Le député Millerand.
M. Millerand est né à Paris, voici quarante-neuf ans passés. Il fit ses études au lycée de Vanves, puis au lycée Henri IV, suivit les cours à la faculté de Droit et se fit inscrire au barreau en 1881. Il y conquit rapidement sa réputation.
Dès l'année 1882, une plaidoirie en faveur des mineurs de Montceau-les-Mines le mettait en lumière et il devenait secrétaire de la Conférence des Avocats.
Encouragé par ces premiers succès, M. Millerand se lança à fond de train dans la politique et réussit, en 1884, à déloger de son poste le conseiller municipal conservateur de la Muette. Un des plus aristocratiques quartiers de Paris gagné au socialisme, c'était une victoire dont cet avocat de vingt-cinq ans pouvait tirer quelque vanité.
Il ne se reposa pas sur ses lauriers. Dès l'année suivante, il entrait au Palais-Bourbon, où il siégea bientôt à l'extrême gauche. La propagande boulangiste n'eut pas d'adversaire plus décidé que lui. Il fonda, pour mieux combattre le général Chromo, comme on appelait Boulanger, le journal La voix, où il n'épargna pas non plus les républicains trop tièdes à son gré: Jules ferry et ses amis.
Depuis cette époque, il n'a pas cessé d'appartenir à la Chambre.
L'une des premières organisations politiques du parti socialiste fut l'oeuvre de M. Millerand qui sut grouper les bonnes volontés isolées et faire taire, au moins pour un temps, les rivalités. L'Union socialiste était le nom de ce groupe.
La Petite République, dont M. Millerand resta le rédacteur en chef jusqu'en 1896, fut son organe. Quant à son programme, il était bien ambitieux, bien complexe et bien touffu; si complexe et si touffu, que chacun des membres de l'Union socialiste l'eût probablement exposé d'une manière différente.
Le programme du chef du parti pourrait être défini ainsi: La Révolution petite secousse. Révolutionnaire, il l'est, affirme M. Millerand, parce qu'il aspire à la suppression du salariat, ce qui constituerait une révolution dans nos mœurs; mais il répudie tous moyens révolutionnaires. Il désire que le régime nouveau s'installe pacifiquement et légalement. Il s'efforcera d'arracher au pouvoir des concessions minces, mais continuelles. Quand il aura part lui-même au gouvernement (ce qui lui est arrivé en 1899, grâce à Waldeck-Rousseau qui le nomma Ministre du commerce) il ne prendra que des mesures prudentes, jamais brutales. La Révolution dont il s'est fait le champion n'est pas une Gorgone armée d'un glaive; elle n'élève ni échafauds ni barricades, c'est une vieille demoiselle qui ne voyage qu'en omnibus.
Après l'avoir conduit au pouvoir, ses principes ont valu à M. Millerand d'être exclu du parti socialiste. Voilà comment l'homme qui, en 1896, prononçait à Saint-Mandé un discours resté célèbre où il faisait l'apologie du collectivisme, est devenu en quelques années, un retardataire, sinon un renégat.
Rien de meilleur qu'un bon portefeuille de ministre et un solide traitement de 60.000 francs pour changer les idées d'un homme.
Le plus terrible révolutionnaire, quand il s'est hissé au pouvoir, considère la Société d'un œil apaisé et estime que, mon Dieu, les choses finissent par s'arranger et que tout en ce bas monde n'est pas si mauvais qu'on le disait. Il suffit d'ailleurs de s'entendre sur le sens du mot "Révolution".
Le petit avocat qui d'une situation très modeste, se fait porter au sommet des honneurs et récolte gloire et profits n'a-t-il pas accompli sa petite "Révolution" à son bénéfice?
Que chacun en fasse autant et voilà résolue la question sociale.
C'est simple, commode et l'on peut s'étonner que les ouvriers qui firent la fortune politique de M. Millerand n'aient pas trouvé à leur goût ce raisonnement logique.
Les invectives dont M. Millerand a été l'objet ne l'ont point ému. Il a sans rancune passé la main à d'autres qui restent les chefs du parti, jusqu'au jour où leurs disciples à leur tour les accuseront de n'être que d'infâmes bourgeois. Ainsi vont le monde et la politique.
C'est dans l'opposition que les hommes d'Etat apprennent leur métier, et c'est contre elle qu'ils l'exercent.
M. Millerand a accepté de faire partie d'un ministère non socialiste.
Il a reçu des décorations.
Il a été fait baron autrichien!
Comment voulez-vous que les travailleurs aient confiance en lui.
Néanmoins il est fort probable que nous reverrons M. Millerand sur le banc des ministres.
La politique n'est pas prête de le lâcher, ni lui de lâcher la politique, à laquelle il doit tant. Il lui doit sa situation et celles de ses amis.
Il lui doit les causes fructueuses qu'il a plaidées devant les Chambres et qu'il avait ramassées à la Chambre.
Pour la fortune d'un avocat, un discours à la tribune vaut deux acquittements.
Jean-Louis.
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Extrait d'un discours de M. Millerand à ses électeurs.
Messieurs, je vais aborder une de ces questions qui vous touchent le plus au cœur. Je veux vous entretenir de cette armée qui soulève des polémiques aussi violentes qu'inattendues de cette armée qui a pour mission de nous défendre et qui n'a pas le droit de se défendre elle-même!
Notre armée, Messieurs et chers concitoyens, je n'ai pas à vous dire quel est son état d'esprit. Fermement attachée à ses devoirs envers la Patrie et la République, elle n'a pas besoin ni de membres ni d'apologistes.
Cependant, puisqu'on prétend, dans un certain parti, que les préjugés de caste vivent encore, au régiment, il importe que vous soyez persuadés du contraire.
J'ai fait une enquête dans les hôpitaux militaires, j'ai étudié les règlements et j'ai constaté ceci: le grand régime accorde cinq plats au malade s'il est officier, et deux plats s'il n'est point gradé. Le petit régime est de trois plats pour l'officier et d'un plat pour le soldat. Cette différence s'explique, Messieurs, par la nécessité d'éviter aux malades un changement trop brusque dans leurs habitudes.
Mais dans le troisième régime, vous ne constaterez pas la moindre différence, car le règlement de cette armée qu'on accuse de n'être pas démocratique, le règlement dit:
"Pour la diète, le régime est commun aux officiers, sous-officiers et soldats."
Entrons maintenant à la caserne...
Dernière heure. nous n'affirmons pas l'authenticité du discours de M. Millerand.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 juillet 1908.
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