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lundi 16 septembre 2019

Folies de millionnaires.

Folies de millionnaires.


Quand on est riche, depuis peu ou depuis longtemps, il est naturel qu'on veuille se distinguer, n'est-ce pas?
Cet hiver, à Londres, il est probable que l'on va revoir pas mal de gens, qui tiennent à ce qu'on les sache favorisés par la fortune, prendre l'attitude navrée qu'ils avaient prise déjà, l'année dernière. Il leur arrive, en effet, un grand malheur. Il y a eut la guerre entre la Russie et le Japon.
Eh bien! direz-vous, la guerre est finie. Ils n'ont plus à gémir sur ces tristes hécatombes...
Bah! vous n'y êtes pas! Ce sont là des soucis et des sentiments vulgaires. Nos gens ont un autre motif de s'affliger, plus sérieux et plus grave.
Ils ne peuvent plus manger de caviar!
Le caviar est un mets qui se compose, vous le savez, d’œufs d'esturgeons. Or, il n'y a plus d’œufs d'esturgeons ou, s'il y en a, ils restent dans les rivières, parce que les pêcheurs étaient occupés, hier, à la guerre, et le sont, aujourd'hui, à la révolution. Comprenez-vous tout ce que doit souffrir un Anglais bien renté, qui se voit si malencontreusement dérangé dans ses plus chères habitudes? S'ils y songeaient, les empereurs et les peuples hésiteraient à se mettre en guerre ou en révolution.

Quelques modes de Paris.

Chez nous, que mangeront les beaux messieurs et les belles dames qui se flattent de ne pas manger comme tout le monde?
Les "nids d'hirondelle" sont trop connus, on ne se distingue plus en en servant à sa table. Les œufs couvés, conservés six mois dans le foin, ont été à la mode. C'est passé. La soupe à la tortue est commune. Il y a bien les côtelettes de chien qu'on essaya de lancer, avec les gigots de chèvre, voilà quelque quatre ou cinq ans. Si l'on y revenait?...
Oui, mais en tout état de cause, ces choses-là ne seront jamais assez chères. On ne se distinguera  jamais beaucoup, ni longtemps, en mangeant des côtelettes et des gigots qui sont à la portée de presque toutes les bourses. Les snobs parisiens sont bien à plaindre, autant que ceux de Londres. Il faut inventer un mets nouveau.
A moins de se rabattre sur une maladie. Une maladie de choix, bien aristocratique, voilà qui est très bien porté et qui vous classe, d'un coup, son homme ou sa femme du monde!
Le diable est que les maladies sont traîtresses; on ne peut pas compter même sur celles qu'on a le mieux caressées. Voyez l'appendicite, par exemple! On pensait bien tenir, pour longtemps, la maladie exceptionnelle, à laquelle pouvaient seuls prétendre les millionnaires et les authentiques descendants des Croisés. Et puis, baste!... Les bourgeois, les ouvriers, les paysans avaient aussi un appendice qui se permit d'être malade. Les bourgeois, les ouvriers et les paysans osèrent avoir l'appendicite!... Amassez donc des millions, après cela, pour être impuissant même à vous payer une maladie qui soit bien à vous, rien qu'à vous et à vos égaux,

La poudre de garkwar de Baroda.

Il y a une vingtaine d'année, à défaut d'un plat ou d'une maladie, les riches s'offraient un breuvage, un assaisonnement en guise d'épices, d'une essence rare. C'était le garkwar de Baroda, un opulent prince hindou des environs de Bombay, qui avait mis la chose en honneur. Cléopâtre faisait fondre des perles pour les boire. Le garkwar buvait de la poudre de rubis. Il en faisait aussi des sauces. Il s'en servait même comme purgatif, car elle avait d'innombrable propriétés et se prêtait à peu près à tous les usages. Les millionnaires, et ceux qui voulaient le paraître, imitèrent le garkwar de Baroda. Si vous alliez dîner chez eux, vous faisiez un repas de poudre de rubis. En Angleterre, cela fit fureur. Tout était à la poudre de rubis.
Mais, il fallut encore déchanter bientôt. Il y eut des falsificateurs et des fumistes. On servit du verre pilé, au lieu de poudre de rubis; on en servit généreusement. Et l'aristocratie anglaise eut des coliques telles qu'elle n'en avait jamais eu.
Ces coliques-là étaient bien aristocratiques. Elles l'étaient même trop!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 avril 1906.

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