L'échappé Lemoine.
Ancien fabricant de diamants.
Ancien fabricant de diamants.
Plus la civilisation, ou du moins ce que nous appelons ainsi, fait de progrès, plus l'instruction se propage, plus en revanche la naïveté du public et l'ingéniosité des charlatans se développent. Ce bon monsieur Gogo est, certainement, un très vieux bonhomme, mais jamais il ne fut plus dupé qu'à notre époque.
Nos contemporains ne sont peut être pas croyants mais ils sont terriblement gobeurs.
Tout le mérite de personnages notoires tels que M. Lemoine consiste à avoir observé ce trait de caractère et à en avoir déduit une combinaison d'autant plus assurée du succès qu'elle choquait davantage le bon sens.
M. Lemoine, dont les antécédents sont peu connus, est réputé cependant pour avoir fait quelques séjours dans des établissements où ne se recrutent généralement pas les ingénieurs et les chimistes.
Il se dit pourtant l'un et l'autre, et il assure qu'il a trouvé un moyen pratique de fabriquer du diamant.
La synthèse du diamant, on le sait, a été découverte par l'illustre Moissau, qui est parvenu à fabriquer de minuscules brillants, revenant beaucoup plus cher que le diamant naturel.
Au contraire, le procédé de Lemoine serait économique et exploitable.
Aussi a-t-il fait installer à Paris un laboratoire destiné à ses expériences.
Il ne restait plus à M. Lemoine qu'à exécuter les commandes qui n'auraient pas manqué de lui arriver. Mais l'homme aux diamants possède un cœur d'or. S'il exploitait son procédé, il allait, pensait-il, accaparé la clientèle et conduire à la ruine tous les malheureux qui ne savent encore trouver du diamant que dans les mines.
Cette idée l'épouvanta. Plutôt que d'assister à ce désordre, il alla trouver le plus fort producteur de diamants du monde et lui fit l'offre magnanime de renoncer à tout jamais à l'exploitation de sa découverte moyennant une mince compensation de quelques millions.
Cette proposition saugrenue fut écoutée, discutée, et si des doutes n'étaient pas survenus un jour dans l'esprit du trop naïf bailleur de fonds, M. Lemoine continuerait à vivre à ses frais dans un luxueux farniente, par la vertu magique d'une formule mystérieuse enfermée dans une enveloppe qui avait bien des points de ressemblances avec le coffre-fort des Humbert*.
M. Lemoine, arrêté, avait obtenu sa liberté en promettant de fabriquer des diamants gros comme le poing.
Il n'a pas tenu sa parole, ce que tout le monde avait prévu, même le juge d'instruction. Mais ce que le juge n'avait pas prévu, semble-t-il, c'est que l'alchimiste prendrait la fuite. C'est pourtant le meilleur parti qu'il lui restait.
Lemoine a eu soin, en partant, de prévenir son juge, continuant jusqu'au bout son système de fanfaronnades.
L'aplomb de cet homme est inouï. Il est arrivé à inspirer confiance aux hommes les plus rompus aux affaires.
Avant d'en imposer au plaignant, à sa propre famille, au juge d'instruction, il avait déjà étant plus jeune, soutiré trois cents francs à M. Dufayel.
Est-ce le plus fort de tous ses tours de force?
Les mauvaises langues l'affirment en prétendant qu'il est autrement difficile de "rouler M. Dufayel que M. Le Poitevin."
Comme il n'a pas encore trente ans, il est probable qu'il fournira une belle carrière d'escroc. Il a poussé assez loin ses études en filouterie.
Outre la fabrication du diamant, il a trouvé des procédés fort ingénieux pour faire de la lingerie sans fil.
Il a inventé des semelles à timbre humide imprimant une annonce à chaque pas, des harpes-bicyclettes pour musiciens ambulants, des rasoirs canne à pêche, des baignoires à filtre pour les pays où l'eau est rare, etc.
On peut parier que, si cet homme-là met les autres dans la misère, il n'y sera du moins jamais lui-même.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 août 1908.
* Nota de célestin Mira: Thérèse Humbert, escroc célèbre, avait obtenu des prêts considérables sur la foi d'un testament en sa faveur relatif à l'héritage de Robert Henry Crawford, millionnaire américain, qu'elle détenait dans son coffre-fort. Démasquée, lorsqu'on ouvrit le dit coffre, on ne trouva qu'une brique et une pièce de monnaie.
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