Faites fortune en élevant des serins.
Mon Dimanche a indiqué le très curieux élevage de chats qui se pratique en Angleterre. Ce n'est point, du reste, le seul moyen d'enfoncer les célèbres 3.000 francs de rente en élevant des lapins.
Il se vend de l'autre côté du détroit, chaque année, environ 400.000 canaris, et le prix total de la vente atteint environ 2.500.000 livres sterling; près d'un quart sont de provenance allemande, les autres élevés dans le pays; certains spécimens atteignent les pris étonnants de 5.000 francs: couramment on vend des serins 100, 200 et 300 francs. On comprend qu'à ces taux, les heureux éleveurs ont vite maison de ville et maison de campagne.
Les modifications du serin.
Il est évident que le serin qui vaut plusieurs billets de banque n'est point le vulgaire serin venu des îles Canaries à
une époque plus ou moins lointaine. L'oiseau, du reste, s'est montré
très disposé aux modifications puisque, sans difficulté aucune, il
a troqué son plumage vert pour une belle livrée jaune que nous
connaissons tous.
Tout
d'abord à la suite d'une longue sélection, ses formes se sont
élancées, ses pattes se sont allongées, l'oiseau a pris des
favoris, un jabot frisé, un manteau de plumes contournées sur le
dos, il est devenu le serin hollandais.
D'autres
sélections ont produit des oiseaux bossus, des sujets comme pliés
en deux, leur tête s'est surmontée d'une ample couronne formée de
plume régulièrement disposées, cette couronne elle-même de jaune
est devenue noire, tranchant vivement avec le reste du plumage; dans
d'autres variétés, l'extrémité seule des ailes est devenue noire,
ou encore le corps tout entier de l'oiseau est semé de paillettes
noires, etc., etc. Tels sont les Glascow-Dun, les Scotch fancy, les London fancy, les Lizzards, les Yorkshire, les Norwich, tous oiseaux de haut prix qui, par leur forme, par leur couronne et la masse noire de certaines parties du corps, contrastent avec le serin primitif.
Les canaris rouges.
La nuance générale de tous ces oiseaux est le jaune, ce jaune particulier auquel ils ont donné leur nom. Leur valeur augmente à mesure que cette couleur prend une teinte plus ou moins rougeâtre. Les sujets de grand mérite sont d'un beau rouge orange. Les canaris ont bien voulu passer du vert au jaune, mais ils refusent absolument de prendre d'eux-mêmes la couleur rouge désirée; devant cet entêtement, il a fallu recourir à des moyens artificiels: la teinture se présentait évidemment à l'esprit des éleveurs, et certains fraudeurs du reste la pratiquent. mais elle offrait divers inconvénients; l'on a découvert enfin le moyen d'arriver au but proposé en nourrissant les oiseaux avec des aliments qui influent sur la coloration du plumage, c'est en somme une sorte de teinture intérieure.
Ces substances colorantes sont nombreuses et on a le choix entre la racine d'orcanête, le clou de girofle, le cachou, l'écorce de quinquina, le sang-dragon, le bois de campêche, etc.; mais les résultats les plus prompts sont obtenus avec le poivre de Cayenne.
Nos lecteurs qui voudront essayer de faire passer leurs canaris du jaune au rouge obtiendront des résultats surprenants en employant la formule ci-dessous:
Poivre de Cayenne...... 4 parties.
Poivre ordinaire..........2 -
Bois de Santal..............2 -
Sucre ou mélasse.........8 -
Cochenille en poudre...1 -
Mélange que l'on humecte avec une infusion alcoolique de 2 parties de safran dans 20 parties d'eau-de-vie et que l'on additionne dans la pâtée des oiseaux dans la proportion d'un dixième.
Ce traitement n'est efficace que pendant la période de la mue, il n'agit que sur les plumes qui poussent et peut être supprimé lorsque tout le plumage a été remplacé. Une pincée de carbonate de fer mélangée à la pâtée fixe la couleur obtenue et en augmente l'intensité.
Il est facile de comprendre que, soumis pendant plusieurs générations à une sélection constante, à la consanguinité, à une alimentation plus ou moins hors nature, les canaris aient perdus de leur rusticité habituelle. Aussi l'élevage n'est plus aussi aisé; il demande au contraire de nombreux soins: les pontes deviennent irrégulières, les jeunes éclosent difficilement, sont fort délicats, demandent un régime spécial, la mortalité est grande. Néanmoins les éleveurs expérimentés savent amener à bien un nombre assez considérable d'oiseaux de valeur.
Les serins chanteurs.
On s'inquiète peu de la voix des canaris dont nous venons de nous occuper, leur mérite réside simplement dans leur forme et leur couleur. Il n'en est point de même pour d'autres variétés d'origine allemande en général où le chant est la seule qualité recherchée.
De même qu'au point de vue de la forme et de la couleur on a cherché à rendre les canaris aussi peu canaris que possible, de même on veut que les variétés musiciennes laissent de côté le gazouillis propre à leur espèce pour imiter le chant d'autres oiseaux.
Le serin, bon garçon, se prête aussi à cette fantaisie pourvu qu'on sache bien lui enseigner ce que l'on désire de lui. Il faut, en effet, un véritable art pour apprendre aux canaris ces roulades entremêlées de longs sifflements et de trilles de rossignol; ces "Heuhrolle" au son douloureux émis dans le son mineur, ces "Koller" comparables au murmure des eaux, ces "Glûchroll" analogues au chant du rossignol mais avec des notes plus filées encore; chacune de ces modulations, de ces roulades étant désignées par les amateurs sous un nom spécial.
Cette éducation nécessite l'emploi d'un oiseau déjà instruit, d'un professeur. On prend les sujets (les mâles seulement) à l'âge de trois mois et l'on met chaque oiseau seul dans une petite cage que l'on maintient dans l'obscurité à l'aide d'un rideau de toile, afin qu'il n'ait point de distraction; dans la même pièce est également installé le professeur. Ce dernier apprend à ses élèves les roulades les plus impeccables, ainsi que les notions et l'harmonie du chant. Mais l'éleveur contribue à perfectionner le chant en venant lui-même dans la salle, plusieurs fois par jour, jouer du flageolet ou d'une flûte spéciale, dite flûte à eau; il faut près de six mois pour obtenir un oiseau parfait.
L'industrie des oiseaux chanteurs dans le Harty.
C'est principalement dans le Harty et dans le Tyrol que se pratiquent l'élevage et l'éducation des serins chanteurs. La petite ville d'Andreaslery est le principal centre de cette industrie. Les habitants, des mineurs pour la plupart s'occupent presque tous de cet élevage; ils se transmettent, de père en fils, les anciennes traditions permettant de transformer en trilles et roulades savantes le chant primitif du canari.
Le Harty élève chaque année 250.000 serins environ dont 200.000 vont en Amérique.
H.- L.- Alph. Blanchon.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 juillet 1908.
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