, en aucun cas, être inférieure à trois têtes, et n'a point de maximum; la moyenne cependant est de sept.
L'immeuble se compose essentiellement d'un grand corps de bâtiment à neuf étages, flanqué de deux ailes à sept étages; entre eux, une immense cour où les enfants ont le droit de jouer durant trois heures par jour; de chaque côté, un jardin rigoureusement interdit, donnant accès à des garages où sont remisées brouettes, voitures et bicyclettes.
Quatre escaliers à deux rampes (l'une à hauteur ordinaire pour les parents, l'autre, moins élevée, pour les bambins) conduisent aux appartements; chacun d'eux comporte quatre pièces: une cuisine, une salle à manger et deux chambres, d'une superficie moyenne de douze mètres; les fenêtres sont très larges, et un balcon, que le souci d'hygiène a fait orner, à ses extrémités d'une garde-manger et d'un coffre à linge sale, tout en jouissant d'un superbe panorama, de respirer l'air pur et vivifiant de la campagne voisine.
Au neuvième, une grande terrasse a été aménagée: chaque dimanche, à tour de rôle, vingt familles peuvent y passer une heure ou deux, et contempler le grouillement de la capitale, sans avoir à payer, comme les membres de l'Automobile-Club, une importante cotisation.
L'immeuble se compose essentiellement d'un grand corps de bâtiment à neuf étages, flanqué de deux ailes à sept étages; entre eux, une immense cour où les enfants ont le droit de jouer durant trois heures par jour; de chaque côté, un jardin rigoureusement interdit, donnant accès à des garages où sont remisées brouettes, voitures et bicyclettes.
La cour intérieure. (Sur chaque balcon, le garde-manger et le coffre au linge sale) |
Quatre escaliers à deux rampes (l'une à hauteur ordinaire pour les parents, l'autre, moins élevée, pour les bambins) conduisent aux appartements; chacun d'eux comporte quatre pièces: une cuisine, une salle à manger et deux chambres, d'une superficie moyenne de douze mètres; les fenêtres sont très larges, et un balcon, que le souci d'hygiène a fait orner, à ses extrémités d'une garde-manger et d'un coffre à linge sale, tout en jouissant d'un superbe panorama, de respirer l'air pur et vivifiant de la campagne voisine.
La salle à manger et la cuisine. |
Au neuvième, une grande terrasse a été aménagée: chaque dimanche, à tour de rôle, vingt familles peuvent y passer une heure ou deux, et contempler le grouillement de la capitale, sans avoir à payer, comme les membres de l'Automobile-Club, une importante cotisation.
La terrasse sur le toit de l'immeuble. |
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La surveillance de cette fourmilière n'est pas comme on le pense des plus faciles; des mesures spéciales, un règlement sévère ont dû être établis.
Le concierge ne distribue pas les lettres, et, franchement, cette grave faute professionnelle s'excuse. Interdiction absolue est faite également aux locataires de réclamer leur courrier; imaginez, en effet, avec l'admirable service des postes dont nous jouissons, avec nos sept ou huit distributions quotidiennes, le continuel défilé des 600 habitants de l'immeuble.
- M'sieur le concierge, maman m'envoie vous demander si y a pas de lettre pour nous.
Vraiment, le malheureux homme ne pourrait suffire, et, comme la Société ne veut pas attacher à sa caserne un vaguemestre, force lui a été d'imaginer un système plus pratique et moins absorbant: un grand tableau est pendu à l'extérieur de la loge; il y est inscrit le nom des destinataires, et ceux-là seuls ont le droit de réclamer, en passant, les plis à eux adressés; en possession de leur bien, ils doivent, en sortant, s'effacer eux-mêmes de la pancarte.
Ce vigilant gardien n'est pas seul, cependant; il a su s'attacher des auxiliaires précieux, dont les principaux représentants sont: un jeune homme d'une quinzaine d'années, dénommé "commis", employé modèle, aux appointements hebdomadaires de trois francs, et quelques petits bonshommes de quatre à six ans, promus aux fonctions délicates d'agents de la police secrète. Ceux-ci, lorsqu'un camarade, poussé par l'esprit du mal ou par la nature, tout simplement, commet une faute, courent à la loge, frappent aux carreaux, mettent les doigts de la main droite dans la bouche, signe conventionnel pour attirer l'attention, et conduisent le concierge sur les lieux du crime; le délit, le plus souvent est flagrant, et le châtiment, soyez-en sûrs, ne tarde pas à intervenir.
Le concierge. |
La nuit, la porte de l'immeuble reste toujours grande ouverte, et ses habitants ne sont astreints à aucune des obligations qui régissent d'ordinaire, les caravansérails parisiens: point de longues attentes sous la pluie, la main fébrilement accrochée à la sonnette, point de déclaration d'identité en passant devant la loge.
Le concierge, cependant, effectue deux rondes nocturnes, non pas à la recherche des intrus qui voudraient s'introduire dans l'un quelconque des 101 logements, mais, bien au contraire, en quête de ceux qui, pour des raisons faciles à concevoir, désireraient beaucoup sortir sans être vus.
Chaussés d'espadrilles silencieuses, tenant d'une main, un gourdin, de l'autre une lanterne, il monte les escaliers, déambule dans les couloirs, fouillent les coins, prête l'oreille au moindre bruit et se promène ainsi pendant une heure environ, temps minimum nécessaire pour le tour de "ses propriétés".
Les déménagements à la cloche de bois, grâce à ces précautions, ne sont pas fréquents; un seul est demeuré célèbre. Sur le palier d'un sixième, vers deux heures du matin, par une nuit très sombre, un locataire s'apprêtait à descendre les étages, portant un matelas sur l'épaule, lorsqu'il vit, en bas, poindre une toute petite lumière, qui, peu à peu, grandit.
L'homme attendit, impassible, puis, n'écoutant que son courage, résolut d'engager la lutte. La paillasse couvrant toute la largeur de l'escalier, il la prit à pleins bras, s'en fit un immense bouclier, et descendit en courant. Le choc, bientôt, se produisit, un bruit de verre cassé, des cris, des jurons, se firent entendre; il n'en continua pas moins sa course. Tout meurtri, le gardien de l'autorité arriva sous le porche plus vite qu'il n'eût voulu et se trouva face à face avec quatre complices. Résister était impossible; l'homme et le matelas, l'un portant l'autre, partirent pour une destination inconnue.
Les quittances de loyer, présentées aux locataires toutes les six semaines, sont, en général, payées régulièrement; mais cette petite opération a lieu, presque toujours, chez le marchand de vin du coin. C'est une habitude prise, qui s'explique, semble-t-il, par le désir légitime qu'ont ces braves gens de boire, de temps en temps, à la santé de leur propriétaire, pensée fort louable, somme toute, et qui, cependant, ne germe pas souvent dans le cerveau des habitants d'autres maisons, ayant, plus qu'eux, le moyen de la faire.
Beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, n'ont jamais déboursé un sou pour le terme et ignorent même les règlements de la maison à cet égard; des âmes charitables ont, une fois pour toutes, prévenu des Société de ne jamais présenter de quittance à tel ou tel ménage, versant d'avance, pour plusieurs années, le montant du loyer, comme d'autres fondent un lit dans un hôpital. A l'heure actuelle, vingt familles, grâce à ces dons généreux, sont assurées d'avoir toujours, malgré les grèves, la maladie et le chômage, un toit pour s'abriter, et une paillasse pour dormir.
Beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, n'ont jamais déboursé un sou pour le terme et ignorent même les règlements de la maison à cet égard; des âmes charitables ont, une fois pour toutes, prévenu des Société de ne jamais présenter de quittance à tel ou tel ménage, versant d'avance, pour plusieurs années, le montant du loyer, comme d'autres fondent un lit dans un hôpital. A l'heure actuelle, vingt familles, grâce à ces dons généreux, sont assurées d'avoir toujours, malgré les grèves, la maladie et le chômage, un toit pour s'abriter, et une paillasse pour dormir.
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Dans son ensemble, cette oeuvre philanthropique est très appréciée des ouvriers honnêtes et laborieux, chefs de familles nombreuses, qui ne peuvent, à cause de leur marmaille, trouver à se loger convenablement dans des maisons bien aérées, et d'un prix modique; les demandes d'admission affluent; on en compte aujourd'hui, plus de 1.000. Aussi, pour répondre, en partie au moins, à ces légitimes aspirations, vient-on de commencer les travaux de fondation de deux immeubles, plus grands encore, et qui seront situés dans les quartiers populeux: l'un à Grenelle; l'autre à La Villette.
Gabriel Rouy.
* Nota de Célestin Mira:
La porte Ornano est aujourd'hui la porte de Clignancourt, ancien petit village annexé à la ville de Paris en 1860.
Paris, porte Ornano, 1911. |
Paris, gare d'Ornano, mise en service en 1878, pour l'Exposition universelle.. Carte postale colorisée. |
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