Noël.
Voici Noël qui revient les pieds glacés, la chevelure perlée de givre!...
Ce vieux Noël que tant de générations ont acclamé, ce joyeux et saint convive que nos pères aimaient tant à fêter, revient avec fidélité chaque année, comme un ancien ami de la maison, se reposer sous notre toit, et réchauffer ses membres engourdis aux pâles tisons de notre foyer. Il ne retrouve plus chez nous, hélas! génération égoïste, cette généreuse et cordiale hospitalité de nos ancêtres, cette bûche flamboyante, et ces nombreux amis attendant son arrivée autour d'une table confortablement servie.
C'est dans les pays du Nord qu'il faut aller aujourd'hui chercher ces réjouissantes coutumes d'un autre âge: c'est là qu'on retrouve encore dans toute leur simplicité primitive quelques-unes des diverses manifestations dont on entourait autrefois sa venue.
L'Angleterre, l'Allemagne, la Norvège, célèbrent avec beaucoup d'empressement ce saint jour; à l'idée morale que rappelle aux peuples de ces contrées cette fête chrétienne, vient se joindre pour eux l'idée matérielle des bienfaits que va leur procurer le soleil reparaissant à l'horizon. Avec le soleil renaît pour eux l'espérance: c'est le grenier rempli d'orge et de froment, le tonneau rempli de bière ou de vin; c'est le ciel répandant sur la terre avec abondance ses plus riches trésors. Aussi rien n'égale le bonheur des populations durant cette solennelle fête; les cœurs débordent, les mains sont ouvertes à tous; on aime, on donne, on est assez riche, puisque le soleil de l'espérance a lui. L'âtre du pauvre et le foyer du riche s'illuminent des mêmes feux; chez tous la table est ouverte aux étrangers aussi bien qu'aux amis de la maison, les enfants sont comblés de cadeaux, la crèche regorge de fourrage, les oiseaux du ciel même trouvent préparées sur la fenêtre de chacun l'orge et l'avoine si rares à cette époque dans les champs glacés.
On retrouve bien chez nous quelques traces de ces antiques usages que le vent du siècle semble avoir balayés pour toujours; mais, pour les découvrir, c'est chez le peuple qu'il faut descendre, chez le pauvre peuple des campagnes surtout dont les mœurs n'ont pas été raffinées au contact de notre civilisation, et qui les conserve religieusement avec ses habitudes, comme étant souvent l'unique patrimoine de ses anciens. On les retrouve cependant mêlés à tant d'absurdes pratiques, à tant de superstitieuses croyances, qu'on a de la peine à reconnaître là le gai Noël de nos pères. En cherchant à compléter par des merveilles et par des prodiges le miracle divin que cette fête rappelle, l'ignorance et l'ardente imagination du peuple l'ont accompagné de choses si singulières et si étranges qu'il y aurait lieu d'en douter si les chroniqueurs, et Chateaubriand à leur suite, n'étaient pas là pour nous les attester; au besoin, nous trouverions encore parmi nous les vieillards qui nous le raconteraient. La plupart se rappellent l'usage où l'on était encore, vers la fin du siècle dernier, de pousser par trois fois le braiement de l'âne pendant la messe de minuit, pour éviter les maléfices de Satan. Dans les campagnes du Berry, il y a malheur, dit-on, pour l'indiscret métayer qui va écouter ses bêtes conversant dans l'étable tout le temps que dure la messe; il y a malheur aussi, dans quelques campagnes du Midi (1), pour le pauvre paysan dont l'oie babille pendant la nocturne solennité. Ces préjugés grossiers, ces usages absurdes sont loin de ressembler à cette vieille gaieté gauloise, à cet amour du rire, des festins et du franc-parler que l'on connaissait à nos pères. Nous aimons mieux, pour notre part, par leur poétique rusticité, ces feux sur les coteaux du village, ces courses à travers les champs à la lueur des torches résineuses, pour annoncer à la terre la venue de ce jour d'universelle réjouissance.
Voici Noël, voici Noël, mettons la poule au pot et le porc au sel (2); et tous, petits et grands, parcourent les sentiers qui bordent le domaine en proférant des cris joyeux, en chantant de gais refrains et en agitant des feux en signe d'allégresse. Ces rires éclatants, cette gaieté folâtre ne sont-ils pas préférables à ces fantastiques terreurs d'une autre époque, et le chant des campagnards de notre Midi ne semble-t-il pas se joindre à celui des nations du Nord dans ce concert de louanges en l'honneur du joyeux Noël?
Ed. F.
(1) A la Gupie, par exemple, les gens de la campagne ont l'habitude d'apporter chacun une oie sous le bras à la messe de minuit.
(2)
On retrouve bien chez nous quelques traces de ces antiques usages que le vent du siècle semble avoir balayés pour toujours; mais, pour les découvrir, c'est chez le peuple qu'il faut descendre, chez le pauvre peuple des campagnes surtout dont les mœurs n'ont pas été raffinées au contact de notre civilisation, et qui les conserve religieusement avec ses habitudes, comme étant souvent l'unique patrimoine de ses anciens. On les retrouve cependant mêlés à tant d'absurdes pratiques, à tant de superstitieuses croyances, qu'on a de la peine à reconnaître là le gai Noël de nos pères. En cherchant à compléter par des merveilles et par des prodiges le miracle divin que cette fête rappelle, l'ignorance et l'ardente imagination du peuple l'ont accompagné de choses si singulières et si étranges qu'il y aurait lieu d'en douter si les chroniqueurs, et Chateaubriand à leur suite, n'étaient pas là pour nous les attester; au besoin, nous trouverions encore parmi nous les vieillards qui nous le raconteraient. La plupart se rappellent l'usage où l'on était encore, vers la fin du siècle dernier, de pousser par trois fois le braiement de l'âne pendant la messe de minuit, pour éviter les maléfices de Satan. Dans les campagnes du Berry, il y a malheur, dit-on, pour l'indiscret métayer qui va écouter ses bêtes conversant dans l'étable tout le temps que dure la messe; il y a malheur aussi, dans quelques campagnes du Midi (1), pour le pauvre paysan dont l'oie babille pendant la nocturne solennité. Ces préjugés grossiers, ces usages absurdes sont loin de ressembler à cette vieille gaieté gauloise, à cet amour du rire, des festins et du franc-parler que l'on connaissait à nos pères. Nous aimons mieux, pour notre part, par leur poétique rusticité, ces feux sur les coteaux du village, ces courses à travers les champs à la lueur des torches résineuses, pour annoncer à la terre la venue de ce jour d'universelle réjouissance.
Paysans de Tonneins parcourant les champs pendant la nuit de Noël. Dessin de Janet-Lange, d'après M. Ed. Fauché. |
Voici Noël, voici Noël, mettons la poule au pot et le porc au sel (2); et tous, petits et grands, parcourent les sentiers qui bordent le domaine en proférant des cris joyeux, en chantant de gais refrains et en agitant des feux en signe d'allégresse. Ces rires éclatants, cette gaieté folâtre ne sont-ils pas préférables à ces fantastiques terreurs d'une autre époque, et le chant des campagnards de notre Midi ne semble-t-il pas se joindre à celui des nations du Nord dans ce concert de louanges en l'honneur du joyeux Noël?
Ed. F.
(1) A la Gupie, par exemple, les gens de la campagne ont l'habitude d'apporter chacun une oie sous le bras à la messe de minuit.
(2)
Heille nadaou Veille de Noël
Lou porc à la saou, Le porc au sel,
La poule aou toupi, etc La poule au pot, etc.
L'Illustration, journal universel, 30 décembre 1854.
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