Hôtel des Invalides.
Les romains et les grecs, pour qui la guerre était le premier des besoins, et la gloire des armes la plus chère des illusions; ces peuples, reconnus par la postérité les premiers peuples du monde, et qui servent encore aujourd'hui d'exemple aux hommes, soit qu'ils se destinent à l'art périlleux des combats, ou à l'art difficile de l'éloquence; ces Romains et ces Grecs, qui voulaient que tout citoyen fût soldat en naissant, qui n'accordaient de dignités qu'à condition d'avoir servi la patrie, ne songèrent pas pourtant à procurer un asile à leurs guerriers, lorsque, blessés ou infirmes, ils étaient forcés de déposer les armes.
On voyait le soldat romain, après une campagne glorieuse, traîner sa misère dans des champs incultes qu'on livrait à ses soins pour toute récompense; souvent, ne pouvant parvenir à rendre fécond le coin de terre qu'il labourait à grand'peine, forcé de l'abandonner, il venait au sein des villes opulentes qu'il avait sauvés du pillage mendier le pain de la pitié.
Nos rois français, plus humains que les vainqueurs du monde, cherchèrent dans tous les siècles à offrir un refuge à la valeur malheureuse; mais longtemps des difficultés insurmontables se placèrent entre le bienfaiteur et le bienfait. Pour réussir dans la grande pensée qui s'est développée au XVIIe siècle, il fallait des trésors immenses.
Les rois du moyen âge épuisaient facilement leurs ressources pécuniaires. A cette époque les abbayes étaient les seules habitations spacieuses. Ces monuments auraient pu recevoir les vieux soldats, mais ils appartenait à des hommes qui ne devaient aucun compte de leurs richesses au monarque; d'ailleurs les abbayes étaient encombrées. Cependant Charles IX, usant d'un droit accordé à la couronne qui permettait aux rois de disposer d'un nombre de lits dans chaque monastère, ordonna que ces lits seraient occupés par des soldats, et que les soldats seraient nourris et entretenus, jusqu'à leur mort, aux frais des communautés. Les religieux n'obéirent pas sans résistance à cet ordre, et forcés, après mains débats, d'y souscrire, ils traitèrent leurs hôtes si mal, que ces soldats demandèrent au roi la grâce de sortir de ces retraites qui, en les sauvant de la misère, leur donnait un malheur plus grand peut être, celui de devoir quelque chose à des ennemis.
Du reste, on peut concevoir que pour des religieux, hommes instruits, civilisés, et, par état ou par goût, forcés d'afficher des mœurs pures, ce n'était pas sans danger, et surtout sans répugnance, qu'ils se trouvaient rapprochés intimement d'homme la plupart sans mœurs et sans éducation. Cette association, pour ainsi dire monstrueuse, choqua l'autorité même, qui ne demanda plus à chaque abbaye qu'une pension proportionnée à son revenu. Cela établi, la masse était distribuée à chaque invalide; mais on s'aperçut bientôt que cette mesure était défectueuse; ces pensions étaient trop modiques pour satisfaire à leurs besoins. Quelques-uns eurent la pensée de vendre le fonds de leur revenu annuel, espérant mourir à temps; tout vieux qu'ils étaient, ils vivaient plus que le petit trésor qu'ils s'étaient procuré, et tombaient alors, au déclin de leur vie, dans la plus horrible misère.
On ne fut pas étonné de voir Henri IV enfin s'occuper sérieusement de la destinée de ces hommes qui, pour sortir des rangs les plus obscurs, ne sont pas moins utiles aux empires que ceux qui, suivant la même carrière, ont trouvé dans leur berceau l'épée de leur père. Henri IV, qui venait dans la chaumière du pauvre le consoler de sa misère, ne pouvait souffrir que le fils du pauvre, après l'avoir servi, fût misérable à son tour. Ce bon roi leur destina les maisons communes les plus vastes qu'on put se procurer à paris et dans plusieurs villes du royaume; mais les ressources manquaient pour faire davantage, et le roi mourut sans avoir amélioré de beaucoup le sort des invalides. Louis XIII fit bâtir à Bicêtre pour augmenter les moyens de leur donner asile; mais toutes ces institutions étaient bien imparfaites: à Bicêtre, les soldats confondus avec les pauvres et les malades, semblaient plutôt des vagabonds qu'on retenait enfermés, que de braves défenseurs qu'on se plaisait à protéger. Enfin une ère nouvelle allait s'élever et donner à la France une allure de grandeur qui lui était encore inconnue.
Un enfant assis sur le trône, voulant régner lui-même, appela à son aide tout ce que son pays comptait d'illustre, et, s'éclairant de toutes les lumières qui brillaient autour de lui, il sut ordonner ce qu'il fallait qu'on fît pour rendre son règne digne du nom de grand siècle, qu'on s'efforcerait en vain de lui ravir.
Pour un prince absolu, il n'est pas d'insurmontables obstacles, et, puisant, dans toutes les fortunes, l'or dont il a besoin pour se faire grand, il n'a pas de dépenses qui excèdent ses moyens.
C'est ainsi que sous Louis XIV s'élevèrent, pour un caprice, Versailles et Marly; qu'ici des marais fangeux se changeaient en terre promise, et que la Seine, étonnée d'être dérangée dans son cours, gravissait les collines escarpées pour aller arroser la demeure du roi. Les hommes d'Etat de cette époque étaient plus ambitieux de suivre le génie entreprenant de leur maître, que de l'arrêter dans les bornes de la raison, et lorsque ce maître, placé sur un terrain vaste et nu, leur ordonna de construire un asile pour ses ses soldats, ce fut un palais qui s'y éleva. Or, cette demeure du soldat blessé est un véritable palais.
Sur une façade de 600 pieds sont percées cent trente fenêtres qui laissent circuler librement un air pur dans de vastes dortoirs; deux ailes immenses se développent de chaque côté, et une seconde façade se présente au fond d'une cour régulière et carrée où près de quatre mille hommes peuvent être rangés; les bâtiments qui entourent cette place sont précédés de galeries qui servent de promenades aux invalides lorsque le temps les prive du beau jardin qui entourent l'hôtel.
A part la façade et les bâtiments de cette grande cour d'honneur, il y a onze corps de bâtiments mitoyens qui ont chacun leurs cours et leurs jardins, et tous ces bâtiments séparés ont leur issue dans la cour principale. Le cadran régulateur est placé sur la seconde façade, au-dessus de la porte de l'église, et surmonté de son magnifique dôme.
Chaque bâtiment a sa destination particulière; ils servent aux dortoirs, aux réfectoires, aux cuisines, aux lingeries, aux approvisionnements de toute espèce. Deux cuisines et trente cuisiniers fournissent les réfectoires où quatre mille personnes trouvent une nourriture appétissante et abondante. Là, comme à l'armée, l'officier est distingué du soldat, et le soldat, quoique séparé de l'officier, est traité avec égard et prévenance; la vaisselle d'argent brille sur la table de l'officier, et sur la table du soldat un étain blanc et poli étale, à défaut de richesse, le luxe de la propreté.
Les tables sont rangées dans d'immenses galeries; sur chacune d'elles sont placés douze couverts; deux fois la semaine on change les serviettes et les nappes, qui sont de toile fine et blanche. Ces braves peuvent ensemble, à ces banquets de famille, boire à la mémoire d'une belle journée, car ils ont tous dans leur verre ce qu'ils aiment le mieux après leurs souvenirs, du bon vin, et assez pour qu'il leur en reste quelques gouttes au dessert. Dans l'hiver, ce palais, c'est à dire cette ville est chauffée toute entière beaucoup mieux que ne le sont la plupart des maigres appartements de Paris. Les dortoirs des soldats comptent cinquante lits, et ceux des officiers six ou quatre; très peu ont des chambres à part. Tous ces logements sont cirés, frottés et d'une propreté merveilleuse. Ce qui commande l'admiration (et l'on aime à reconnaître que c'est presque de même dans tous les établissements publics), c'est la tenue de l'infirmerie; vingt-huit sœurs de la Charité sont dévouées aux malades des Invalides, et là elles donnent leurs soins avec ce zèle religieux qui distingue ces femmes recommandables partout où elles sont appelées à soulager la souffrance. Le corps de bâtiment qu'elle habitent est complètement séparé des autres; elle y ont tout ce qu'il leur est nécessaire, leur cuisine, leur laboratoire, leur lingerie, et ces femmes n'ont d'autres rapports avec l'hôtel que pour ce qui concerne leurs occupations; elles ont une voiture pour faire les courses nécessaires à l'établissement de l'infirmerie. Lorsque l'une d'elles veut se marier, elle obtient son renvoi et on la remplace à l'instant.
Les officiers supérieurs sont logés à l'hôtel; le gouverneur est un objet de respect pour les nombreux habitants de ce palais: le tambour bat à la sortie et à la rentrée du gouverneur. Il a son hôtel séparé, son jardin, ses gens, sa maison. Tous les états utiles se trouvent réunis à l'hôtel, maçons, menuisiers, tailleurs, etc., etc.; puis les médecins, les chirurgiens, les officiers de santé, tout est là pour secourir, pour subvenir aux besoins de l'établissement.
En parcourant les vastes galeries, les cours spacieuses, les souterrains immenses, tout l'édifice enfin, quand on admire les détails de sa superbe architecture, les sculptures répandues avec profusion sur ses murailles, les canaux percés de toutes parts pour répandre l'eau en abondance dans toutes les parties de l'hôtel, et ces peintures, ces arabesques qui décorent la plupart de ces superbes galeries, comment concevoir que Louis XIV, qui y posa la première pierre en 1670, put en 1674 y venir recevoir les témoignages de la reconnaissance des hôtes qui l'habitaient. Oui, en moins de quatre années, les soldats répandus dans la France çà et là, sans ordre ni discipline, furent appelés et réunis. Ils trouvèrent élevé pour eux ce palais, qui devait protéger dans tous les siècles les défenseurs de la patrie.
Tous les artistes se disputaient l'honneur d'aider le roi dans sa pensée sublime; aussi non-seulement l'Hôtel des Invalides est le plus philanthropique et le plus mémorable des établissements, mais il est encore le plus beau monument que la France et l'Europe possèdent.
A peine une année s'était-elle écoulée, qu'on voulut élever un autre monument digne de celui qui existait; à la chapelle provisoire on substitua une église plus belle que toutes les églises. La construction de ce magnifique temple dura trente ans.
La coupole s'éleva avec élégance à 300 pieds du sol; quarante colonnes la décorèrent. A l'intérieur elle fut ornée des peintures des plus célèbres artistes du règne de Louis XIV, et son pavé offrit la variété des marbres mosaïques de l'Italie: placée derrière le maître-autel, cette coupole semble une gloire pour monter vers Dieu. L'église est une vaste et longue galerie coupée en trois parties; la chapelle de la Vierge, toute de marbre blanc est d'un effet simple qui contraste heureusement avec la richesse du maître-autel.
Cette enceinte religieuse, où vient prier le vieux soldat, était autrefois encombrée de drapeaux; une défaite pensa les ravir à la France; mais les gardiens de ces trophées glorieux les mirent eux-mêmes en cendre, plutôt que de les rendre aux mains dont ils les avaient arrachés. Ainsi un moment ces murailles se trouvèrent veuves des insignes de gloire, mais il ne fallut que peu de temps aux Français pour leur rendre un nouvel éclat. Aujourd'hui l'oriflamme de la victoire y est encore attaché: cent drapeaux ont repris la place de ceux que le feu à dévorés devant les soldats attristés.
Le dôme des Invalides se voit des environs de Paris; le villageois, en tournant les yeux vers la capitale, peut, en les fixant sur les Invalides, espérer une vieillesse heureuse si le sort l'appelle au combat. Si la vue du monument lui donne du courage, que serait-ce donc s'il pénétrait dans les détails de sa future retraite, s'il voyait les soins dont on entoure sa vieillesse et l'infirmité, les soulagements qu'on apporte à la souffrance et l'abondance qui entretient la santé!
Ces braves, accoutumés à une vie si active, peuvent encore s'occuper là, soit qu'ils travaillent de l'état qu'ils ont appris dans leur jeunesse, ou qu'ils s'exercent dans l'art de l'agriculture sur le petit terrain qu'ils appellent leur jardin. Ceux à qui l'éducation a donné l'amour d'un travail intellectuel, trouvent des ressources dans une magnifique bibliothèque. Les invalides doivent à Napoléon ce dernier bienfait, ainsi que plusieurs améliorations dans les détails de la vie du soldat. Il jouit de plus de liberté que dans l'origine de l'institution.
Les invalides peuvent contracter les liens du mariage, et tous les jours ils peuvent aller voir leur femme; mais la règle de la maison veut qu'ils soient rentrés avant dix heures du soir.
Quelques fils d'invalides sont élevés dans l'hôtel; ils y reçoivent une éducation propre à en faire de bons ouvriers et de braves soldats. Le nombre a été fixé par Louis XIV à dix-huit, et ce nombre n'a pas varié depuis. C'est ordinairement à ceux des invalides qui se conduisent le mieux que l'administration accorde le droit d'élever leurs enfants.
Dans un salon de l'hôtel, orné des portraits des maréchaux morts, se tient, une ou plusieurs fois par mois, le conseil présidé par le gouverneur. Sa mission est de maintenir les droits de cet établissement, régi encore aujourd'hui par les règlements que décidèrent les ministres du roi son fondateur.
De toutes les institutions françaises qui méritent la reconnaissance de la nation, il n'en est pas au-dessus de l'Hôtel royal des Invalides, objet d'admiration de tous les étrangers, même des Anglais qui ont voulu l'imiter, et qui sont forcés, malgré eux, de convenir ici de notre supériorité.
Aglaé Comte.
Le Magasin universel, mai 1837.
On voyait le soldat romain, après une campagne glorieuse, traîner sa misère dans des champs incultes qu'on livrait à ses soins pour toute récompense; souvent, ne pouvant parvenir à rendre fécond le coin de terre qu'il labourait à grand'peine, forcé de l'abandonner, il venait au sein des villes opulentes qu'il avait sauvés du pillage mendier le pain de la pitié.
Nos rois français, plus humains que les vainqueurs du monde, cherchèrent dans tous les siècles à offrir un refuge à la valeur malheureuse; mais longtemps des difficultés insurmontables se placèrent entre le bienfaiteur et le bienfait. Pour réussir dans la grande pensée qui s'est développée au XVIIe siècle, il fallait des trésors immenses.
Les rois du moyen âge épuisaient facilement leurs ressources pécuniaires. A cette époque les abbayes étaient les seules habitations spacieuses. Ces monuments auraient pu recevoir les vieux soldats, mais ils appartenait à des hommes qui ne devaient aucun compte de leurs richesses au monarque; d'ailleurs les abbayes étaient encombrées. Cependant Charles IX, usant d'un droit accordé à la couronne qui permettait aux rois de disposer d'un nombre de lits dans chaque monastère, ordonna que ces lits seraient occupés par des soldats, et que les soldats seraient nourris et entretenus, jusqu'à leur mort, aux frais des communautés. Les religieux n'obéirent pas sans résistance à cet ordre, et forcés, après mains débats, d'y souscrire, ils traitèrent leurs hôtes si mal, que ces soldats demandèrent au roi la grâce de sortir de ces retraites qui, en les sauvant de la misère, leur donnait un malheur plus grand peut être, celui de devoir quelque chose à des ennemis.
Du reste, on peut concevoir que pour des religieux, hommes instruits, civilisés, et, par état ou par goût, forcés d'afficher des mœurs pures, ce n'était pas sans danger, et surtout sans répugnance, qu'ils se trouvaient rapprochés intimement d'homme la plupart sans mœurs et sans éducation. Cette association, pour ainsi dire monstrueuse, choqua l'autorité même, qui ne demanda plus à chaque abbaye qu'une pension proportionnée à son revenu. Cela établi, la masse était distribuée à chaque invalide; mais on s'aperçut bientôt que cette mesure était défectueuse; ces pensions étaient trop modiques pour satisfaire à leurs besoins. Quelques-uns eurent la pensée de vendre le fonds de leur revenu annuel, espérant mourir à temps; tout vieux qu'ils étaient, ils vivaient plus que le petit trésor qu'ils s'étaient procuré, et tombaient alors, au déclin de leur vie, dans la plus horrible misère.
On ne fut pas étonné de voir Henri IV enfin s'occuper sérieusement de la destinée de ces hommes qui, pour sortir des rangs les plus obscurs, ne sont pas moins utiles aux empires que ceux qui, suivant la même carrière, ont trouvé dans leur berceau l'épée de leur père. Henri IV, qui venait dans la chaumière du pauvre le consoler de sa misère, ne pouvait souffrir que le fils du pauvre, après l'avoir servi, fût misérable à son tour. Ce bon roi leur destina les maisons communes les plus vastes qu'on put se procurer à paris et dans plusieurs villes du royaume; mais les ressources manquaient pour faire davantage, et le roi mourut sans avoir amélioré de beaucoup le sort des invalides. Louis XIII fit bâtir à Bicêtre pour augmenter les moyens de leur donner asile; mais toutes ces institutions étaient bien imparfaites: à Bicêtre, les soldats confondus avec les pauvres et les malades, semblaient plutôt des vagabonds qu'on retenait enfermés, que de braves défenseurs qu'on se plaisait à protéger. Enfin une ère nouvelle allait s'élever et donner à la France une allure de grandeur qui lui était encore inconnue.
Un enfant assis sur le trône, voulant régner lui-même, appela à son aide tout ce que son pays comptait d'illustre, et, s'éclairant de toutes les lumières qui brillaient autour de lui, il sut ordonner ce qu'il fallait qu'on fît pour rendre son règne digne du nom de grand siècle, qu'on s'efforcerait en vain de lui ravir.
Pour un prince absolu, il n'est pas d'insurmontables obstacles, et, puisant, dans toutes les fortunes, l'or dont il a besoin pour se faire grand, il n'a pas de dépenses qui excèdent ses moyens.
C'est ainsi que sous Louis XIV s'élevèrent, pour un caprice, Versailles et Marly; qu'ici des marais fangeux se changeaient en terre promise, et que la Seine, étonnée d'être dérangée dans son cours, gravissait les collines escarpées pour aller arroser la demeure du roi. Les hommes d'Etat de cette époque étaient plus ambitieux de suivre le génie entreprenant de leur maître, que de l'arrêter dans les bornes de la raison, et lorsque ce maître, placé sur un terrain vaste et nu, leur ordonna de construire un asile pour ses ses soldats, ce fut un palais qui s'y éleva. Or, cette demeure du soldat blessé est un véritable palais.
Sur une façade de 600 pieds sont percées cent trente fenêtres qui laissent circuler librement un air pur dans de vastes dortoirs; deux ailes immenses se développent de chaque côté, et une seconde façade se présente au fond d'une cour régulière et carrée où près de quatre mille hommes peuvent être rangés; les bâtiments qui entourent cette place sont précédés de galeries qui servent de promenades aux invalides lorsque le temps les prive du beau jardin qui entourent l'hôtel.
A part la façade et les bâtiments de cette grande cour d'honneur, il y a onze corps de bâtiments mitoyens qui ont chacun leurs cours et leurs jardins, et tous ces bâtiments séparés ont leur issue dans la cour principale. Le cadran régulateur est placé sur la seconde façade, au-dessus de la porte de l'église, et surmonté de son magnifique dôme.
Chaque bâtiment a sa destination particulière; ils servent aux dortoirs, aux réfectoires, aux cuisines, aux lingeries, aux approvisionnements de toute espèce. Deux cuisines et trente cuisiniers fournissent les réfectoires où quatre mille personnes trouvent une nourriture appétissante et abondante. Là, comme à l'armée, l'officier est distingué du soldat, et le soldat, quoique séparé de l'officier, est traité avec égard et prévenance; la vaisselle d'argent brille sur la table de l'officier, et sur la table du soldat un étain blanc et poli étale, à défaut de richesse, le luxe de la propreté.
Les tables sont rangées dans d'immenses galeries; sur chacune d'elles sont placés douze couverts; deux fois la semaine on change les serviettes et les nappes, qui sont de toile fine et blanche. Ces braves peuvent ensemble, à ces banquets de famille, boire à la mémoire d'une belle journée, car ils ont tous dans leur verre ce qu'ils aiment le mieux après leurs souvenirs, du bon vin, et assez pour qu'il leur en reste quelques gouttes au dessert. Dans l'hiver, ce palais, c'est à dire cette ville est chauffée toute entière beaucoup mieux que ne le sont la plupart des maigres appartements de Paris. Les dortoirs des soldats comptent cinquante lits, et ceux des officiers six ou quatre; très peu ont des chambres à part. Tous ces logements sont cirés, frottés et d'une propreté merveilleuse. Ce qui commande l'admiration (et l'on aime à reconnaître que c'est presque de même dans tous les établissements publics), c'est la tenue de l'infirmerie; vingt-huit sœurs de la Charité sont dévouées aux malades des Invalides, et là elles donnent leurs soins avec ce zèle religieux qui distingue ces femmes recommandables partout où elles sont appelées à soulager la souffrance. Le corps de bâtiment qu'elle habitent est complètement séparé des autres; elle y ont tout ce qu'il leur est nécessaire, leur cuisine, leur laboratoire, leur lingerie, et ces femmes n'ont d'autres rapports avec l'hôtel que pour ce qui concerne leurs occupations; elles ont une voiture pour faire les courses nécessaires à l'établissement de l'infirmerie. Lorsque l'une d'elles veut se marier, elle obtient son renvoi et on la remplace à l'instant.
Les officiers supérieurs sont logés à l'hôtel; le gouverneur est un objet de respect pour les nombreux habitants de ce palais: le tambour bat à la sortie et à la rentrée du gouverneur. Il a son hôtel séparé, son jardin, ses gens, sa maison. Tous les états utiles se trouvent réunis à l'hôtel, maçons, menuisiers, tailleurs, etc., etc.; puis les médecins, les chirurgiens, les officiers de santé, tout est là pour secourir, pour subvenir aux besoins de l'établissement.
En parcourant les vastes galeries, les cours spacieuses, les souterrains immenses, tout l'édifice enfin, quand on admire les détails de sa superbe architecture, les sculptures répandues avec profusion sur ses murailles, les canaux percés de toutes parts pour répandre l'eau en abondance dans toutes les parties de l'hôtel, et ces peintures, ces arabesques qui décorent la plupart de ces superbes galeries, comment concevoir que Louis XIV, qui y posa la première pierre en 1670, put en 1674 y venir recevoir les témoignages de la reconnaissance des hôtes qui l'habitaient. Oui, en moins de quatre années, les soldats répandus dans la France çà et là, sans ordre ni discipline, furent appelés et réunis. Ils trouvèrent élevé pour eux ce palais, qui devait protéger dans tous les siècles les défenseurs de la patrie.
Tous les artistes se disputaient l'honneur d'aider le roi dans sa pensée sublime; aussi non-seulement l'Hôtel des Invalides est le plus philanthropique et le plus mémorable des établissements, mais il est encore le plus beau monument que la France et l'Europe possèdent.
A peine une année s'était-elle écoulée, qu'on voulut élever un autre monument digne de celui qui existait; à la chapelle provisoire on substitua une église plus belle que toutes les églises. La construction de ce magnifique temple dura trente ans.
La coupole s'éleva avec élégance à 300 pieds du sol; quarante colonnes la décorèrent. A l'intérieur elle fut ornée des peintures des plus célèbres artistes du règne de Louis XIV, et son pavé offrit la variété des marbres mosaïques de l'Italie: placée derrière le maître-autel, cette coupole semble une gloire pour monter vers Dieu. L'église est une vaste et longue galerie coupée en trois parties; la chapelle de la Vierge, toute de marbre blanc est d'un effet simple qui contraste heureusement avec la richesse du maître-autel.
Cette enceinte religieuse, où vient prier le vieux soldat, était autrefois encombrée de drapeaux; une défaite pensa les ravir à la France; mais les gardiens de ces trophées glorieux les mirent eux-mêmes en cendre, plutôt que de les rendre aux mains dont ils les avaient arrachés. Ainsi un moment ces murailles se trouvèrent veuves des insignes de gloire, mais il ne fallut que peu de temps aux Français pour leur rendre un nouvel éclat. Aujourd'hui l'oriflamme de la victoire y est encore attaché: cent drapeaux ont repris la place de ceux que le feu à dévorés devant les soldats attristés.
Le dôme des Invalides se voit des environs de Paris; le villageois, en tournant les yeux vers la capitale, peut, en les fixant sur les Invalides, espérer une vieillesse heureuse si le sort l'appelle au combat. Si la vue du monument lui donne du courage, que serait-ce donc s'il pénétrait dans les détails de sa future retraite, s'il voyait les soins dont on entoure sa vieillesse et l'infirmité, les soulagements qu'on apporte à la souffrance et l'abondance qui entretient la santé!
Ces braves, accoutumés à une vie si active, peuvent encore s'occuper là, soit qu'ils travaillent de l'état qu'ils ont appris dans leur jeunesse, ou qu'ils s'exercent dans l'art de l'agriculture sur le petit terrain qu'ils appellent leur jardin. Ceux à qui l'éducation a donné l'amour d'un travail intellectuel, trouvent des ressources dans une magnifique bibliothèque. Les invalides doivent à Napoléon ce dernier bienfait, ainsi que plusieurs améliorations dans les détails de la vie du soldat. Il jouit de plus de liberté que dans l'origine de l'institution.
Les invalides peuvent contracter les liens du mariage, et tous les jours ils peuvent aller voir leur femme; mais la règle de la maison veut qu'ils soient rentrés avant dix heures du soir.
Quelques fils d'invalides sont élevés dans l'hôtel; ils y reçoivent une éducation propre à en faire de bons ouvriers et de braves soldats. Le nombre a été fixé par Louis XIV à dix-huit, et ce nombre n'a pas varié depuis. C'est ordinairement à ceux des invalides qui se conduisent le mieux que l'administration accorde le droit d'élever leurs enfants.
Dans un salon de l'hôtel, orné des portraits des maréchaux morts, se tient, une ou plusieurs fois par mois, le conseil présidé par le gouverneur. Sa mission est de maintenir les droits de cet établissement, régi encore aujourd'hui par les règlements que décidèrent les ministres du roi son fondateur.
De toutes les institutions françaises qui méritent la reconnaissance de la nation, il n'en est pas au-dessus de l'Hôtel royal des Invalides, objet d'admiration de tous les étrangers, même des Anglais qui ont voulu l'imiter, et qui sont forcés, malgré eux, de convenir ici de notre supériorité.
Aglaé Comte.
Le Magasin universel, mai 1837.
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